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Cheikh Sidi Bemol | Génération sacrifiée, 20 ans après | Musique

Cheikh Sidi Bemol et Nadjim, deux rockers dans l’âme qui nous parlent du VIH

22 juin 2010 (lemegalodon.net)

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Début du son

Reda : Alors il s’appelle Cheikh Sidi Bemol. En fait c’est un personnage mythique de la musique algérienne moderne puisque un jour il a décidé que oui un arabe pouvait prendre une guitare et faire du rock. Et à l’époque c’était du jamais vu. Il va nous en parler puisqu’avec Ousmane on l’a rencontré dans les loges après un petit concert qu’il a donné au cabaret sauvage. C’était mercredi ou mardi dernier.

Ousmane : C’était mardi.

Reda : Donc il a une pêche incroyable sur scène. Et ça a provoqué la question suivante d’Ousmane.

Début du son

Ousmane : Moi j’ai écouté ta musique, j’ai senti beaucoup d’énergie. Ça vient d’où toute cette énergie ?

Cheikh Sidi Bemol : Je ne saurai pas vraiment te répondre mais... moi j’ai écouté des choses, des musiques, j’ai écouté des chansons, j’ai écouté des mélodies comme ça qui m’ont procuré beaucoup de plaisir. On peut même dire du bonheur tu vois. J’ai écouté des choses qui m’ont vraiment donné du bonheur. En fait quand je fais de la musique j’essaye de transmettre aux gens cette sensation-là. C’est vraiment mon désir, c’est ça qui me guide quand je fais de la musique. Là si j’arrive à communiquer aux gens cette sorte de joie, de bonheur... les gens ils sortent d’ici, ils ont écouté quelque chose, ça leur a fait plaisir, si c’est un truc joyeux, si c’est un truc triste, mais ils ont reçu quelque chose. Voilà c’est ça que j’essaye de transmettre. J’espère que je réussis.

Fin du son

Reda : Sidi Bemol, c’est une figure mythique de la musique algérienne. Il y avait un jeune artiste qui s’appelle Nadjim qui lui aussi a joué en première partie. Et du coup on l’a interrogé pour ceux qui ne connaissent pas encore pour que vous compreniez un petit peu mieux le mythe qu’on avait devant nous dans les loges du cabaret sauvage ce soir-là.

Début du son

Reda : Je m’appelle Nadjim Bouzol. J’ai un groupe qui s’appelle Abesse. Et puis Sidi Bemol c’est l’un des gars qui m’a vraiment inspiré pour ma musique. Et donc ce sont les plus grands et nous on est les plus petits. La première chanson d’ailleurs, on parlait de sida tout à l’heure, elle disait : il n’y a rien de mieux que de faire l’amour. C’est ça ? Il chante a capella la chanson (rires)

Cheikh Sidi Bemol : Ah il le fait très bien. (rires) En tout cas le message est passé ! (rires)

Fin du son.

Reda : Voilà Sidi Bemol c’est la transgression quoi. Ça rappelle certaines figures du rock’n’roll aux Etats-Unis. Pas du tout Elvis. Elvis reste au placard. Mais je lui ai proposé trois Jimi. On a parlé de réincarnation avec Sidi Bemol.

Ousmane : Il avait dit qu’il ne croyait pas du tout à la réincarnation. Tu lui as proposé les trois noms et finalement je pense qu’il a choisit...

Début du son

Reda : Trois Jimi. Jimi Cliff, Jimi Hendrix ou Jimi Page ?

Cheikh Sidi Bemol : Jimi Hendrix. (rires)

Reda : J’en étais sûr.

Cheikh Sidi Bemol : Jimi Hendrix. En plus j’apprendrais à jouer de la guitare. Alors là c’est le top. (rires)

Fin du son.

Reda : Ousmane évidemment n’avait jamais vu ou entendu surtout du gourbi rock.

Ousmane : Non pas du tout. C’était ma première ce soir-là et franchement j’ai été très emballé, j’ai bien aimé quoi.

Reda : Les premières questions d’Ousmane, on voit que c’est un sujet qu’il ne maîtrise pas, il n’a pas encore capté cette musique d’arabe avec des guitares électriques tout ça.

Ousmane : C’est clair. Mais quand même j’ai été très touché surtout par l’énergie qu’il donnait sur scène en fait.

Début du son.

Cheikh Sidi Bemol : C’est un journaliste qui a appelé ça le gourbi rock. Moi j’aime bien cette appellation parce que j’aime bien l’idée du gourbi. C’est-à-dire c’est un truc provisoire fait avec des tôles, du bois, des matériaux de récupération tu vois. La musique que je fais elle est un peu de brique et de broc mais je pense que c’est de la musique quand même. (rires)

Fin du son. Reda : Puisqu’on parle d’un rocker, on parle forcément de guitare. Un rocker sans guitare c’est comme quoi ? C’est comme un rappeur...

Ousmane : Un rappeur sans micro (rires).

Début du son.

Ousmane : Depuis combien de temps vous jouez à la guitare ?

Cheikh Sidi Bemol : Depuis que je suis tout petit. J’ai appris à jouer comme ça. Vraiment juste en écoutant et en essayant de refaire ce que j’écoutais. Donc je pense que je devais avoir une dizaine d’années.

Ousmane : Et depuis quand le premier préservatif ?

Cheikh Sidi Bemol : Le premier préservatif ? Ah ! Je devais avoir peut-être... je ne sais pas... 18 ans ou 19 ans.

Fin du son.

Reda : Donc c’est là où on est rentré dans le vif du sujet. On voulait d’abord parler avec lui comme on fait chaque fois qu’on reçoit un artiste de son art, qu’il partage ça avec nous. Et aussi parler du VIH et surtout de l’histoire de tout ça.

Début du son.

Ousmane : VIH ça vous dit quoi ?

Cheikh Sidi Bemol : Moi je pense aux copains. J’ai des copains qui sont malheureusement... qui ne sont plus sur cette terre et comme cette maladie... c’était dans les années 80-90. A l’époque il y avait beaucoup moins d’information qu’aujourd’hui. Il y avait beaucoup moins de prise en charge aussi. Puis je pense à l’époque c’était un truc honteux parce qu’ils étaient rejetés un peu partout. Parce qu’on les mettaient un peu à l’écart quoi tu vois. Mais je pense que s’ils avaient vécu aujourd’hui, je crois qu’ils auraient pu peut-être survivre.

Fin du son.

Reda : El Detter et X-Dy, Sidi Bemol vous en avez déjà entendu parler ? Vous connaissez sa musique ?

El Detter et X-Dy : Non.

X-Dy : Jamais entendu un arabe qui fait du rock déjà je.... (rires)

El Detter : Eh commence pas... (rires)

Reda : Déjà tenté par la guitare ? Déjà pris des leçons pour apprendre un instrument ?

El Detter : Oui j’aurais bien aimé.

X-Dy : Dans la famille ils font de la guitare, mais pas du rock.

Reda : Donc on a eu ensuite un échange sur les années 80. C’est-à-dire un peu un test comparatif entre ici et là-bas. Ici et le bled.

Début du son

Cheikh Sidi Bemol : Le rock ça n’appartient à personne. Tout le monde en fait.

Reda : En France, dans l’immigration, il y a la carte de séjour. Et eux ils revendiquent Rachid Taha tout ça. Il y a une époque, avant qu’ils passent, qu’il se prenne pour troisième Cheb, c’était le rock arabe qu’il voulait faire. Il portait des blousons noirs, c’était la fin des années 70. Tu as inventé le rock, je ne vais pas dire le rock bledard parce que ça a une connotation péjorative.

Cheikh Sidi Bemol : Moi je connais surtout l’aventure de carte de séjour. Quand ils ont commencé...il y avait aussi la marche des beurs. C’était tout ce mouvement-là en fait à l’époque.

Reda : Et quand Rachid Taha entonne « Douce France », je crois que c’était sur la place de la Bastille ou République. Tu es où à ce moment-là ?

Cheikh Sidi Bemol : Ah j’étais encore en Algérie. J’entendais ça de loin. Mais c’est vrai qu’on entendait beaucoup parler de ce mouvement-là. Parce que de toute façon c’était des cousins, on avait tous de la famille qui nous parlait de ça.

Reda : Les années 80 c’est aussi justement les années héroïne sida. Où il y a très rapidement l’héroïne qui est rentrée dans les quartiers pauvres aux années 70. Et début 80, il y a le virus qui apparaît. Et la France c’est le dernier pays qui va mettre en vente libre les seringues. Et il y aura une génération sacrifiée. Des gens dont la contamination était évitable qui vont être contaminés. Et 9/10 vont mourir du sida alors que tout ça était évitable. L’un et l’autre, qu’est-ce que vous savez de cette histoire-là ?

Nadjim : Moi je n’étais pas encore né. Je suis né en 1984 donc c’est sûr que je n’ai pas entendu parler.

Cheikh Sidi Bemol : Moi je te le dis, même les copains à l’époque, ils sont morts maintenant. Mais c’est vrai aujourd’hui on peut parler du préservatif de tout ça. Ce n’est pas comme dans les années 80.

Fin du son.

Reda : Alors à ses côtés il y avait ce jeune musicien Nadjim qui en fait vit au Québec. Mais on a pu discuter avec lui aussi par rapport à tout ça et puis l’interpeller sur la question de la maladie.

Début du son.

Reda : Est-ce que vous avez l’un et l’autre des enfants ?

Nadjim : Oui une petite fille de 4 ans et demi.

Cheikh Sidi Bemol : Oui, les frères et soeurs, j’en ai plein.

Reda : Une petite soeur ?

Cheikh Sidi Bemol : Oui j’ai une petite soeur.

Reda : Alors est-ce que si ta fille grandit et ta petite soeur plus jeune, un jour venait vous annoncer en disant : « papa ou mon frère j’ai quelque chose à te dire. Je viens de faire un test de dépistage et je suis séropositive ». Qu’est-ce que vous faites ? Comment vous réagissez ? Est-ce que vous arrivez à imaginer ça ? Même si c’est inimaginable.

Nadjim : De la tristesse surtout et puis après on essaye de soutenir tant qu’on peut. Moi j’ai une tante qui vient de mourir, qui était sidaïque donc c’était vraiment compliqué mais on a toujours été là.

Reda : Ici ou en Algérie ?

Nadjim : Ici en France. Elle était d’Argenteuil. Et puis c’est sûr qu’elle avait une espérance de vie vraiment réduite et puis finalement elle a eu comme une deuxième vie moi je dirai. Donc elle en a vraiment profité. On était vraiment triste mais on était là toujours sur son cheminement, sur son parcours. C’est sûr que ce n’est pas évident mais c’est sûr qu’on est là pour cette tante.

Reda : Elle s’appelait comment ?

Nadjim : Rachida...

Reda : Et comment est-ce que tu as su ? Est-ce que c’est elle qui t’a parlé de ça ? De son infection, de sa maladie ?

Nadjim : Elle n’osait pas trop dire. Pour elle c’était une hépatite donc... en Algérie à l’époque, moi j’étais adolescent. Et puis petit à petit je comprenais que ce n’était pas juste ça, qu’elle était séropositive. Et puis en fait on s’est toujours parlé. On a toujours échangé tout ça sans qu’elle me dise vraiment que c’était ça. Mais j’avais compris. Et puis il y a eu toujours une espèce de rapport un peu... pas superficiel je dirai, parce que dans notre regard on savait c’était quoi. Et puis voilà. En même temps elle ne me disait pas vraiment que c’était ça. Elle vient de partir, le mois de décembre dernier.

Fin du son.

Reda : Voilà ça évidemment avec Ousmane on ne s’y attendait pas du tout. On voudrait les inviter pour leur donner l’occasion pour rendre hommage à cette tante Rachida, à beaucoup d’autres personnes. Sidi Bemol il a aussi évoqué les gens qu’il a croisé sans citer leurs noms. Et pourtant tous ces morts, jamais personne ne leur a rendu...

Ousmane : Hommage.

Reda : Hommage. Et ça c’est quand même sidérant quand on pense au nombre de personnes qui sont tombées à cause de cette maladie. Il y a aussi les vivants. Je voulais demander à Tina et Zina qui nous rejoignent en cours de route, Sidi Bemol, le gourbi rock vous connaissiez l’une et l’autre ?

Tina : Non.

Zina : Non.

Reda : Ça te dit ? Tu n’as pas encore écouté un extrait.

Zina : Si tu m’as fait écouter il y a quelque jours et je ne connaissais pas du tout. Je trouvais ça très sympa.

Reda : Donc un dernier point. On a posé la question à Cheikh Sidi Bemol sur la coupe du monde.

Début du son.

Cheikh Sidi Bemol : Je pense que ça ne va pas être la France déjà. Je pense l’Espagne. L’Espagne ou l’Algérie.

musique 1, 2, 3 viva Algérie

Transcription : Sandra Jean-Pierre