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Sexe, sida et prévention : Entretien avec Serge Hefez, psychiatre spécialiste du VIH
18 mars 2008 (papamamanbebe.net)
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Écouter: Entretien avec Serge Hefez, psychiatre spécialiste du VIH (MP3, 27.4 Mo)
Cet entretien a été enregistré en mars 2008. La transcription a été réalisée en juillet 2010, à l’occasion des nouvelles Recommandations du Groupe d’experts sur la prise en charge des séropositifs, qui valident très largement l’« avis suisse » qui fait l’objet de cette discussion avec Serge Hefez.
Serge Hefez est psychiatre, devenu spécialiste du VIH de par son engagement militant et intellectuel. Il s’est retrouvé aux premières loges de l’épidémie : ébranlé par les décès de ses amis gays, il est également témoin de la catastrophe provoquée par la prohibition des drogues et des seringues pour les toxicomanes, qu’il reçoit comme patients à la Terrasse, centre de soins dans le 18e arrondissement de Paris. Comme pour beaucoup de soignants engagés pendant les années quatre-vingt, sa relation à ces deux populations décimées par le sida est inégale : les gays sont ses amis et ses proches, les « toxicos » sont ses patients… Aujourd’hui, la communauté gay reste son premier engagement. Il déclare d’emblée que, pour lui, la priorité des priorités, ce sont les jeunes gays qui se contaminent (alors que 71 % des nouveaux dépistés en 2006 étaient des hétérosexuels). Dans son activité professionnelle, il travaille à deux pas du Marais, et une proportion importante de sa clientèle en est issue. Pour autant, dans sa consultation, il insiste aussi sur le fait qu’il reçoit tout le monde. Et c’est suite à l’interpellation de Marie, dame de 50 ans vivant avec un homme séropositif, qu’il a publié un billet sur son blog Familles, je vous haime, pour aborder le débat autour de l’intérêt préventif de la charge virale… C’est pourquoi nous l’avons invité, pour discuter des conséquences de la prise de position par des médecins suisses en faveur de la reconnaissance de la non-infectiosité des personnes séropositives sous traitement efficace.
Reda : Alors que me conseillez-vous ? M’interroge Marie. Charmante patiente d’une cinquantaine d’années que je reçois depuis plusieurs mois. Est-ce que nous pouvons enfin arrêter d’utiliser ces préservatifs qui foutent en l’air notre sexualité depuis 10 ans ou est-ce encore vraiment dangereux ? Marie est séronégative, son compagnon Bernard est séropositif. Cet ainsi que s’ouvre un article de Serge Hefez, psychiatre, spécialiste du VIH, très proche du milieu associatif, issu du mouvement homosexuel. Il a été de tous les combats des premières heures de l’épidémie. Je l’ai rencontré pour l’interroger sur cette prise de position dans laquelle, il reconnaît le libre arbitre des personnes atteintes. Et surtout le choix pour une personne séronégative qui partage sa vie avec quelqu’un qui est sous un traitement efficace d’assumer le risque résiduel qu’implique un rapport non protégé. Que ce soit pour faire un enfant ou simplement pour vivre une sexualité comme tout le monde.
1985, on est au tout début de l’épidémie. Les médecins ne savent pratiquement rien, en tout cas, on peut de solutions à apporter. 1995 on est juste au tournant avec l’arrivée des antirétroviraux et de la mise en place, enfin de l’efficacité démontrée des politiques de réduction des risques par rapport à l’épidémie dans les cités. Et 2005, en principe on est à l’ère de la trithérapie où certains disent que tout va bien. Sur ces trois moments historiques, vous pouvez nous situer, votre engagement, où est-ce que vous êtes, qu’est-ce vous faites dans ces trois moments de l’histoire de l’épidémie, en particulier par rapport à deux questions. La première c’est l’annonce d’une séropositivité à quelqu’un, le médecin qui annonce la séropositivité à quelqu’un qui peut être gravement malade. Et deux, cette idée, cette image, qui renvoie à l’image de soi qu’ont les séropositifs mais qui renvoie d’abord au regard que société porte sur les personnes porteuses du virus, qui est ce potentiel de contamination, de savoir qu’on est peut-être et qu’on peut contaminer.
Serge Hefez : 1985 c’est les premiers morts du sida. Moi je suis déjà dedans d’abord parce que j’ai deux amis qui sont morts à ce moment-là, en 1984 et 1985. On commence à comprendre ce dont il s’agit. C’est-à-dire c’est une épidémie, que c’est une épidémie virale, que c’est un virus qui se transmet par le sexe, par le sang, par les rapports sexuels, par la contamination mère enfant. Les savoirs sont un petit peu éparpillés. On cherche à les réunir, à les rassembler. En 1985 je suis responsable d’une structure d’accueil pour toxicomanes dans le 18e arrondissement qui s’appelle la terrasse. J’ai beaucoup d’amis… comme je vous disais, j’ai des amis qui sont gays, j’ai deux amis qui sont morts, on a commencé à attribuer leur mort à cette maladie. Donc tout ça est vertigineux. Et évidemment, je me sens à ce moment-là un peu au centre de tout ce questionnement. 1985 ce sont les premières réunions qui vont autour de la création de l’association AIDES que font Daniel Defert à l’époque. Moi je participe déjà assez à ces réunions et à la mise en place de tout ce mouvement. 1985 c’est vraiment l’année de la sidération, c’est l’année de la catastrophe. On ne comprend rien. On arrive d’années ou la maladie semblait complètement évacuée de notre paysage mental ou la libération sexuelle était le plus adoptée. On pouvait avoir une sexualité sans tabou, sans contrainte. L’idée de la mort elle était très lointaine. Quand on mourait c’est qu’on était vieux et rarement pour d’autres raisons. Et tout à coup, il y a cette histoire qui est venue complètement transformer les représentations. On pouvait mourir jeune, on pouvait mourir parce qu’on avait une sexualité, qu’elle soit homosexuelle ou hétérosexuelle. Et puis aussi que les personnes dont je m’occupais à l’époque, qui était des… évidemment principalement des héroïnomanes injecteurs, ils pouvaient aussi mourir d’autre chose que d’une overdose, qui était quand même un accident de parcours heureusement plutôt rare.
Reda : Mais est-ce qu’on peut dire quand même, ces personnes gays, que vous avez connu, qui sont mortes, étaient vos amis, alors que les toxicomanes, les héroïnomanes étaient vos patients ?
Serge Hefez : Absolument. Même si j’ai eu des amis héroïnomanes mais en tout cas mes premiers amis qui sont morts, étaient gays effectivement et avaient une sexualité tout à fait riche et sans tabous disons pour eux et c’était des gens particulièrement gays dans tous les sens du terme, vivant et agréable et c’est vrai que ça a été une déflagration. Tout d’un coup d’aller à l’hôpital, d’assister à des fins de vie, d’assister à des enterrements, qui sont devenus comme ça de plus en plus fréquents, de plus en plus nombreux. C’est vrai que c’était une atmosphère de fin du monde. En 1985 j’avais 30 ans très précisément. Donc je sortais un peu disons de l’adolescence prolongée ou de la jeunesse pour rentrer dans l’âge adulte. C’était une espèce de transition absolument stupéfiante je dois dire.
Reda : Annoncer une séropositivité ou plutôt un sida à quelqu’un en 1985. Je ne sais si vous en tant que psychiatre vous avez à le faire. Qu’est-ce que ça veut dire une annonce comme ça, à cette époque-là ?
Serge Hefez : A cette époque-là ça voulait dire tu vas mourir, je ne sais pas dans combien de temps, mais tu vas mourir. C’est le diagnostic d’une mort annoncée. C’était pire qu’annoncer quoique ce soit d’autre, un cancer, une maladie grave, une leucémie ou je ne sais quoi. C’était placer au-dessus de la tête de quelqu’un, une épée Damoclès, dont on ne savait pas exactement quand elle allait tomber mais dont on savait de toute façon qu’elle allait tomber. Et non seulement on annonçait cette mort, mais on annonçait tout ce qui l’accompagnait. C’est-à-dire d’une part, toute la déchéance physique, les Kaposi, toutes les infections liées à la maladie. Toutes les maladies opportunistes, l’amaigrissement, les transformations physiques et puis surtout, on annonçait un stigmate. On annonçait la peste. On annonçait le fait que, on ne faisait plus parti du monde des autres, du monde des vivants. Parce que la particularité du sida, c’était celle-là. Et c’est encore celle-là d’ailleurs, ça n’a pas vraiment changé, c’est que c’est la maladie de l’autre. C’est la maladie qui provoque l’exclusion ou derrière un diagnostic on annonce une appartenance. On annonce un stigmate d’exclusion. Ça veut dire, tu es pédé, t’es toxico, t’es étranger et que c’est la seule annonce d’une maladie ou quand on dit je suis séropositif, la première question qui vient à la tête de quiconque c’est mais comment est-ce qu’il a attrapé ? Et c’est donc dévoiler tout un pan de sa vie, qu’on n’a pas forcément envie de dévoiler. 1985 c’est vraiment la prise de conscience de tout ça. C’est la prise de conscience que tout ce qui est de l’ordre de l’intime, parce qu’on est toxicomane, parce qu’on est gay, ou tout un tas d’autres choses, eh bien tout ça vient sur place publique et provoque la stigmatisation, et provoque le rejet. En plus d’être touché par une maladie mortelle.
Reda : Est-ce qu’on peut dire que c’est dans cette période-là, que naît cette image publique des séropositifs en tant que contaminateur potentiel, en tant que danger parce que porteur du virus ? Et donc que dès le début de l’épidémie, ce qui fait peur dans le sida, et pourquoi les gens ont peur des malades, c’est ce truc-là. C’est le truc, non seulement vous l’avez attrapé, mais en plus, que vous pouvez nous le refiler. Il y a l’image, la caricature, celle du toxicomane qui brandit sa seringue pleine de sang, en menaçant de contaminer quelqu’un. Est-ce qu’on peut expliquer qu’elle soit si forte, si persistante, en regardant les origines de l’épidémie. Moi c’est comme ça, en essayant de réfléchir un peu arrière, que je suis revenu sur cette histoire de la petite déflagration provoquée par les propos de Bernard Hirschel. Qu’est-ce que vous, vous en pensez ?
Serge Hefez : C’est une maladie transmissible. Mais transmissible, ce n’est pas un mot très courant. On ne sait pas très bien ce que ça veut dire. Donc les gens entendent contagieuse. Mais autour de la contagion, autour de la transmission, il y a un coupable et une victime forcément. C’est-à-dire qu’il y a un transmetteur et il y a une victime innocente de la transmission. Donc, bien évidemment, la personne potentiellement contaminante devient une personne potentiellement dangereuse. En plus de cette image de danger qui est véhiculée par n’importe quelle maladie transmissible bien évidemment. Il y a le fait que celui qui transmet, il présente déjà certains signes d’exclusion de stigmatisation par rapport aux autres. Surtout un pédé ou un toxico. Le pédé, il a l’image de celui qui va transmettre la déviation sexuelle. Le toxico il a l’image de celui qui va transmettre, qui va faire de la propagande pour transmettre de la drogue, pour contaminer les jeunes enfants avec sa manie, etc. Donc ce sont des images très fortes dans ce qu’elle véhicule, sans parler de l’étranger, alors celui qui arrive de continent noir, d’Afrique ou d’ailleurs et qui vient mettre en danger la bonne population française. Donc, tout ça, ce sont des images extrêmement fortes effectivement et extrêmement stigmatisantes, et qui provoque, non seulement un sentiment d’exclusion mais qui provoque chez ceux qui en sont atteints, quelque chose autour d’une anticipation de cette exclusion.
Reda : 1995 alors. On est à ce fameux tournant des trithérapies. Alors une fois de plus, même question. Où est-ce que vous en êtes ? À quoi ressemble votre engagement dans cette période-là ? Comment est-ce que vous vivez l’arrivée de ces médicaments ? On passe de la vague de la mort, qui je crois, le taux de mortalité, dans les chiffres officiels, le plus fort au tout début des années 1990. En tout cas à Paris et région parisienne. Et en 1995, les choses commencent petit à petit à changer
Serge Hefez : La période déjà entre 1985 et 1995, ce sont les années de lutte, ce sont les années de militance à pleins de niveaux différents. Il y a d’abord eu, tout ce qu’on a tenté de mettre en place autour de la toxicomanie. Ça a été une révolution. Une révolution copernicienne, c’est-à-dire qu’on n’était pas du tout formé, on n’avait pas du tout les outils pour comprendre ce qu’il fallait mettre en place pour éviter la propagation de l’épidémie chez les injecteurs d’héroïne et on sait à quel point, ça a été ravageur. Pour comprendre qu’il fallait mettre à disposition des seringues stériles, pour comprendre qu’il fallait penser aux produits de substitutions, pour comprendre qu’il fallait ouvrir le système de soins à…
Reda : Comprendre ou faire ? Parce qu’il y a ce fameux retard de la France, la France est le dernier pays en Europe…
Serge Hefez : Oui. Mais pour le faire, il fallait d’abord le comprendre. Après coup, ça paraît sidérant. Mais vous savez, quand on n’est pas formaté psychiquement pour comprendre quelque chose, il faut du temps pour que ça fonctionne. Je vous donne un exemple très simple. On ne peut pas dire que je ne connaissais pas l’épidémie de sida puisque comme je vous dis depuis le début, j’étais là, j’étais informé, je voyais les gens mourir donc je savais comment ça se transmettait donc je dirais que j’avais plus qu’un autre, m’occupant de toxicomane à l’époque, j’aurai pu, dû, tirer un signal d’alarme, dire écouter ça se transmet par le sang, ces gens s’échangent des seringues, donc vite, que les seringues soient en vente libre, qu’elles soient mises à disposition dans les centres de soins. Eh bien il y a eu un délai. C’est-à-dire que c’est en 1988 si je me souviens bien, que j’ai été invité à une réunion de l’association AIDES, qui, comme vous le savez, s’est plutôt mise en place autour de militants homosexuels justement, autour des contaminations homosexuelles, mais qui dès le début s’est ouvert à la question des usagers de drogue. En 1988, Daniel Defert, m’invite à une réunion d’AIDES, justement pour parler de toxicomanie comme c’était une de mes spécialités à l’ensemble des gens qui étaient là. Et donc moi je parle des consommateurs d’héroïne, de leur trajectoire, de leur vie intérieure, de ce qu’il peut amener à consommer ce type de drogue, des effets de l’héroïne etc. Et au bout d’une heure de conférence Daniel Defert me dit : « ce que tu dis m’intéresse énormément mais moi j’ai une seule question à te poser, est-ce qu’on trouve des seringues stériles dans ton centre de soins, dans le 18e arrondissement ? ». Et à ce moment-là, le ciel m’est tombé sur la tête je vais vous dire. Parce que… des choses qui ne se connectaient pas. C’est-à-dire, j’avais compris, je savais ce que c’était le sida, je savais comment ça se transmettait… mais comme je n’avais jamais penser que ça pouvait être mon boulot, moi qui soignais les toxicomanes de leur donner des seringues, bah voilà. Je n’avais pas pensé à faire le lien. Donc je dis ça, parce que j’ai été après dans les années suivies, assez accusateur par rapport à beaucoup de mes collègues qui je trouvais, ne se remuaient pas justement assez par rapport à ça. Mais c’est pour dire que… après coup ça paraît absurde mais pour comprendre les choses et les mettre en place, ça prend effectivement des temps d’attente, ce qui peut être dramatique.
Reda : Alors, peut-être je vais prendre un peu d’avance, c’est difficile, je ne peux pas résister à la tentation mais est-ce que par rapport à l’objet de nos discussions aujourd’hui, on va y venir, autour de ces recommandations suisses sur la charge virale et la contamination ou plutôt le fait que les personnes séropositives peuvent être, dans certaines situations, non contaminantes, est-ce que peut-être, il y a un parallèle à faire justement sur ce temps de latence pour que les uns et les autres réalisent, se positionnent et intègrent ce qui signifie une recherche, le cumul de recherche clinique depuis plus de 8 ans ? En tout cas, conceptuellement, après on regardera si dans les faits, preuve à l’appui, ça tient ou pas. Mais est-ce que, on peut dire dans l’histoire de l’épidémie, il y a ces sceaux qualitatifs et quantitatifs en terme de mode d’action, de compréhension et d’action dans l’épidémie ?
Serge Hefez : On peut faire un parallèle, mais ça ne signifie pas tout à fait la même chose. Ce sont même des situations un peu inverses. C’est-à-dire que d’un côté, il fallait extrêmement rapidement et de toute urgence mettre en place des mesures pour éviter aux gens de se contaminer et de mourir. Donc je dirais que la latence était impardonnable. Aujourd’hui, il y a peut-être un petit trop de latence par excès de précaution. Ce qui n’est pas tout à fait préjudiciable même si des gens peuvent en souffrir dans leur vie et des couples être en difficulté…
Reda : Mais est-ce qu’il y a une minimisation de cette souffrance justement ? Les questions que Tina a préparées, elles vont toutes dans ce sens-là. Il y a ce sentiment très fort qu’il y a une espèce de minorisation, de non-reconnaissance de la souffrance, des difficultés en particulier d’une catégorie qui n’a jamais effectivement occupé le haut de l’affiche de l’épidémie. C’est-à-dire les couples hétérosexuels. Et cette non prise en compte qui peut avoir des conséquences absolument dramatiques, vous, vous en avez parlé dans un article, j’aimerais aussi qu’on en parle de cet article, d’une femme séronégative qui pose la question de la prévention après avoir entendu parler sur le site papamamanbebe.net ou ailleurs, de ces histoires de charge virale, de possibilité de quelque chose d’extrêmement important. Est-ce que cette minorisation de l’expérience d’une partie de l’épidémie serait plus excusable que la négligence et le dénie dans lequel, étaient certains de vos confrères, par rapport aux ravages où là effectivement il était question de vie ou de mort, mais est-ce qu’on peut pour autant rentrer dans une hiérarchisation de la souffrance et est-ce que la mort est le seul référent absolu de ce qui rend inexcusable un déni, ou un refus de reconnaître, ou de soutenir certaines… la volonté de vivre dans la dignité ?
Serge Hefez : Sûrement. Il y a sûrement une minimisation de ces difficultés quotidiennes, de cette souffrance des couples sérodifférents autour de maintenir une prévention sur la durée, autour du fait de s’imposer dans tous les rapports sexuels, des préservatifs, parfois même, au point d’abandonner toute vie sexuelle tellement il y a une lassitude autour du fait de devoir être dans une prévention quotidienne. Je ne pense pas, effectivement que la plupart des médecins, la plupart des intervenants aient réellement conscience à quel point c’est difficile. Aussi parce que les gens n’en parlent pas ou en parlent peu. Ils ont une pudeur à en parler, ou s’ils en parlent, ça va être plutôt pour dire, justement des accidents, le fait qu’une fois ils ont oublié, qu’un préservatif à éclater ou des choses comme ça, dans des circonstances comme ça. Il y a cette minimisation. Mais le problème, vous savez c’est qu’on est très focalisé aujourd’hui autour de la question du risque zéro. C’est-à-dire qu’il y a une telle pression, une pression de plus en plus grande, qui est faite autour du monde médical, pour avoir des réponses, les plus scientifiquement irréprochables, les plus scientifiquement justes, celles qui ne laissent place à aucunes interprétations, que ça met beaucoup de médecins et scientifique en porte à faux. On ne peut pas dire que, il n’y a pas de risque aujourd’hui, si on n’a pas la certitude absolue, qu’il y a zéro risque. Or, cette situation de zéro risque, elle est rarement présente. Mais le problème…
Reda : Ou elle peut-être impossible à démontrer.
Serge Hefez : Oui, ou impossible à démontrer. Mais le problème c’est de pouvoir hiérarchiser les messages. C’est-à-dire que ce n’est pas la même chose de parler des risques dans un colloque singulier, dans un rapport singulier avec un couple ou avec un patient tranquillement, selon sa perception à lui des choses, selon sa spécificité à lui, selon sa sexualité à lui, selon ses habitudes à lui. Et évaluer avec lui petit à petit qu’est-ce qui correspond le mieux à cette situation. Et ce n’est pas la même chose de mettre une affiche sur les murs de Paris, en disant, ça y est, si vous êtes sérodifférent et que votre charge est nulle depuis 6 mois, vous pouvez avoir une sexualité sans préservatif. Ça n’a pas du tout le même impact.
Reda : Mais on parlait de cette persistance du regard de la société sur les personnes, en tant que personne potentiellement contaminante, en tant que danger. Et là, avec ce message, il y a la possibilité pour la première fois dans l’histoire de l’épidémie, d’ébranler un petit peu cette chape de plomb. Et pourtant vous dites, enfin c’est un argument qu’on a beaucoup entendu, dans le privé, dans la consultation pourquoi pas mais hors de question de mettre ça sur la place publique. Pourtant non seulement c’est déjà sur la place publique, mais en plus, en refusant de mettre ça sur la place publique, ça escamote toute possibilité que peut-être on peut arriver à faire comprendre que non les séropositifs ne sont pas des bombes humaines et sont des personnes comme les autres. Et peuvent avoir une sexualité normale. Avant de vous demander de répondre à ça, une autre question. Est-ce que le problème, ce n’est pas aussi l’hétérosexualité des personnes, pour qui en fait ces recommandations sont les plus intéressantes ? C’est-à-dire comment est-ce que vous, vous avez expliqué personnellement dans votre engagement professionnel, vous êtes surtout engagé auprès de la communauté homosexuelle.
Serge Hefez : Et toxicomane, qui est plutôt une communauté hétérosexuelle a priori.
Reda : Par rapport à cet engagement-là, ce qui m’intéresse c’est comment vous, vous en êtes venu à cette prise de conscience sur la question qui se pose pour un couple hétérosexuel sérodifférent, puisque vous en êtes venu à en faire un article au moment de la publication des recommandations. Parce que ça, ça m’intéresse, pour voir si ça peut être reproduit, et si ça peut être porteur d’espoir pour que d’autres personnes très engagées par rapport à une population donnée, puissent s’ouvrir aux préoccupations des autres.
Serge Hefez : Vous savez moi, ce qui me fait avancer, ce sont mes patients. Moi ça fait 20 ans que je reçois des gens qui sont séropositifs. Certains sont homosexuels, d’autres sont toxicomanes, d’autres viennent d’Afrique subsaharienne, d’autres sont des hommes et des femmes qui ont été contaminés par voie hétérosexuelle, d’autres ont été contaminés… et ont toujours grandi avec le virus, donc depuis 20 ans, je reçois toutes les situations qui sont liées à…
Reda : Mais avec une prédominance d’une population qui est majoritaire. En tout cas ce c’est ce que vous disiez en 2005 dans un entretien. Vous disiez que vous soignez essentiellement des personnes homosexuelles.
Serge Hefez : Bien sûr mais je soigne en tout cas quelque chose qui correspond à la courbe de l’épidémie. Moi je suis dans Paris, au centre de Paris, donc le groupe plus contaminé dans cette zone géographique dont je m’occupe, ce sont plutôt des homosexuels. Mais pas du tout exclusivement. J’ai suivi pas mal de couples hétérosexuels sérodifférents depuis pas mal d’années. Avec toujours effectivement, à un psychiatre on parle peut-être plus facilement qu’à son médecin hospitalier, de ces questions-là. Des questions de sexualité, de prévention. Ça fait effectivement un certain temps que, entre spécialistes on se dit quand même, dans ces situations de charge nulle avec une observance au traitement qui est bien suivie, un certain nombre de médecins spécialiste du sida que je côtoie régulièrement, on se disait comme ça entre nous, jusqu’à quel point on pourra continuer à dire que la prévention est nécessaire, jusqu’à quel point utiliser des préservatifs est nécessaire. Et puis petit à petit il y a eu un certain nombre d’études qui sont arrivées, de plus en plus nombreuses, dont les études suisses.
Reda : Est-ce que ça, ce n’est pas un lapsus ? Parce qu’il ne s’agit de pas de faire abstraction de prévention. Il s’agit simplement de remplacer une prévention latex par une prévention chimique.
Serge Hefez : Oui. Prévention chimique vous voulez dire par les antirétroviraux ?
Reda : Oui.
Serge Hefez : Oui parce que ce n’est pas tout à fait de la prévention les antirétroviraux.
Reda : Et pour autant abandonner le préservatif, ce n’est pas abandonner la prévention si on remplace par quelque chose qui pourrait s’avérer être plus efficace. Puisque le préservatif peut se casser, puisqu’il y a pleins d’autres problèmes…
Serge Hefez : Vous avez tout à fait raison. Le gros problème qui se pose, parce que bon, j’interviens aussi comme expert à l’INPES, l’Institution Nationale de Prévention à l’Éducation de la Santé, sur les questions VIH et sur les questions des messages de prévention en matière de VIH. Comme vous le disiez il y a ce qui se passe au niveau des couples hétérosexuels. Au niveau des couples hétérosexuels stables, où il peut avoir un minimum de concertation autour de la stabilité de prise de risque hors la relation conjugale, ça ne se pose pas du tout de la même façon par rapport à la prévention en milieu gay. Or, ce qui est très problématique et inquiétant au niveau de l’épidémie aujourd’hui, c’est la contamination chez les gays et principalement chez les jeunes gays qui commence leur vie sexuelle. Il y a là des chiffres qui sont absolument calamiteux par rapport à ça, et je dirai qu’en terme de prévention, c’est vrai que c’est peut-être notre souci principal.
Reda : Pourtant, on ne sait pas si la face calamiteuse des choses, est liée simplement à la prévalence, c’est-à-dire une communauté 100 fois plus touchée que les hétérosexuels ou si elle l’est par rapport aux pratiques. C’est-à-dire si en fait, il n’y a pas des jeunes hétérosexuels qui prennent les mêmes risques, simplement qu’il n’y a pas encore 30 % par exemple en région parisienne. Ça a des conséquences radicalement différentes pour ce que ça implique en terme de prévention.
Serge Hefez : Évidemment. Les jeunes hétérosexuels ils ne se protègent pas du tout plus que les jeunes homosexuels, sûrement beaucoup moins. Simplement un jeune hétérosexuel a, je ne sais pas statistiquement, énormément moins de probabilité d’être contaminés par le VIH lors d’un rapport hétérosexuel qu’un jeune homosexuel lors d’un rapport homosexuel. Ça n’a rien à voir en terme de prise de risque comme vous dites la prévalence du virus dans les deux populations n’est pas du tout la même. Donc, déjà avec je dirais des messages de prévention, extrêmement martelés autour du préservatif, du préservatif à tout prix, du préservatif quelle que soit la situation. On arrive à une reprise des contaminations qui est tout à fait inquiétante.
Reda : Vous pensez qu’il y a un lien cause à effet entre les deux ?
Serge Hefez : Entre les deux c’est-à-dire ?
Reda : Entre le martèlement du message du préservatif et la prise de risque ?
Serge Hefez : Non. Je pense que c’est plein d’autres choses qui font que… on pourrait le détailler mais ce n’est pas notre sujet. Je pense qu’il y a pleins de choses qui mènent au fait qu’il y a un abandon en tout cas une moins bonne utilisation du préservatif dans la population homosexuelle et notamment chez les jeunes. Mais en tout cas, on se dit à l’heure actuelle, que si on rajoute à ces messages le message qu’une personne séropositive, avec une charge virale indétectable, qui suit son traitement, n’est plus contaminante, à ce moment-là ça veut dire que c’est la porte ouverte à un abandon total du préservatif en milieu gay sachant que…
Reda : Si c’était faux. Si l’affirmation qu’une charge virale…
Serge Hefez : Non même si elle est vraie. Parce que le problème c’est qu’une personne sur deux ne connaît pas son statut sérologique. Que chez les personnes qui sont suivies en traitement, effectivement les suivis ne sont pas les même chez tout le monde, et qu’il peut avoir des moins observants au traitement qui provoque des remontées de charge virale, que si les personnes ne sont pas suivies régulièrement, ils peuvent avoir une charge virale qui est reprise en ignorant qu’ils ont une reprise de cette charge virale. Donc les situations sont beaucoup plus complexes. Je crois que les messages doivent être clairs dans les situations de relations de couple y compris de couples homosexuels d’ailleurs il faut tout à fait y penser. Mais dans les situations de couple où il y a un minimum de sécurité, par rapport à la fois au suivi médical, au suivi des examens biologiques et à la prise du traitement. Sinon, si on n’est pas très clair par rapport à ces messages-là, ça veut dire qu’il va y avoir dans la population générale, et dans la population homosexuelle, un relâchement qui risque d’être dramatique.
Reda : Mais est-ce que cette hypothèse de relâchement, en cas de diffusion d’un message de santé publique qui concerne la relation entre charge virale et contamination, ne minore pas d’une part la situation de couple à qui ces recommandations peuvent directement s’appliquer et d’autre part, ne minore pas ou ne minimise pas le gain en terme d’estime de soi, et vous êtes bien placé pour le savoir en tant que psychiatre, en terme de ce qui est vécu par certains d’entre nous autour de l’émission, ce que nous disent les personnes, en terme de ce poids énorme, de ce fardeau de vivre comme un contaminateur ou contaminatrice potentiel(le), et que ce poids qui se s’enlève, peut faire plus pour donner envie de se protéger, pour trouver les forces et l’énergie pour annoncer sa séropositivité que tous les messages rappelant le port du préservatif que pourra diffuser l’Institut Nationale pour la Prévention et l’Éducation à la Santé.
Serge Hefez : Honnêtement je ne pense pas mais je vous dis ça de l’œil de quelqu’un qui surveille un peu l’épidémie et qui voit par où les problèmes se posent. C’est-à-dire, en mettant les choses dans la balance, je pense qu’il faut avancer prudemment au jour d’aujourd’hui avec les messages, la façon dont ils sont formulés, à qui ils sont formulés, et dans quel contexte ils sont formulés. Je suis tout à fait favorable à ce que dans tous les lieux où les séropositifs consultent, où posent des questions, leur médecin généraliste, les médecins hospitaliers, les associations, vous par exemple, vous avez une mission très claire à accomplir par rapport à ça, eh bien que dans tous ces lieux effectivement il leur soit donné une information très claire par rapport à ça. C’est-à-dire par rapport à, dans quelles conditions, une sexualité sans latex comme vous dites, peut être sans danger ou en tout cas avec des dangers tellement minimes, que les avantages deviennent largement supérieurs au danger qui sont pour eux, dans quelle situation c’est possible, comment est-ce qu’ils peuvent le faire, et qu’on avance petit à petit comme ça. Je pense très sincèrement qu’aujourd’hui diffuser sur toutes les télés et sur toutes les radios, le fait qu’un séropositif traité n’est plus contaminant, serait beaucoup plus ravageur en terme de santé publique, que d’avancer petit à petit avec les gens concernés en leur expliquant réellement les enjeux.
Tina : Moi j’ai deux questions. Comment pensez-vous justement obtenir cette large diffusion des médecins généralistes et gynécologues, des infectiologues. On sait qu’aujourd’hui, dans un centre de Paris il y a des médecins qui annoncent ou qui expliquent toujours à des personnes séropositives qu’ils ne pourront pas faire d’enfants… donc il y a un tel recul, un tel retard de l’information déjà en ce qui concerne des choses qu’on sait depuis longtemps. Si vous êtes pour que ce soit diffuser largement, comment obtenir cette diffusion ?
Serge Hefez : Les médecins généralistes que je connais, qui s’occupe de VIH, c’est devenu une maladie extrêmement compliquée à prendre en charge sur le plan des traitements, ça demande quasiment une spécialité, ce sont des médecins qui font partis des réseaux, qui sont dans des réseaux d’hôpital, qui sont rattachés à des services hospitaliers…
Reda : Attendez, parce que vous nous faites…
Serge Hefez :
Reda : On ne va pas tomber dans la langue de bois, les problèmes de discriminations… les gynécologues qui pensent toujours que non, c’est hors de question qu’une personne séropositive fasse un bébé ça existe. En tant que professionnel vous avez beaucoup de difficulté pour mettre en cause, ça fait parti du serment d’Hippocrate. Comment on peut éviter de tomber dans la langue de bois ? Parler de prudence d’accord. Mais rapport aux problèmes, que vous êtes contre une diffusion massive, c’est-à-dire comment diffuser le message sur le fait que la salive n’était pas contaminante alors qu’en 1986 les médecins en savaient beaucoup moins sur la possibilité d’une contamination par la salive, que les médecins savent aujourd’hui sur la possibilité d’une contamination pour une personne séropositive avec une charge virale indétectable sans IST depuis 6 mois. Donc les choses ont procédé par le courage de dire les choses, comme vous l’avez fait dans votre article. Donc pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, sachant qu’il y a ce problème d’information parmi les médecins qui est bien réel on peut le dire, sans remettre en cause nullement les compétences des imminents spécialistes de vos confrères et tout ça. Mais comment on fait pour faire passer un message aussi important. C’est-à-dire qui potentiellement peut fondamentalement changer le regard des personnes séropositives sur elle-même. Et, si on trouvait le courage de le faire, changer fondamentalement et pour la première fois depuis le début de l’épidémie, le regard que porte la société sur les personnes séropositives en tant que bombe humaine.
Serge Hefez : Non mais je n’ai pas tout un esprit corporatiste. Je pense qu’il y a de bons médecins et des mauvais médecins, des médecins informés, des médecins pas informés. Je n’ai pas de langue de bois par rapport ça. Je pense que les personnes séropositives ont plutôt intérêt à s’adresser à des médecins qui sont informés et qui font partis justement du dispositif de réseau. Heureusement quand même. C’est faire avancer les choses, c’est faire avancer l’information. C’est utiliser tous les outils et tous les supports d’information qui sont le plus largement diffusés à ces médecins que ce soit des médecins généraliste ou des médecins de PMI, ou des médecins hospitaliers ou des médecins du planning familial ou autre qui sont en contact avec les usagers pour véhiculer cette information. Des supports il y en a pleins. Tous les bulletins de l’ordre du médecin ou autre. Tous les outils d’information qui vont faire que petit à petit ces connaissances vont être rentables. Mais je dois vous dire qu’on n’en est encore pas là. Sachant que le Conseil National du Sida, vous êtes au courant j’imagine, a mis un rapport qui est plutôt mitigé par rapport à…
Reda : Alors, Willy Rozenbaum a effectivement publié un communiqué de presse, sans aucune référence scientifique et où il ne remet pas en cause les données de la recherche. Mais le moment n’est pas opportun. En revanche, la Direction Générale de la Santé, le ministère, dans son communiqué de presse à lui, dit que les personnes séropositives en couple sérodifférent doivent continuer à utiliser le préservatif. Vous dans votre article, vous dites le contraire. Alors est-ce qu’on peut fonder une politique de prévention. Vous dites c’est le choix des personnes à partir du moment où elles ont les données.
Serge Hefez : À partir du moment où elles ont une connaissance éclairée de la situation.
Reda : Voilà. Le ministère ne dit pas ça. Le ministère de la santé français dit un couple sérodifférent doit continuer coûte que coûte, quelque soit les données médicales et quelque soit l’avancée de la recherche, à utiliser le préservatif. Il y a bien une contradiction. Il y a bien un schisme entre ce qu’il se dit dans les consultations de médecins honnêtes et sincères dont vous êtes et de l’autre côté un positionnement public qui est une hypocrisie totale par rapport à non seulement la réalité médicale, par rapport aux besoins des personnes qui est un mépris des personnes atteintes qui vivent ces situations. Et un jeu de l’autruche, si je voulais utiliser l’argument que j’entends, là aussi je pourrais annoncer une catastrophe imminente pour la prévention, à force de maintenir, d’installer une telle hypocrisie autour de la réalité de la recherche.
Serge Hefez : Je peux vous redire que ce que je vous disais tout à l’heure. Encore une fois, ce n’est pas la même chose de donner des directives qui s’adressent à l’ensemble de la population et de s’adresser…
Reda : Le ministère dit couple sérodifférent donc c’est bien des messages ciblés. Vous êtes en désaccord avec ce volet-là du communiqué de presse du ministère ? Il ne s’agit pas de vous accuser, il ne s’agit pas de polémiquer mais réellement est-ce que sur ce point-là, on peut se dire que les personnes qui rédigé ce truc-là, ne sont pas au point par rapport à la réalité des pratiques des praticiens qui se coltine au jour le jour, qui doivent répondre aux besoins des couples dont on parle.
Serge Hefez : Je ne suis malheureusement pas sûr. Voilà. J’ai pris connaissance des études suisses, j’ai pris connaissances des recommandations suisses. Il y a par rapport à cela, des recommandations qui continuent d’être contradictoire dans la littérature internationale. Je ne suis pas sûr aujourd’hui qu’on puisse encore se permettre d’être aussi affirmatif. Je pense qu’encore une fois on peut l’être sûrement plus dans des colloques singuliers. Par exemple, moi je vous dis très concrètement les choses. Cette femme dont je parle dans cet article mais aussi d’autres qui s’adressent autour de ces questions-là à moi. Je leur dis exactement l’état de la situation. Une femme qui est séronégative qui vit depuis au moins 10 ou 15 ans avec un homme séropositif et qui raconte pendant la consultation à quel point la sexualité devient difficile avec cet homme au point que ça devient de plus en plus rare, voir quasiment inexistante, parce qu’en plus c’est un homme qui a des problèmes cardiaques, en plus d’être séropositif donc qui a un petit peu des problèmes d’érection et que tout cela ajouter au fait qu’il n’aime pas particulièrement le préservatif fait que ça rend leur sexualité très compliquée. Et puis elle me dit qu’en allant sur internet, elle tombe sur le site papamamanbebe.net et puis elle voit les études suisses et donc elle me pose la question, qu’est-ce que vous pensez, qu’est-ce que je dois faire dans cette situation-là ? Ça, c’est le plus fréquemment ce que sont les consultations et les colloques singuliers avec les personnes. Donc par rapport à ça moi je me sens très à l’aise justement pour… en parlant de ça avec elle, en évaluant cette difficulté, la souffrance dans le quotidien, en voyant avec elle qu’effectivement cet homme avec qui elle vit, elle lui fait confiance, il est fidèle, il suit ses rendez-vous médicaux, il a une charge virale indétectable depuis pas mal de temps, pour évaluer avec elle qu’entre le risque infime que peut-être il y ait un petit virus qui se balade et qui soit contaminant et l’énorme avantage qu’elle va retrouver dans sa vie quotidienne, retrouver une vie sexuelle plus harmonieuse, elle est à même de faire un choix. Ce n’est pas moi qui lui donne le choix. C’est elle qui décide de le prendre en fonction de tout ça et c’est ça qui est le plus important. C’est que les gens et les outils pour pouvoir faire ces choix-là, une directive ministérielle ne peut pas donner aux gens les outils pour faire un choix parce qu’encore une fois les arguments sont trop nuancés. Si le ministère déclare risque nul, c’est-à-dire vous pouvez arrêter l’utilisation des préservatifs, l’utilisation du latex dans les rapports hétérosexuels dans telle circonstance, il faut qu’il soit absolument sûr que c’est un risque zéro et pas 0,001 %. C’est dans le statut du ministère.
Reda : Mais en même temps dire le contraire sans être absolument sûr qu’il y ait une réduction des risques suffisante pour être plus efficace qu’un préservatif, est-il pour autant acceptable ? Et qu’est-ce que ça veut dire du point de vue du psychiatre que vous êtes ? Ce qui se passe dans l’inconscient de la prévention et le regard sur les personnes séropositives qui vivent dans ces couples sérodifférents de se voir prescrire alors qu’effectivement, il n’y a pas de médecins sous la couette, qu’est-ce que ça veut dire de se voir prescrire, ordonner de mettre un préservatif à vie, même quand il y a des indices qui ne sont quand même pas rien. Que peut-être ce port du préservatif n’est pas nécessaire. Le fardeau de la séropositivité n’est pas… est-ce qu’il n’y en a pas déjà assez pour qu’on rajoute plus, comme si c’était une forme de punition d’être condamné à ce port du préservatif ? Ce que les couples sérodifférent pour certains d’entre eux, ont assumé pendant très longtemps. Nous, il y a des couples au Comité depuis 16 ans, ils font l’amour avec un préservatif. J’aimerais bien voir un couple hétérosexuel qui n’a pas d’histoire avec le VIH, faire ça. Et le faire par amour. Donc on est conscient. On n’est pas des barebackeurs de chercher par tous les moyens à baiser sans préservatif. Ce n’est pas ça. Mais est-ce qu’au moins, sur cette prescription du port du préservatif qu’on trouve dans un communiqué du ministère de la santé, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose qui renvoie à l’inconscient collectif autour des séropositifs comme contaminateur potentiel ? Quelque chose qui renvoie au regard fondamentalement négatif sur cette maladie qui renvoie à cette stigmatisation dont vous avez été témoin dès la première heure ?
Serge Hefez : Écoutez je crois qu’il faut voir les choses de façon plus pragmatique. À partir du moment où le ministère est interpellé sur cette question qu’on lui demande de remettre puisque les choses circulent et qu’on lui demande de remettre un communiqué quels sont ses choix ? Qu’est-ce qu’on peut écrire sur une feuille de papier d’une vingtaine de lignes autour de ça ? On ne peut pas nuancer le discours à ce moment-là. Donc, soit il écrit effectivement, parce qu’il en a la certitude qu’il est possible d’abandonner la prévention sans danger, mais à ce moment-là il faut qu’il en aie la certitude absolue. C’est-à-dire qu’il est suffisamment de donnée pour pouvoir étayer cette information. Un message est forcément binaire vous savez. Soit on dit A, soit on dit B. Soit on dit oui, soit on dit non. Donnez-moi un exemple, de quelle façon vous imaginez…
Reda : Je participe à la rédaction du chapitre procréation dans les recommandations du groupe d’expert dans la prise en charge médicale des séropositifs. Deux choses. D’une part j’ai appris que le choix de ne pas parler du tout de cette question de charge virale par rapport à la prévention était bien un choix. C’est-à-dire que les données avaient été discutées et qu’il avait été choisi par les experts il y a de deux ans, je ne faisais pas parti du groupe à l’époque, de ne pas en parler. Aujourd’hui la publication des recommandations suisses va forcer ce groupe dont je fais aujourd’hui parti à se positionner. Et effectivement, en tout cas, il a déjà été décidé qu’il est hors de question de prescrire quelque chose en l’absence de données scientifiques qui rendraient absolument indispensables et sous contrainte le port du préservatif dans un couple sérodifférent. En aucun ce groupe ne va pas prendre, ne va se permettre d’écrire ce qu’a écrit le ministère d’une part. Et en revanche, après c’est dans les subtilités de la langue et de la négociation. Et je pense que là, il y a moyen de reconnaître la dignité des gens et la nature incomplète des données scientifiques et de rappeler… je pense que tout ça ce n’est pas incompatible. Je ne pense pas qu’on soit obligé de mépriser et de dénigrer les personnes séropositives pour faire état de la connaissance scientifique. Donc je suis profondément convaincu que c’est possible. Ce que je ne comprends pas, et ça, ça relève peut-être plus justement de la psychologie des médecins, des praticiens, pourquoi c’est aussi difficile à franchir ce pas ? Et comment expliquer, dans ce parcours que vous et d’autres soignants très engagés ont eu et le courage que vous avez eu de franchir des pas, de prendre des risques en déclarant certaines choses, en prenant position et là sur ce coup-là, sur un enjeu aussi fondamental, c’est-à-dire la perception des personnes séropositives comme des contaminateurs, c’est la prudence absolue. À la prudence, associé une espèce d’hostilité, de désinvolture qu’on explique mal. Où il y a une minorisation de la situation de certains, des couples hétérosexuels et une majoration absolue d’une autre. C’est-à-dire de pratiques dans la communauté homosexuelle. Moi je me dis, il doit bien avoir des explications pour ces prises de position, des choses, des éléments qui permettent de comprendre la psychologie, pour ne pas parler de psychose autour de ces…
Serge Hefez : Non vous savez, je ne pense pas qu’il y ait ni une méfiance, ni un mépris pour les personnes atteintes, ni le fait de favoriser un groupe plutôt qu’un autre. Il y a encore une fois, une très grande inquiétude autour de la reprise de la diffusion de l’épidémie par contamination homosexuelle aujourd’hui. Je dirais que c’est ce qui focalise le plus les préoccupations. Donc je crois que c’est aussi simple que ça. Ça veut dire que, il faut que les messages grands publics ne provoquent pas plus de danger et de problème qui résolvent de solutions. Encore une fois, le fait de faire entendre aujourd’hui dans un message grand public qu’une personne sous traitement, qui est bien traitée, n’est plus contaminante, ce qui est je l’espère est vrai, nous avons tous à nous réjouir. Mais le fait de l’entendre aujourd’hui, de cette façon-là, risque de poser énormément de problèmes…
Reda : Lesquels ? Parce que moi j’entends ça répété… Par exemple les barebackeurs dans la communauté homosexuelle qui revendiquent le fait d’avoir des rapports non protégés. Finalement si les recommandations sont vraies et tiennent, ça voudrait dire que finalement ils auraient fait beaucoup moins de dégâts que ce qu’on a pu leur imputer. Ça, ce n’est pas une mauvaise chose que je sache ? Qu’il y ait eu moins de personnes contaminées à cause de ces pratiques, personnellement je ne comprends pas. Donc le fait de découvrir grâce à l’avancée de la connaissance scientifique, qu’ils ont fait beaucoup moins de dégâts, qu’on aurait pu penser ou qu’on a pu leur imputer, je ne vois pas en quoi ce serait une mauvaise chose. Jusqu’à présent je n’ai pas entendu un argument convaincant ou crédible selon quoi, la diffusion de ces recommandations au grand public, déboucherait sur de nouvelles contaminations. En revanche je vois très bien l’insistance, vous l’avez dit vous-même, le message du préservatif, la prescription absolue du préservatif, jusqu’ici, n’a pas… nous a permis de baisser de 7 000 contaminations par an ce qui n’est pas rien, mais c’est quand même 6 000 ou 7 000 en trop.
Serge Hefez : Je suis d’accord avec vous mais… le problème de diffusion en milieu homosexuel ce n’est pas les barebackeurs. Les barebackeurs c’est très marginal par rapport au reste. Moi vous savez je vois quasiment tous les jours 2, 3 nouvelles personnes nouvellement contaminées qui viennent à nos consultations. Moi je peux vous dire que, pour ce qui en est de la contamination homosexuelle, ce ne sont pas des barebackeurs, ce sont des jeunes ou des moins jeunes qui multiplient des accidents, des prises de risque, qui ont l’intention de se protéger parce qu’ils sont trop excités ou trop saouls ou trop amoureux ou trop je ne sais quoi, abandonne la prévention. Ce sont toujours des événements comme ça qui font qu’on prend des risques sans avoir eu l’intention d’en prendre.
Reda : Mais en quoi l’information sur ce que signifie une charge indétectable changerait ces comportements, les rendraient plus risqués…
Serge Hefez : Évidemment ! C’est très logique.
Reda : Ils ne prennent pas d’antirétroviraux, ils ne savent pas si leur partenaire en prenne…
Serge Hefez : Non mais ces personnes qui prennent des risques parfois, qui essayent de ne pas en prendre mais qui parfois en prennent, s’ils ont en plus le message qu’une personne traitée n’est pas contaminante alors qu’on sait très bien qu’à Paris la plupart des personnes sont traitées et bien traitées, ça veut dire qu’ils vont complètement abandonner la prévention. Et je les comprends. Donc ça veut dire que ces situations de prise de risque, elles vont se multiplier forcément. Et donc si elles se multiplient ça veut dire que le nombre de contaminations va augmenter c’est une donnée, elle est là, il faut vraiment la prendre en compte, il faut la prendre en compte sérieusement. Maintenant je ne vous dis pas qu’à cause de ça, il faut stigmatiser tous les couples qui ont une vie stable, hétérosexuelle ou homosexuelle et qui peuvent effectivement s’acheminer vers un abandon du préservatif. Je pense qu’encore une fois, il faut les prendre en compte, il faut pouvoir utiliser le plus de support possible pour véhiculer des messages pour qu’ils aient accès à cette information, pour que les personnes qui s’en occupent aient accès à cette information et puisse encadrer ce mouvement. Mais on ne peut pas, vous savez moi je ne suis pas du ministère, je ne cherche pas du tout à défendre les tutelles, j’ai plutôt des problèmes avec la tutelle en général qu’autre chose mais, je peux comprendre que les messages par rapport à cette maladie nécessitent toujours une certaine prudence, peut-être un excès de prudence mais je peux tout à fait le comprendre.
Tina : Moi ce que je voudrais vous demander, est-ce que si ces recommandations sont plus connues par la population si ça ne faciliterait pas le dépistage parce que d’après ce que j’ai compris, les personnes qui contaminent le plus souvent, ce sont des personnes qui ne savent pas qu’elles sont séropositives, donc ne prennent pas de traitement. Et si, en sachant que peut-être en dépistant, je connaîtrais une mauvaise nouvelle, mais elle n’est pas si grave que ça puisqu’en prenant des traitements je peux quand même vivre une vie à peu près normale, est-ce que vous ne pensez pas que beaucoup plus de personnes hétérosexuelles ou homosexuelles feraient le dépistage, et que justement ça réduirait le nombre de nouvelles contaminations ? Et d’autre part, est-ce que vous pensez que c’était justifié de sacrifier la vie normale des personnes séropositives hétérosexuelles ? C’est-à-dire autant leur projet d’enfant, parce que beaucoup de personnes sont bloquées dans ce projet, leur vie sexuelle, pour justement des personnes qui prennent des risques, qui sont irresponsables, donc des personnes très responsables qui ont des projets de vie seraient bloquées pour des personnes irresponsables qui prennent des risques.
Serge Hefez : D’abord je nuancerais, les personnes qui prennent des risques autour de la sexualité, je ne les qualifierais pas d’irresponsables. Je pense que la prise de risque est beaucoup plus complexe, il y a des personnes irresponsables mais la plupart des personnes qui prennent des risques ne sont pas irresponsables. C’est beaucoup plus compliqué. Donc ça, je voudrais d’abord le nuancer. Maintenant, bien évidemment je suis d’accord avec vous, mais à ma connaissance par exemple, le fait d’avoir des enfants, chez des couples sérodifférents, même chez des couples séropositifs est aussi quelque chose qui a largement avancé ces dernières années. C’est-à-dire que c’est de moins en moins, la séropositivité est de moins en moins présentée comme un obstacle au désir d’enfant et au fait d’avoir des enfants. La plupart, peut-être que je me trompe, la plupart des gens qui s’occupent de ça, ça fait pas mal d’années lorsqu’une femme est séronégative et son partenaire est séropositif encourage le fait d’avoir une sexualité normale sans préservatif dans les moments féconds pour avoir le plus de chance d’avoir un enfant par voie naturelle si je peux dire, sans insémination artificielle…
Reda : Là on est en plein dans ce décalage, dans la contradiction, ce que moi je qualifierais d’hypocrite sur les recommandations officielles, ce que vous venez de dire, ça n’apparaît pas du tout. En revanche, parmi les gens qui font partie du groupe d’expert, je sais que dans leurs pratiques privées, il y en a certains qui prônent cette méthode. Maintenant, la question qui se pose, c’est officiellement, le discours officiel renvoie les couples dont l’homme est séropositif vers des consultations d’assistance médicale à la procréation. Ici à l’émission on en a beaucoup parlé jusqu’à qu’on se rende compte que c’était parfaitement marginal parce que très peu de couple, il y a beaucoup d’appelé et peu d’élus. Peu de gens qui deviennent parents par ces méthodes-là. D’autre part il y a des blocages, des problèmes de moyens, et il y a des problèmes d’accès à l’information qui rendent tout ça dramatique et ce qui était un vrai progrès médical, une avancée de la médecine, le lavage de sperme est vécu par les couples, comme une régression et comme une stigmatisation supplémentaire. Les délais d’attente, l’infantilisaient, la soumission à toute une chaîne d’interlocuteurs à qui on doit raconter ce qu’ils ont envie d’entendre et ainsi de suite. Là, on a une alternative qui est effectivement, c’est pratique de faire un bébé naturellement en espérant que la charge virale… en France pendant 8 ans, ils ont refusé de faire état de ces recherches. Pour des motifs qui pour autant, quand on voit les déclarations de Willy Rozenbaum ou de Jean-François Delfraissy évoquent systématiquement une seule population. Alors, que je sache, on se bat pour que toutes les populations soient défendues équitablement. Donc moi je renverrai la question de Tina avec ces précisions supplémentaires, est-il acceptable, de passer sous silence, des choses, des pratiques qui existent, qui permettent de trouver des solutions pour les couples au nom de cette hantise, dont personne n’a apporté la démonstration, ou en tout cas une démonstration convaincante que réellement, diffuser la réalité de la connaissance scientifique contrairement à toute l’histoire de l’épidémie où la diffusion de la connaissance scientifique à, nous à aider à lutter contre la stigmatisation et contre les contaminations, bah là elle produirait l’effet contraire. On a du mal à comprendre, est-ce que c’est un attachement justement à une population plutôt qu’une autre, vous le contester, et je suis prêt à le croire, est-ce que c’est cette histoire de risque zéro ou de recherche du risque zéro sous pression de, sous menace de procès et de condamnation et d’assurance à payer comme un scénario à l’américaine. On ne comprend pas la façon dont ce débat, les réponses ont été, dans un premier temps aussi longtemps que possible, passé sous silence, et j’espère qu’on y est un peu pour quelque chose, enfin de compte, les uns et les autres prennent position mais de la façon la plus rétrograde possible et la plus hostile et méprisante à l’égard des personnes atteintes et tout particulièrement des couples hétérosexuels, qui franchement, même si on refuse la moralisation du débat sur le degré de responsabilité ou d’irresponsabilité des autres, quand même, un couple qui tient 16 ans avec la capote, alors qu’il y a une ouverture possible, une éclaircie possible, le ministère renvoie dans la gueule, dans les dents, vous mettez le préservatif à vie, vous fermez votre gueule, parce qu’on a ces soucis par rapport à la population homosexuelle, est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de profondément injuste et irrationnel voir insultant ? Est-ce que vous pouvez concevoir que ça puisse être vécu comme ça par ceux d’entre nous qui sont dans ces situations-là ?
Serge Hefez : Attendez, dit comme vous le dites, absolument. Bien évidemment je l’entends mais encore une fois, ce que j’aimerais ce que vous entendiez c’est, je ne pense pas qu’on puisse le négliger autant, trop vite, c’est, cette question du risque zéro.
Reda : Ça, je peux comprendre pour le ministère. Ce que je comprends moins bien, c’est pour vous.
Serge Hefez : Ah non comme vous dites je prends position. C’est-à-dire j’explique puisque j’ai un blog où je raconte ce que je fais, j’explique dans les faits, comment ça se passe. C’est-à-dire il y a effectivement des recommandations ministérielles et puis il y a la réalité. Il y a ce qu’il se passe dans la vie, avec les gens, les vrais gens qu’on rencontre, pas ceux à qui qu’on ne connaît pas et qu’on s’adresse par des circulaires. Et qu’est-ce qu’on peut leur dire, et de quelle façon ? Et ça, ça m’intéresse beaucoup plus. Parce que ça, c’est une vraie responsabilité de tous les acteurs de terrains.
Reda : C’est gênant quand la position du ministère est en décalage. Non pas seulement à la réalité, ça a toujours été le cas, mais aussi à la réalité scientifique, à la réalité de la reconnaissance médicale de la recherche…
Serge Hefez : Alors ça, c’est un autre débat. Je ne suis pas sûr, mais encore une fois je ne suis pas peut-être pas le meilleur spécialiste pour ça à l’heure, je ne suis pas sûr qu’il y ait, au jour d’aujourd’hui la connaissance scientifique, la plus claire, la plus précise, et la plus absolue par rapport à cette question-là.
Reda : Elle est pourtant suffisante pour que vous puissiez donner… prendre une position assez souple vis-à-vis de Marie ou d’autres personnes.
Serge Hefez : Absolument. Mais tout en leur disant là où j’en suis, en vous disant ça, je ne peux pas vous garantir qu’absolument dans 3 mois, 6 mois ou un an, vous n’allez pas être contaminé. Je le dis mais ça, je n’en sais rien.
Reda : Mais ça avec le port du préservatif, avec un accident de préservatif, avec le doute sur l’efficacité du traitement d’urgence, c’est vrai aussi pour tous couples sérodifférent.
Serge Hefez : C’est vrai.
Reda : Le risque zéro n’existe pas.
Serge Hefez : Le risque zéro n’existe pas mais c’est ça qui est important.
Reda : Donc pourquoi refuser aux couples sérodifférents, sachant qu’il n’y a pas de risque zéro à partir du moment où ils ont une vie sexuelle, même avec le préservatif, même protégé tout le temps, même depuis des années et des années, personne n’est à l’abri d’accident de préservatif, pourquoi refuser ? L’argument du risque zéro ne tient pas dans ce cas de figure.
Serge Hefez : Si parce qu’encore une fois, soit on parle de directive ministérielle, qui effectivement ne peut s’appuyer que sur un risque zéro ou en tout cas une connaissance scientifique suffisamment éveillée pour appuyer ses dires, et là encore une fois, je ne sais pas jusqu’à cette connaissance scientifique est étayée ou pas aujourd’hui et puis il y a, encore une fois, les autres messages et les autres véhicules de ces messages qui peuvent tout à fait discuter du risque zéro lambda. Ça ne pose pas de problème. Je souhaite de tout mon cœur que tout cela soit possible et qu’on puisse y arriver. Ça fait 20 ans que je me bats pour changer l’image de la séropositivité, pour changer l’image des personnes séropositives, pour faire en sorte que les gens arrivent à une meilleure estime d’eux-mêmes, une meilleure fierté d’eux-mêmes, que le sida fasse moins peur, bien évidemment, je suis le premier à souhaiter à acheter ce que vous dites. Si on a la possibilité de transformer l’image du séropositif, l’image du contaminateur, si on a la possibilité de faire que les gens puissent avoir des vies plus vivables et plus agréables, je fonce là-dedans. Simplement, je crois que ces 20 années d’épidémie, nous ont appris une certaine prudence. Il y a eu beaucoup d’annonce, il y a eu beaucoup d’espoir sur lesquels on est revenu. Il y a eu des avancées. Je crois que ce sont des messages sur lesquels il faut avancer prudemment.
Reda : Qu’est-ce que vous entendez, qu’est-ce que vous retenez de cet échange qu’on vient d’avoir et des préoccupations que moi et Tina dans ces questions expriment sur la manière dont ce débat est ressenti, ont été vécues pour certains d’entre nous comme une humiliation ?
Serge Hefez : Je suis très content d’avoir eu ce débat. Réellement. Je pense que c’est très important que vous preniez les positions que vous prenez, que vous puissiez employer ces termes-là, ces termes d’humiliation, ces termes forts et qui sont des termes nécessaires. Moi personnellement, ce sont des termes qui me font bouger. Le débat qu’on a eu aujourd’hui fait que, j’ai peut-être moins envie d’attendre tranquillement ce que va me dire un ministère ou une administration mais peut-être plus envie effectivement de mobiliser les choses autour de ces questions-là. Je crois que vous soulevez des questions qui sont fondamentales.
Transcription : Sandra Jean-Pierre
Forum de discussion: 1 Message
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Sexe, sida et prévention : Entretien avec Serge Hefez, psychiatre spécialiste du VIH
1/ Un séropositif qui met encore des préservatifs est une victime et non quelqu’un qui a fait un choix. 2/ L’impossibilité de prouver le risque zéro n’est absolument pas le problème. 3/ la question n’est pas de choisir ou non s’il faut dire ou non que les séropositifs soignés peuvent se passer de préservatif car c’est une abomination éthique d’avoir culpabiliser ainsi les gens et de continuer à le faire dans un soucis de prévention. 4/ Serge Hefez ne défend pas les malades du tout, il est d’une hypocrisie sans limite et sa motivation est la "cause gay", laquelle passerait à ses yeux par les chiffres sur les contaminations. peu importe ce qui advient des malades, du moment que les chiffres gays soient réduits, peu importe ce qui advient des bien portants, du moment que leur comportement favorise à la baisse les chiffres des contaminations gays.
La banalisation du sida est , comme pour n’importe quelle maladie, la seule façon de lutter contre une maladie en incitant les gens à se faire soigner, donc dépistés, ce qui est absolument imposible avec le statut quo actuel.
les médecins qui auront occulté le rapport Hirschel à leurs malades pendant des années alors qu’ils étaient au courant méritent la prison et la radiation. Ce ne sont , de toutes façons, pas des médecins dignes de porter ce nom.