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Didier Troisvallets | Homosexualité | Laurent Fonquernie | Pouvoir médical

Sida des pauvres, sida des riches (3/3) : l’écoute, substitut au manque de moyens en banlieue ?

19 mai 2010 (lemegalodon.net)

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Ils sont tous deux spécialistes du VIH, engagés de longue date auprès des personnes séropositives. L’un est à Gonesse, dans une banlieue pauvre où s’est installée une population africaine fortement touchée par le virus. L’autre est à Saint Antoine, à deux pas du Marais. L’émission Survivre au sida les a rencontré pour dresser un tableau tout en contrastes : les conditions de travail, les patients, leur vécu de médecin, leur découverte du virus dans les années quatre-vingt, la file active, la composition du service, les moyens mis en œuvre, le temps consacré à chaque patient, les sujets abordés pendant la consultation, les difficultés rencontrées dans leur pratique médicale, la procréation...

Reda : Alexandra Forestier et Samantha Yeboah ont posé la question à nos deux médecins. Quels sont les obstacles qu’ils rencontrent dans leur pratique ? On va écouter ça et on terminera ensuite avec le sujet de la procréation.

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Laurent Fonquernie : Dès lors qu’un patient ou une patiente, qu’il soit européen, français, africain, asiatique ou autre, est suivi dans le service, qu’il appartient à une structure, un réseau de circuit de soin, qu’il a un accès aux soins et une prise en charge correcte, il n’y a aucune raison que les patients soient exclus. Après l’observance au traitement ou au suivi médical certes, peut-être dépendant de la situation sociale notamment de la précarité mais c’est vrai que mieux on est inséré socialement, plus on est éduqué, instruit, on peut se déplacer facilement, il y a une prise en charge financière, mieux on est suivi.

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Reda : Il faut mieux être riche quand on est malade que pauvre. Ca semble une évidence mais en principe, l’hôpital public doit non seulement soigner tout le monde, il doit garantir justement un traitement équitable. Que dit Didier Troisvallets à l’hôpital de Gonesse ?

Début du son.

Alexandra : Quels sont les obstacles que vous rencontrez dans votre pratique quotidienne ?

Didier Troisvallets : Les principaux obstacles c’est social parce que, encore une fois, on a une énorme majorité de migrants. Il y a des problèmes de revenus, il y a des problèmes de papier, il y a des problèmes de logements, d’accès au droit. Puis il y a un deuxième obstacle, c’est la stigmatisation dans la communauté africaine. On est séropositif mais on en parle à personne parce qu’on a peur d’être rejeté ce qui fait qu’on continue à contaminer son conjoint, d’autres. Donc forcément un jour ou l’autre, on attrape le conjoint pour une primo-infection. Et puis c’est vrai qu’il y a des communautés on n’arrive toujours pas à en parler. Faire de la prévention c’est très compliqué. Les gros obstacles c’est ça. C’est la conjonction de la stigmatisation et puis des problèmes sociaux qui font que malheureusement la majorité des patients, ce sont des migrants.

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Reda : Ca c’est l’hôpital de Gonesse avec Didier Troisvallets, seul médecin, enfin à 80 %, même si deux de ses collègues l’aident probablement ponctuellement pour soigner 750 personnes séropositives. Pour terminer, Alexandra Forestier et Samantha Yeboah ont posé une question concernant la procréation. C’est-à-dire les hétérosexuels qui veulent faire des bébés comment ça se passe à l’hôpital Saint-Antoine ou à l’hôpital de Gonesse ? Réponse d’abord de Laurent Fonquernie.

Début du son

Laurent Fonquernie : Ils vont d’abord avoir un entretien avec un médecin pour expliquer ce que signifie être séropositif en 2010. On parle souvent d’espérance de vie pour dire qu’en 2010, si on est bien suivi, si on a accès aux soins, si on a un traitement, on a une espérance de vie qui peu à peu s’approche de la moyenne générale, on dit aux femmes que si elles souhaitent être enceintes, avoir un enfant, tout est possible, même pour l’homme d’ailleurs. Le désir d’enfant est assez fréquent. Il concerne plutôt des patients d’origine africaine et ça peut être soit l’homme qui est séropositif et la femme séronégative donc assez souvent, dans cette situation ils viennent en couple ou alors à l’inverse ça peut être une femme séropositive et un homme séronégatif. Au sein de notre COREVIH c’est-à-dire les différents services qui s’occupent de patients séropositifs, on adresse nos patients à une consultation à la Pitié-Salpêtrière qui a une expertise, une grosse activité sur ce sujet-là et qui va prendre en charge les patientes ou les patients de façon à mener à bien une grossesse. Notre rôle c’est d’orienter les couples vers une consultation de service qui a l’expérience, qui va mener à bien le projet au sein d’une consultation multidisciplinaire mais ça ne passe pas à l’hôpital Saint-Antoine.

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Reda : Dès lors qu’il s’agit de faire un bébé, il y a une orientation vers Catherine Poireau, à la Salpêtrière et toute l’équipe pluridisciplinaire là-bas qui s’occupent de l’assistance médicale à la procréation. Ce qui veut dire qu’à Saint-Antoine, tout ce qui concerne la procréation, l’assistance médicale à la procréation naturelle, c’est-à-dire les couples qui se protègent grâce aux médicaments. Tout ça ne semble pas être encore rentré dans les mœurs.

Tina : Ni l’auto insémination qui est encore beaucoup plus ancienne.

Reda : Qui fait déjà parti des recommandations depuis plusieurs années. Qu’en est-il avec Didier Troisvallets à l’hôpital de Gonesse ?

Début du son

Didier Troisvallets : La procréation, ce n’est pas très compliqué. On est à peu près entre 25 et 30 naissances par an. Alors je croise les doigts, je croise les jambes, on doit en être à 300 et quelques enfants qui sont nés. On a zéro contamination. Voilà. Quand je dis zéro, c’est zéro, bulle. Et on a eu des gens à tous les stades de l’infection, des femmes qu’on a diagnostiqué tôt, tard ou au milieu. On est béni des dieux dans ce coup-là.

Alexandra : C’est un sujet que vous abordez avec les nouveaux patients que vous recevez la possibilité d’avoir un enfant ?

Didier Troisvallets : La première fois que je vois les gens, la première chose que j’aborde une fois qu’on a réglé les questions médicales, c’est la procréation. Parce que la procréation c’est le truc le plus symbolique, c’est si vous pouvez faire des enfants, vous avez un avenir devant vous. Une des premières choses qu’on dit c’est vous pourrez avoir des enfants et en plus, si vous faites bien les choses, vous serez grands-parents.

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Reda : Ce que j’entends c’est voilà un médecin dont la procréation fait vraiment partie de la pratique quotidienne, ça fait partie de la réalité sociale des personnes qu’il suit et il le sait. C’est incontournable. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Tina : Moi je pense que vraiment Didier Troisvallets il a tout compris parce que c’est rare que je rencontre une personne hétérosexuelle à qui je demande comment ça s’est passé pour l’annonce et pour moi c’était pareil, que la première pensée, la première grosse inquiétude c’est, « Ah mais je ne pourrai jamais avoir des enfants » donc à l’annonce de la séropositivité. Et une fois qu’un médecin sait que c’est une fausse idée déjà brise cette information erronée, je pense que le patient il va déjà psychologiquement beaucoup mieux donc, un médecin qui n’aborde pas cette question avec une personne séropositive, en tout cas hétérosexuelle, il passe à côté de quelque chose de très important.

Reda : Question ultime pour terminer. Si vous deviez choisir entre Laurent Fonquernie et Didier Troisvallets pour suivre votre VIH à vous lequel choisiriez-vous ?

Ali : Le second.

Reda : Troisvallets ?

Ali : Troisvallets.

Reda : Tina ?

Tina : Moi aussi surtout quand j’entends comment ils abordent la procréation franchement là je peux dire à Laurent Fonquernie c’est vraiment grave de… L’AMP c’est un truc à désespoir parce que ça n’aboutit pas, donc c’est vraiment grave il… quasiment il ne donne pas la possibilité à des couples concernés par le VIH d’avoir des enfants.

Reda : Et Zina ?

Zina : Moi ce serait par le docteur Troisvallets mais avec le confort de Saint-Antoine quand même (rires).

Ali : Moi ce qui m’a interpellé dans le témoignage du premier médecin de Saint-Antoine c’est que il parle du désir d’enfant uniquement dans la population africaine, enfin de ce que j’en ai compris, alors que le désir d’enfant…

Reda : Il existe pour tout le monde.

Ali : Des occidentaux…

Reda : Le fait que si vous allez voir Didier Troisvallets, vous saurez, contrairement à certains de ses patients, qu’il aura 6 à 7 fois plus de monde à voir, à prendre en charge à suivre que Laurent Fonquernie mais ça, ça ne vous fait pas peur ? Vous préférez un médecin plus sensible à vos préoccupations ?

Tina : Bien sûr. Mais là je dirais plutôt que c’est le pauvre Troisvallets est-ce qu’il préférerait être Laurent ou… (rires). Mais nous comme patients, s’il fait des heures supplémentaires et qu’il est crevé à la fin de la journée, il se prend quand même 20 minutes. L’autre prend 20 à 30 minutes.

Reda : Est-ce que, objectivement non pas en terme d’opinion mais est-ce que cette différence-là, c’est-à-dire des médecins 6 ou 7 fois plus occupés que d’autres entre Paris et la banlieue, est-ce qu’il s’agit pour vous d’une discrimination ? Est-ce que l’on peut parler de discrimination entre ces deux hôpitaux, être suivi à Gonesse, c’est discriminatoire par rapport aux conditions d’accueil, de suivi et aux moyens de Saint-Antoine.

Zina : C’est clair que là… c’est une discrimination… Il y a un hôpital qui est au centre de Paris dans un quartier assez bien et il y en un autre qui est dans une banlieue avec une population différente…

Reda : Est-ce qu’on en est au point où ça vous semble normal ça ?

Tina : Voilà, j’allais dire on n’est presque pas choqué.

Reda : Finalement en banlieue, mal suivi, moins de moyens, enfin mal suivi entre guillemets puisque vous préféreriez…

Zina : Oui ce n’est pas normal mais effectivement ça nous semble normal maintenant parce que c’est toujours pareil, ça fait des années…

Tina : C’est l’habitude.

Zina : Maintenant on a l’habitude, donc malheureusement oui, je regrette de le dire mais ça paraît normal.

Alexandra : Mais pour le docteur Troisvallets aussi. Il le dit lui-même, « on est un hôpital de périphérie donc on a moins de moyens ». Il le dit.

Reda : Et pour autant la bonne volonté et la pêche semble… pour vous pourrait compenser ce manque de moyens, moi ça me choque.

Ali : Je dirais qu’il y a des médecins qui choisissent presque le profil de leurs patients, c’est un peu ce qui me…

Tina : Le côté humain dans le suivi VIH il est hyperimportant alors quand on entend les deux médecins moi je me vois mieux face à un médecin comme Troisvallets, parler de mes préoccupations, les difficultés dans le couple, sexuelles ou autres…

Reda : Mais c’est vraiment ce chapitre sur la procréation qui t’a fait basculer ? Ou est-ce que même avant tu t’es dit quand même Troisvallets il me semble plus sympa ?

Tina : Il me semblait déjà plus sympa mais avant bien sûr être dans un hôpital plus propre, plus moderne, j’y réfléchissais mais quand j’ai entendu…

Reda : C’est Zina qui a résumé (rires). C’est le Troisvallets mais à Saint-Antoine (rires)

Tina : Mais sur la procréation oui je suis quand même choquée d’entendre qu’un médecin, tout ce qu’il fait à ce niveau-là c’est d’orienter vers l’AMP d’un autre hôpital… est-ce qu’il se rend compte que ça veut dire quels délais il impose à ces couples, quelle galère… il pourrait simplement leur parler, surtout quand la femme est séropositive, d’auto insémination et aujourd’hui de cette possibilité de procréer grâce au traitement, naturellement.

Reda : OK. Alexandra, donc avec Samantha, c’était votre premier reportage sur le suivi VIH, sur le suivi des personnes séropositives. Qu’est-ce que tu as appris à travers ce reportage ?

Alexandra : Déjà par rapport à la procréation c’est vrai que c’est quelque chose que je ne savais pas du tout qu’on pouvait avoir des enfants avec si peu de risque de transmission du virus. C’était très instructif de voir aussi la différence d’état d’esprit, de ces deux médecins et toutes les conséquences que ça peut avoir sur le traitement des patients.

Reda : En tout cas merci à toi et à Samantha Yeboah d’avoir cavalé entre Gonesse et Saint-Antoine pour enregistrer, rencontrer et interroger ces deux médecins. Merci aussi à Ali et à Tina et Zina d’avoir fait le bon ou mauvais choix, ça, ce n’est pas à moi de dire. On remercie Laurent Fonquernie et Didier Troisvallets et on espère qu’ils ne prendront pas mal les avis, les opinions des personnes réunies autour de cette table. En tout cas Laurent Fonquernie soutient aussi le Comité des Familles depuis des années.

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Transcription : Sandra Jean-Pierre