Claude Evin | Drogues et réduction des risques (RDR) | Génération sacrifiée, 20 ans après
Entretien avec Claude Evin (3/8) : Les populations les plus pauvres touchées par le sida, une priorité pour l’Agence régionale de santé Ile-de-France
3 mai 2010 (lemegalodon.net)
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Reda : Alors la deuxième catastrophe on en a beaucoup moins parlé dans le débat public et elle n’a jamais fait l’objet d’un véritable débat mais les acteurs de santé public savent que la France a été le dernier pays d’Europe à mettre en vente libre les seringues et les rendre accessibles pour les usagers de drogue. Alors que tous les autres pays en Europe et ailleurs avaient décidé de le faire justement pour endiguer la transmission chez les usagers. À l’époque 80% des injecteurs étaient contaminés par le VIH. La mise en place, la politique de réduction des risques va faire chuter ce pourcentage à 30% assez rapidement. C’est finalement Michèle Barzach, ministre d’un gouvernement de droite qui prendra la décision de le faire donc là aussi je voulais vous poser la question des leçons à tirer et sur cette difficulté en fin de compte de la santé publique à agir dans un contexte où des milliers de personnes sont contaminées alors qu’on sait que les données scientifiques sont là pour en apporter la preuve. Les moyens existent pour empêcher cette contamination même si à l’époque en tout cas jusqu’à l’arrivée des trithérapies les médecins n’avaient pas grand chose à proposer face à la progression de la maladie. Mais quel est votre regard là-dessus et à nouveau sur ce retard particulier de la France en matière d’accès aux seringues et à cette population des usagers de drogues qui avait aussi des caractéristiques sociales particulières, c’est-à-dire que d’un côté il y avait le sida d’une population socialement distincte qui était le sida chez la population homosexuelle, et de l’autre côté chez les usagers de drogue où il y a des usagers de drogue de toutes les couches sociales mais où l’usage de drogue, les contaminations et les morts étaient concentrés sur les quartiers défavorisés parmi les populations pauvres et y compris celles issus de l’immigration. Si l’objet, une priorité de l’Agence, c’est de réduire les inégalités, est-ce que cette deuxième catastrophe peut-être aussi porteuse de leçons sur l’approche et sur le regard et l’attention apportée aux différentes populations, en particulier les populations les plus pauvres. La question est un peu longue je le reconnais.
Claude Evin : Oui. D’abord, sur le retard, la France, comparativement aux autres pays d’Europe, vous avez raison par rapport à un certain nombre de pays d’Europe, pas tous les pays d’Europe, mais peu importe, c’est du passé. Moi je peux notamment témoigner de la manière dont j’ai abordé le sujet en 1988, lorsque je suis arrivé au gouvernement, puisque vous me demandez ce que l’Agence peut apporter, je vous le disais tout à l’heure, l’Agence elle démarre. 3 semaines que l’Agence existe. Ce que je peux simplement apporter c’est ce que j’ai fait parce que là au moins, c’est une garantie. Moi lorsque je suis arrivé au gouvernement en mai 88, j’ai demandé immédiatement un rapport pour faire le point. Et en effet, des décisions avaient été prises concernant l’accès aux seringues, même s’il y a eu d’autres actions concernant par exemple, la question de l’injection et donc de la réduction des risques de contamination par voie intraveineuse et notamment pour les usagers de drogue, beaucoup d’autres actions ont été menées depuis. Mais c’est une action que moi j’ai salué qui est une action qui avait effectivement été décidé par Michel Barzach et qui me semblait tout à fait justifiée. A l’issue du rapport que j’avais demandé au professeur Claude Got, qui m’a donc été remis en août 2008, moi j’ai pris un certain nombre de décision. C’est moi qui ai créé l’Agence Nationale de Recherche, l’ARNS, l’Agence Nationale de Recherche contre le Sida, qui continue d’être effectivement aujourd’hui, et là aussi ça été une leçon d’ailleurs qu’on a pu tirer à propos du sida, qu’on a pu appliquer à d’autres pathologies puisque la mise en cohérence des autres équipements de recherche s’imposaient par exemple. C’est moi qui ai créé à ce moment-là l’agence de prévention, qui après a disparu, l’Agence Française de Lutte contre le Sida, c’est-à-dire une agence spécifique de communication, et les campagnes de communication en matière de prévention ont explosé en nombre d’une part, et en pertinence, je vous rappelle qu’à l’époque on ne parlait pas sur les médias des causes de transmission. Notamment des causes de transmission sexuelles. Le Conseil National du Sida c’est moi aussi qui l’ai mis en place. Donc voilà trois éléments qui parlent au regard de ce que j’ai fait moi-même et naturellement donc je continue de m’inspirer. Le Conseil National du Sida, le lien entre la mobilisation des acteurs, la mobilisation des associations et des professionnels, le lien entre les problèmes de société et les problèmes de prises en charge. Voilà par exemple des démarches qui s’imposent sur d’autres pathologies et que j’ai bien l’intention de développer.
Reda : Sur la question sociale, est-ce que sur cette époque-là, sur ces années 80, jusqu’à la fin des années 80, est-ce que vous seriez d’accord pour faire le constat que la santé publique a traité les besoins de la population en fonction des différentes populations touchées par le sida, en fonction de leur place dans l’ordre sociale, c’est-à-dire que l’enquête VESPA réalisée des années plus tard par France Lert, directrice de recherche à l’INSERM a montré que parmi les séropositifs homosexuels, les deux tiers appartiennent à des professions intermédiaires ou cadres alors que du côté des usagers de drogue, des hétérosexuels de manière générale, on parle de population précaire, très précarisée, souvent issues d’immigration et que l’héritage de tout ça ce serait qu’aux années 80 on a respecté l’ordre sociale dans le traitement des besoins. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce constat-là ou est-ce qu’au contraire vous estimez que la politique menée a été équitable au regard de toutes les populations ?
Claude Evin : Ecoutez, est-ce qu’elle a été équitable, c’est bien difficile de répondre aujourd’hui à cette question. Ce que je peux rappeler seulement quand même c’est que, en matière de prévention il y a eu des politiques ciblées, c’est-à-dire que nous n’avons pas conduit des politiques globales en la matière, enfin uniquement des politiques globales en la matière, elles étaient des politiques globales dans la prise en charge et dans la mobilisation des professionnels. Les messages étaient différenciés, les actions avec les associations avaient pour objet de toucher les populations précises qui ne sont pas en effet les mêmes lorsque l’on parle de la contamination par voie sexuelle. La relation et les actions conduites avec les associations qui rassemblaient les personnes homosexuelles par exemple ciblaient bien sur ces personnes homosexuelles, et elles étaient effectivement différentes de la population qui par exemple était contaminée par contamination intraveineuse, par la transmission de drogue et les politiques ont été ciblées à ce moment-là. Alors après, effectivement, le résultat n’est pas toujours à la hauteur des espérances que l’on y met. Moi en effet, ce qui me préoccupe le plus aujourd’hui, parce que là aussi on parle d’une situation il y a 20 ans, heureusement la situation a évolué même si la question du VIH reste une question pour moi très importante et particulièrement en Ile-de-France, il est évident que la population la plus touchée ou en tous les cas l’une des plus touchée en Ile-de-France c’est la population la plus précaire, c’est-à-dire la population d’étrangers, la population de personnes en situation de très grande précarité pour des raisons diverses et c’est vrai que cette réalité qui est celle d’aujourd’hui qui n’était pas tout à fait la même il y a 20 ans lorsque j’étais au gouvernement, est pour moi un sujet de préoccupation prioritaire.
Reda : Est-ce qu’il y a de votre part une volonté de faire un effort supplémentaire peut-être pour entendre et être à l’écoute des populations les plus défavorisées qui font face au sida et qui n’ont pas forcément les relais médiatiques, associatifs dont dispose la population homosexuelle ?
Claude Evin : Alors pas uniquement sur la question du sida, j’ai évoqué tout à l’heure, par exemple la question de l’accès au soin, j’évoquais notamment la Seine-Saint-Denis. Ce n’est pas le seul département urbain dans lequel il n’y a pas de professionnels de santé en soin de premier recours disponible pour l’ensemble de la population, c’est pour moi un sujet de préoccupation. La question des populations en grande précarité d’une manière générale est pour moi un sujet de préoccupation. Je me suis fixé l’objectif de réduire les inégalités de santé en Ile-de-France où on a globalement, le niveau de santé est bon, en moyenne, globalement. Mais on a des territoires de populations qui sont en très grandes difficultés. Pour prendre un autre exemple, je rappellerai que l’Ile-de-France est, avec la Guyane, la première région française, en matière de tuberculose par exemple. Donc on voit bien qu’il y a la conjonction d’un certain nombre de problème lourd qui touchent les populations en grande précarité et je souhaite qu’on développe des actions spécifiques vis-à-vis des populations en grande précarité dans l’organisation même de l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France, j’ai prévu que la question des populations en grande précarité soit un ce que j’appelle, un grand projet transversal parce qu’on n’aborde pas la question de la prévention avec les populations en grande précarité de la même manière qu’on l’aborde avec des personnes qui sont complètement intégrées socialement et professionnellement. On n’aborde pas non plus la prise en charge en ville et à l’hôpital de la même manière et donc il faut qu’il y ait une démarche transversale en ce qui concerne les personnes à grande précarité. De la même manière, les choses ne peuvent pas être cloisonnées , de la même manière d’ailleurs que je l’ai aussi érigé, la question du VIH en projet transversal. J’aurai une dizaine de projets transversaux dont la lutte contre le VIH.
Reda : Donc c’est effectivement le cas que pour les populations précaires fortement touchées par le VIH, c’est à la fois une priorité pour l’action de l’Agence dans le cadre de la lutte contre le VIH et dans le cas de la réduction des inégalités. C’est un petit peu à la croisée des chemins que se trouvent ces deux populations ?
Claude Evin : Oui tout à fait. C’est à la fois une population à grande précarité certaines étant touchées par le VIH mais une partie de la population étant aussi touchée par d’autres pathologies, une population à grande précarité et par ailleurs la question du VIH est un sujet qui faut prendre de manière transversale.
Transcription : Samantha Yeboah et Sandra Jean-Pierre
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