Hépatite C (VHC) | Pouvoir médical | Russie
Au temps de l’URSS, diagnostic et prise en charge sous contrainte d’une hépatite
20 mai 2010 (lemegalodon.net)
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Écouter: Au temps de l’URSS, diagnostic et prise en charge sous contrainte d’une hépatite (MP3, 4.1 Mo)
Reda : Alors vous vous souvenez d’Alissa Doubrovitskaia. Une jeune journaliste qui a travaillé pendant deux mois avec l’émission « survivre au sida ». Elle nous a laissé un cadeau souvenir. C’est un récit qui décrit une réalité sur la manière de hiérarchiser les malades dit-elle. À travers l’histoire de cette femme de 48 ans sur les traitements qu’elle a subie en Russie lorsqu’elle a découvert qu’elle avait l’hépatite, apparaît, selon Alissa, la dimension de culpabilisation de certains malades. Après avoir immigré en France et s’y être établie, elle revient sur son passé qui fut à l’époque l’union soviétique. Avec le recul des années, elle a donc pu témoigner des conséquences qu’a eue cette discrimination envers les malades dont on dit qu’ils l’ont bien cherché. Constater que dans la Russie actuelle rien n’a changé et amener la question suivante : n’est-ce qu’en Russie ? On écoute ça. C’est la présentation d’un entretien réalisé par Alissa.
Début du son
— Je suis née dans l’ex union soviétique, actuellement la Russie. Je suis tombée malade en 1990 et j’ai fait le test sanguin. On m’a dit que j’avais l’hépatite sans préciser laquelle. Dès qu’on a su que c’était bien l’hépatite, une ambulance est venue me chercher. Le fait que j’avais un enfant de 2 ans et que je n’avais personne pour le garder, ça n’intéressait personne. Mais en plus on m’a mise à l’hôpital juste pour m’isoler, pour que je ne puisse pas être contagieuse. Mais aucun traitement, vraiment aucun traitement m’a été proposé. C’était un hôpital spécialisé pour les maladies contagieuses. Il y avait plusieurs services dans cet hôpital. Donc à côté il y avait la typhoïde, un peu plus bas c’était le sida. Le service où moi je me suis retrouvée c’était les hépatites. On ne peut pas savoir combien de temps le virus a été dans mon sang mais au moment de la prise de sang, j’étais déjà bien jaune, ma peau était devenue jaune, les blancs de mes yeux aussi. Là ça se déclare au bout de deux semaines de maladie mais ça commence par une faiblesse, une fatigue énorme. Donc je ne comprenais pas du tout ce qui m’arrivait. J’avais très mal au ventre, mes selles étaient blanches et mes urines au contraire brunes. J’ai su après que ce sont des symptômes de l’hépatite de n’importe lequel si j’ai bien compris. Normalement, ce que j’ai su, c’est que à ce moment-là quand la maladie s’est déclarée vraiment on ne peut plus être contagieux déjà ça se sait, ça se voit. Mais ce qui m’a vraiment étonnée, que dans les services, les seringues et les aiguilles jetables n’existent pas. Donc on réutilisait à chaque fois les anciennes aiguilles parfois en oubliant de les stériliser. Donc, déjà comme elle était vieille, elle ne piquait pas bien, elle déchirait vraiment la peau et les veines. Mais en plus quand l’infirmière a réussi à pénétrer dans ma veine, le sang ne coulait pas. On se demandait pourquoi et là on a vu que l’aiguille était bouchée du sang de patient précédent. Mais l’infirmière m’a dit que le sang était bien sec, il ne pouvait pas être contagieux. Donc comme ça, j’étais bien rassurée, bien guérie. Je suis restée finalement deux ou trois semaines dans cet hôpital et je l’ai dit déjà, je n’étais pas soignée du tout. Il y avait aucun traitement, ni pour moi, ni pour les gens qui étaient beaucoup plus malades que moi, parce qu’il y avait plusieurs personnes qui avaient l’hépatite B et ça se voyait que ça se dégradait chaque jour. Ils n’avaient vraiment aucun traitement. Et le fait qu’on nous ait mis à l’hôpital c’était juste pour nous isoler d’autres personnes pour qu’on ne puisse pas contaminer les autres.
Alissa : Est-ce que vous connaissez des personnes qui ont été dans votre situation, contaminées, avec un virus hépatite, sida, en Russie ou en France ?
— Oui je connais quelques-unes en Russie et juste que maintenant ces personnes restent marginales. Je veux dire… il y avait même une histoire assez médiatisée sur deux parents séropositifs qui avaient un enfant séronégatif, ils l’ont mis à l’école maternelle. Et là une fois appris que les parents étaient séropositifs, les parents des autres enfants ont exigé que l’enfant soit exclu de cette école. Les pauvres parents de cet enfant ont été obligés de passer par les tribunaux. Mais bien sûr dans l’ambiance dans laquelle l’enfant se retrouvait, l’école maternelle, on peut imaginer que ce n’était pas envisageable qu’il continue à fréquenter cette école maternelle. Jusqu’à maintenant les maladies comme sida ou hépatite C sont considérées comme des maladies marginales. Et les gens se sentent absolument exclus de la société.
Alissa : Ils sont exclus de la société et apparemment de la médecine ?
— Oui. Il y a très peu de vrais soins apportés à ces gens-là…
Alissa : Alors toujours aujourd’hui les gens que vous connaissez en Russie qui sont victimes de ces maladies. Est-ce que vous savez s’il y a quand même une amélioration du point de vue médical ?
— Je pense qu’ils peuvent bénéficier peut-être de certaines aides des associations pas officielles, pas gouvernementales, mais tout ce qui concerne les soins officiels, c’est toujours payant. On fait comprendre à une personne que c’est par sa faute qu’il est malade. Déjà c’est de sa faute, une seule chose qui doit bien apprendre qu’il représente un risque pour la société. Ni même sa santé, ni même sa vie ne sont plus intéressantes. Comme jusqu’à maintenant la sécurité sociale, la vraie sécurité sociale n’existe pas on peut dire. En Russie ça existe mais ça n’apporte vraiment aucune aide. Les assurances qui sont très chères, il faut déjà avoir de l’argent pour avoir cette assurance et en plus je ne suis sûre qu’il existe des assurances qui couvrent les dépenses pour des maladies pareilles. Non seulement on est très mal soigné mais en plus on est ruiné.
Alissa : Est-ce que vous saviez qu’une personne séropositive se voyait refuser la nationalité russe pour cause de sa maladie ?
— Pour la Russie non je ne sais pas. Je ne suis pas au courant. Mais à mon avis ce n’est pas au niveau officiel parce qu’il faut quand même garder la bonne figure.
Alissa : Je vous remercie.
— Merci à vous.
Fin du son.
Reda : Réactions autour de la table. Ali, Tina, Zina ?
Tina : Moi j’ai l’impression que c’est pire en Russie qu’en Afrique, que les mentalités sont encore pires… que le système est encore plus mal en place. Je ne sais pas…
Reda : Il n’y a pas de concours mais oui…
Tina : Il n’y a pas de concours mais quand même c’est incroyable d’entendre à quel point les gens sont maltraités là-bas.
Reda : Ali ?
Ali : Moi ce qui m’a interpellé dans le témoignage c’est que les symptômes qu’elle décrit, ce sont plus les symptômes alors… c’est juste par expérience, pas par des connaissances autres mais les symptômes qu’elle décrit, ce sont les symptômes de l’hépatite B. Que très rapidement t’as les yeux jaunes, les urines extrêmement foncées tout ça. Donc ce n’est pas exclu qu’elle ait fait une hépatite B, qu’elle ait été soignée ou pas, une fois que tu es guéri, on peut dire que non seulement tu n’es plus contaminant et en fait t’es immunisé donc tu ne peux pas, même faire le vaccin par exemple comme ici en France ou dans les pays occidentaux où tu peux être vacciné contre l’hépatite B ; ce n’est plus la peine de le faire parce que tu t’es auto immunisé. Ce qui m’est arrivé en 1981. En revanche l’hépatite C elle reste une pathologie qui n’est pas sexuellement transmissible mais qui est transmissible par voie intraveineuse ou par…
Reda : Oui, ça n’a pas été vraiment possible au niveau médical de reconstituer exactement ce qui lui était arrivé. Il semblerait qu’elle n’ait plu les pièces de son dossier médical et ainsi de suite. Zina ta réaction ?
Zina : Je suis assez choquée… par… quand elle explique que la seringue, l’aiguille était bouchée par du sang séché de quelqu’un d’autre, que les seringues on ne les stérilise pas automatiquement et surtout qu’elles ne sont pas à usage unique. Je sais que dans pleins de pays, pleins de choses comme ça arrive, on donne aussi des médicaments périmés, c’est assez précaire au niveau des soins. Mais à chaque fois que j’entends des trucs comme ça, ça me choque à chaque fois.
Transcription : Sandra Jean-Pierre