Skip to main content.

Didier Troisvallets | Homosexualité | Laurent Fonquernie | Pouvoir médical

Sida des pauvres, sida des riches (1/3) : des inégalités de personnels entre services de maladies infectieuses de Paris et sa banlieue

19 mai 2010 (lemegalodon.net)

| Votez pour cet article

Ils sont tous deux spécialistes du VIH, engagés de longue date auprès des personnes séropositives. L’un est à Gonesse, dans une banlieue pauvre où s’est installée une population africaine fortement touchée par le virus. L’autre est à Saint Antoine, à deux pas du Marais. L’émission Survivre au sida les a rencontré pour dresser un tableau tout en contrastes : les conditions de travail, les patients, leur vécu de médecin, leur découverte du virus dans les années quatre-vingt, la file active, la composition du service, les moyens mis en œuvre, le temps consacré à chaque patient, les sujets abordés pendant la consultation, les difficultés rencontrées dans leur pratique médicale, la procréation...

Reda : Alexandra Forestier et Samantha Yeboah se sont rendues dans deux hôpitaux de la région parisienne. Le premier hôpital est situé à Gonesse, dans le 95, donc en banlieue. Dans ce triangle à côté de l’aéroport en fait qui s’est vidé de sa population, de tous les gens qui avaient les moyens de se barrer. Entre les avions, la pollution et ainsi de suite. Et où se sont installés en fait des personnes récemment arrivées du continent africain. Beaucoup de noirs à Gonesse, autour de Gonesse et de ce fait à l’hôpital une population à l’image de la région. De l’autre côté l’hôpital Saint-Antoine, à côté du marais, dans le 12 ème arrondissement de Paris. Un service maladie infectieuse, là aussi qui accueille en principe toutes les populations. Dans les deux cas il s’agit d’hôpitaux publics. A Gonesse d’un hôpital communal, à Saint-Antoine d’un hôpital qui dépend de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Je vais donc demander à Alexandra, bonjour.

Alexandra : Bonjour.

Reda : De nous expliquer qu’est-ce que vous avez fait avec Samantha Yeboah, pour décrire, essayer de comprendre, à quoi ressemble le suivi du VIH dans ces deux hôpitaux ?

Alexandra : Donc nous avons rencontré le docteur Fonquernie à l’hôpital Saint-Antoine et le docteur Troisvallets à Gonesse. On leur a demandé de parler de leur conditions de travail, de leur patients et de leur vécu avec les patients.

Reda : Alors on va écouter en guise de présentation Laurent Fonquernie de l’hôpital Saint-Antoine et Didier Troisvallets de l’hôpital de Gonesse. Est-ce qu’il y a déjà un contraste établi entre ces deux médecins, entre ces deux personnages ?

Alexandra : Alors humainement ils sont très différents. Le docteur Fonquernie à un discours très axé sur la médecine, les chiffres, etc. Alors que le docteur Troisvallets est quelqu’un de plus... convivial.

Reda : Plus rigolo.

Alexandra : Oui plus rigolo (rires). Il a l’art de la formule.

Reda : D’accord on va en entendre un certain nombre.

Alexandra : Oui d’ailleurs. Et très axé sur l’humain.

Reda : Présentation de ces deux médecins. Le premier Laurent Fonquernie officie à l’hôpital Saint-Antoine.

Début du son

Laurent Fonquernie : Je suis le docteur Laurent Fonquernie. Je suis médecin à temps plein dans le service des maladies infectieuses du CHU de Saint-Antoine. Et je suis plutôt responsable du secteur d’hôpital de jour qui voit essentiellement des patients séropositifs environ 90% des personnes qui viennent consulter. Et je m’occupe aussi d’une consultation de patient séropositif.

Didier Troisvallets : Docteur Troisvallets, je travaille à l’hôpital de Gonesse dans un service de médecine interne de maladies infectieuses, qui s’occupe de tous types de patients dont des patients séropositifs.

Fin du son.

Reda : Voilà donc les deux médecins où sont situés les services de maladies infectieuses donc qui suivent les personnes séropositives. A quoi ressemble les deux hôpitaux ? L’hôpital de Saint-Antoine et l’hôpital de Gonesse. Est-ce qu’il y a des contrastes visuels que vous avez pu voir, constater en vous rendant sur place ?

Alexandra : L’hôpital de Gonesse c’est vraiment un vieux bâtiment des années 1970, il est vraiment typique. L’hôpital de Saint-Antoine, même si c’est un hôpital plus ancien, en tout cas il est très rénové donc il fait moins ancien même si ce n’est pas le cas.

Reda : Moi je suis né en 1970, ce n’est pas vieux du tout, mais bon passons (rires). Et sur l’accès, les transports pour arriver à l’hôpital Saint-Antoine ?

Alexandra : C’est radicalement différent. D’ailleurs l’hôpital de Gonesse est assez loin du RER, il faut prendre un bus c’est assez loin des transports. Alors que Saint-Antoine c’est au cœur de Paris. Donc très facilement accessible.

Reda : Ali, Tina ou Zina. Est-ce que vous connaissez l’un ou l’autre de ces deux hôpitaux ?

Tina : Moi je connais bien l’hôpital Saint-Antoine. C’est vrai que ce n’est pas loin de Bastille, il y a tout ce qu’il faut comme transport. Mais je n’y suis jamais allée pour être suivie, je ne le connais pas de l’intérieur.

Reda : Et vos impressions Alexandra en terme de salubrité, d’entretien, des conditions d’accueil dans le service, c’est comment ?

Alexandra : C’est très équivalent, les deux se ressemblent beaucoup.

Reda : Correct ?

Alexandra : Oui bien sûr. L’accueil est un plus formel à Saint-Antoine avec les personnes à l’accueil. Et un peu plus rigolo à Gonesse. Les personnes de l’accueil ressemblent aux médecins qu’on rencontre après.

Reda : Une question qui renvoie... les deux médecins donc Didier Troisvallets et Laurent Fonquernie sont des anciens parmi les soignants VIH.

Début du son

Laurent Fonquernie : J’étais étudiant en troisième année de médecine, donc on va dire c’était dans les années... fin des années 1980. Et au départ c’était un sujet qui était largement sous estimé. Même on y trouvait une connotation sexuelle et après les choses ont montré que ce n’était pas ça du tout, que c’était en partie lié à la sexualité mais aussi au départ, notamment dans certains centres, l’épidémie du sida était associé à la toxicomanie. Et en fait si on a parlé autant de l’épidémie du sida, du VIH, c’est parce que les enjeux dépassaient largement le cadre de la médecine. Ça faisait référence à l’intimité, à la sexualité, à l’orientation sexuelle. Après plus tard, ça a fait référence aussi pour les patients, les migrants venus du sud, à la précarité, à l’inégalité d’accès aux soins entre le Nord et le Sud. Donc il y a eu beaucoup de problématique qui se sont révélées à travers le VIH.

Fin du son.

Reda : Laurent Fonquernie de l’hôpital Saint-Antoine. Maintenant on écoute Didier Troisvallets sur cette même question.

Début du son.

Samantha : Quand avez-vous entendu parler du virus du sida pour la première fois ?

Didier Troisvallets : Vous n’étiez pas née je pense (rires). Je crois que ça datait de 1984. J’étais étudiant en médecine. On nous a parlé d’une maladie qui s’appelait la pneumocystose en nous expliquant que c’est une maladie immunodéprimée mais que de toute façon c’était très rare et qu’on n’en verrait jamais. 5 ans après j’en voyais deux par semaine. J’ai commencé à voir mes premiers patients séropositifs quand j’étais interne. Pour moi c’était une maladie comme les autres. Juste une chose, je fais parti d’une génération de médecins où en fait on a choisi de faire ce qu’on fait. Parce que généralement séropositif à l’époque ce n’était pas terrible. Je peux dire des gros mots ? Fallait être PD, fallait être négro, fallait être tout ça, toxico, ces gens-là. Et c’est vrai que ça ne se bousculait pas trop pour les prendre en charge. Donc la génération dont je fais parti, on s’occupait de ces patients-là parce que bon ça nous intéressait, on est là pour soigner tout le monde quand même. Faut pas le prendre mal mais c’était une histoire vraiment passionnante. On a eu l’impression vraiment de servir à quelque chose, de changer un peu la médecine, de changer les rapports avec les gens, de sortir un peu le médecin de son piédestal de docteur qui reste figé sur sa chaise. C’est vrai que quand on prenait quelqu’un en charge et puis qu’on le voyait entrer dans la salle de consultation au début des années 1990, on savait très bien ce qu’on allait lui dire, on allait lui tenir la main. Je crois que le couple que je suis depuis le plus longtemps c’est de juillet 1988. Ils sont en pleine forme. A la retraite mais ils sont en pleine forme tous les deux.

Fin du son

Reda : Réactions ? C’est vrai qu’il y en a un qui est plus coloré que l’autre. Ali ?

Ali : En même temps voilà, c’est un médecin hospitalier qui aurait pu choisir bien d’autres pathologies...

Reda : Un terme de base c’est la file active. La file active c’est le nombre de personnes séropositives suivies dans un service et c’est là où il y a un contraste qu’on va élaborer, qu’on va discuter avec Alexandra, qui est saisissant. On commence à nouveau par Laurent Fonquernie à l’hôpital Saint-Antoine. Un hôpital qui dépend de l’Assistance Publique.

Début du son.

Laurent Fonquernie : Dans un service comme le notre, environ 3 200 patients séropositifs sont suivis par an. C’est ce qu’on appelle une file active. Et ces patients, environ 10% d’entre eux sont des patients nouveaux vus pour la première fois dans l’année. Donc à peu près 350 nouveaux patients par an sont vus dans le service.

Fin du son

Reda : Ça c’est donc Saint-Antoine. 3 200 séropositifs ?

Alexandra : C’est ça.

Reda : Ça fait beaucoup. Et 350 nouveaux chaque année sans forcément avoir plus de moyen à chaque fois, ça fait du monde. Sachant qu’il y a 6000 à 7000 personnes qui découvrent leur séropositivité chaque année en France, dont la moité en région parisienne. Alors qu’en est-il à Gonesse ? On écoute Didier Troisvallets sur sa file active à lui

Début du son.

Didier Troisvallets : La file active du service tourne autour entre 750 et 800 patients. On a à peu près 80 patients nouveaux par an.

Fin du son.

Reda : Clairement Gonesse, le service maladies infectieuses, c’est plus petit que Saint-Antoine. Ça c’est une donnée de base, 750 à Gonesse, 750 personnes suivies, 80 nouveaux ; alors qu’à Saint-Antoine c’est 3 200 et environ 350 nouveaux. Mais ça on reste dans des proportions à peu près sur le nombre de découverte de séropositivité tout ça. Là où le contraste est saisissant c’est sur la composition du service c’est-à-dire à Saint-Antoine dans Paris, à côté du marais, quels sont les moyens qui existent ? Les moyens humains pour faire un service VIH. Et quels sont ces mêmes moyens, ces moyens qui devraient être équivalents et proportionnels à l’hôpital de Gonesse ? Donc là-dessus on écoute d’abord Laurent Fonquernie pour l’hôpital Saint-Antoine.

Début du son.

Laurent Fonquernie : Nous sommes environ 25 médecins, tous ne sont pas à temps plein. 1/3 des médecins qui sont à temps plein et 2/3 qui sont à temps partiel parce qu’ils ont une activité ailleurs. Quant aux infirmières et paramédicaux, ça doit représenter à peu près une cinquantaine de personnes, avec une surveillante générale, une surveillante de pôle, une surveillante de soin qui dirigent les infirmières et aides-soignantes du service. Et puis après il y a tout ce qui est activité de secrétariat, techniciens d’études cliniques, assistants de recherches cliniques, médecins d’études cliniques donc il y a beaucoup de gens qui gravitent dans un hôpital, dans un service.

Fin du son.

Reda : Alors 25 médecins certes pas tous à temps plein. Quand est-il à Gonesse pour ces 750 personnes séropositives ? Combien de médecins ? La réponse tripartite de Didier Troisvallets.

Début du son.

Samantha : Est-ce que vous pourriez nous dire la composition du service ?

Didier Troisvallets : Alors il y un, deux, trois docteurs unité d’hospitalisation et unité d’hôpital de jour. Je ne vais pas vous détailler le nombre d’infirmière parce qu’on en a jamais assez. Il y a 26 lits d’hospitalisation mais les séropositifs sont très minoritaires maintenant. Et puis il y a 11 places d’hôpital de jour où là c’est majoritairement des patients séropositifs qui viennent. Puis il y a l’unité de consultation comme un service normal.

Alexandra : Tous les médecins s’occupent des séropositifs ?

Didier Troisvallets : On s’occupe tous de tout. Moi c’est 80% de mon temps. Mes collègues c’est beaucoup moins, ça doit être entre 10 et 20%.

Samantha : Est-ce que vous avez des protocoles de recherches ?

Didier Troisvallets : Actuellement non. On est un hôpital de périphérie. La recherche ça nécessite beaucoup de médecins, beaucoup de personnel, qu’on a pas.

Fin du son.

Reda : Donc en clair, quand on décode ce que dit Didier Troisvallets, il y a... enfin moi ce que j’entends c’est que pour 750 personnes séropositives il y a un effectif temps plein. L’équivalent d’un médecin à temps plein pour suivre toutes ces personnes séropositives. C’est bien ça ?

Alexandra : Oui c’est ça.

Reda : Alors si on décortique par rapport à la taille de la file active. Est-ce que l’on peut comparer entre Gonesse et Saint-Antoine, combien de patients pour chaque médecins ?

Alexandra : Saint-Antoine ça fait un médecin pour à peu près une centaine de patients et donc par rapport à un médecin pour 600 patients à Gonesse.

Reda : Qu’est-ce qui peut expliquer cela ? Cette inadéquation en terme de moyen ? Et surtout en fait, quelles sont les conséquences pour les personnes qui sont suivies d’avoir un médecin 6 fois plus occupé que ne le sont ceux qui sont à l’hôpital Saint-Antoine. Est-ce que forcément ça a une conséquence sur la qualité du suivi, sur la qualité de la prise en charge ? Est-ce que Alexandra vous avez pu discuter de ça avec Didier Troisvallets ? Parce que quand il était venu à l’émission de radio en 2001, au départ il avait commencé en disant, « ne vous inquiétez pas, je peux suivre tous ces patients, je m’en charge, je m’en occupe  », jusqu’à ce que je commence à lui poser des questions. Comment ça se passe quand vous êtes en vacances docteur ? Quelqu’un doit changer de traitement, comment ça se passe ? Ça me semble un peu compliqué, est-ce que c’est toujours le cas ?

Alexandra : Ce qui laisse lui transparaitre c’est, en effet, son enthousiasme, son énergie, on a vraiment l’impression qu’il y a aucun problème. D’autant plus qu’il suit à distance, en liaison avec des médecins en Afrique. Il fait parti d’une association. Il suit une trentaine de patient à distance aussi.

Reda : Super médecin Didier Troisvallets !

Alexandra : Voilà ! C’est ça, en fait il ne laisse passer que ça, il ne laisse filtrer que ça, l’énergie, l’enthousiasme.

Reda : Est-ce que ça peut compenser le manque de moyens pour autant ?

Alexandra : Je n’en sais rien, je ne sais pas.

Reda : La prochaine question concerne la satisfaction. Tu peux nous expliquer de quoi il s’agit ?

Alexandra : Oui la question était est-ce que vous pensez avoir suffisamment de moyens pour travailler correctement ?

Reda : Justement. Alors réponse d’abord de Laurent Fonquernie. Donc un des 25 médecins pas tous à temps plein, de l’hôpital Saint-Antoine, service des maladies infectieuses avec 3 200 personnes séropositives suivies par le service.

Début du son.

Laurent Fonquernie : Je vous ai dit il y a 3 200 patients séropositifs suivies dans ce service. Donc c’est surtout une activité de consultation. L’impression générale mais, je ne peux parler que pour ce service après j’ignore les situations dans d’autres services qui peuvent être très diverses. Mais franchement, notre secteur ambulatoire est suffisamment bien organisé pour absorber la masse critique des 3 200 patients.

Fin du son.

Reda : Donc de nouveau, une assurance, une certaine confiance. Didier Troisvallets sa réponse fait 8 secondes. On écoute pour en rire après.

Début du son.

Samantha : Est-ce que vous avez l’impression que vous avez assez de personnel pour travailler dans de bonnes conditions ?

Didier Troisvallets : Ecoutez si vous connaissez un médecin qui va vous dire qu’il a assez de personnel, je vous offre le champagne.

Fin du son

Alexandra : Voilà donc je vais pouvoir rappeler le docteur Troisvallets pour le champagne (rires).

Reda : Pour réclamer le champagne ? Oui (rires).

- Sida des pauvres, sida des riches (1/3) : des inégalités de personnels entre services de maladies infectieuses de Paris et sa banlieue
- Sida des pauvres, sida des riches (2/3) : portraits contrastés des populations suivies dans deux services de maladies infectieuses
- Sida des pauvres, sida des riches (3/3) : l’écoute, substitut au manque de moyens en banlieue ?

Transcription : Sandra Jean-Pierre