France Lert | Génération sacrifiée, 20 ans après | Homosexualité
Sida des riches du Marais et Sida des pauvres de banlieue : l’enquête VESPA témoigne de la réalité sociale de l’épidémie
19 février 2010 (lemegalodon.net)
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Reda : Alors il nous reste très peu de temps dans l’émission. Alors je voulais poser d’entrée de jeu deux questions qui nous préoccupent particulièrement au comité. La première concerne… Vous avez dit qu’il y avait de petites différences entre homosexuels et hétérosexuels… des différences d’ordre social. Est-ce que vous pourriez mieux les préciser. Parce que ça m’avait beaucoup marqué d’apprendre que - si je me souviens bien - parmi les séropositifs homosexuels, les deux tiers sont de professions intermédiaires ou cadres alors que côté hétérosexuel, ce sont plutôt les deux tiers qui sont au chômage ou dans des situations précaires, des emplois non qualifiés. Est-ce que c’est vraiment de la caricature, est-ce qu’en fait, au-delà des pratiques sexuelles, ce qui distingue vraiment ces deux populations, ce sont des différences de classe ou de situations sociales ?
France Lert : Alors c’est vrai que, d’une façon générale, la population homosexuelle infectée par le VIH, a un niveau d’étude un peu plus élevé que la population hétérosexuelle. Dans la population hétérosexuelle, il y a, à la fois – parce que je les inclus – les usagers de drogue qui ont eu parfois des parcours, quand même, beaucoup plus heurtés et socialement beaucoup plus difficile. Donc, il y a cette population. L’usage de drogue… Enfin, la dépendance aux drogues conduit à une marginalisation importante et d’autres parts, les usagers de drogue ont été infectés, il y a très longtemps. Ce sont des malades, ce sont des personnes qui ont été très infectées par la maladie, qui ont un moins bon état de santé, qui ont souvent l’hépatite C en plus. Et donc, les usagers de drogue sont une population qui a des difficultés sociales majorées. Parmi les immigrés et notamment, les immigrés africains, contrairement à ce qu’on dit, très fréquemment, ce sont des gens qui ont des niveaux d’étude relativement élevés. Mais les gens ont toujours l’impression que les gens arrivent d’Afrique directement du fin fond de la brousse. Pas du tout. Les gens qui arrivent en France sont souvent des gens qui ont des niveaux d’étude relativement élevés mais ils paient le poids de la migration et le poids, notamment, de la longue période dans laquelle ils sont, de précarité de leur statut où les personnes perdent l’avantage de leur statut éducatif et même de l’expérience et des qualifications professionnelles qu’ils ont pu avoir, et se retrouvent dans des situations de précarité et de pauvreté. Donc, il y a des différences. Certaines sont liées à des situations sociales un petit peu général comme le niveau d’étude et la qualification. Mais d’autres sont majorés, d’une part par la maladie et, notamment, par les comorbidités psychiatriques ou les comorbidités liées aux dépendances ou même à l’hépatite qui est une maladie extrêmement grave et qui affecte beaucoup la qualité de vie. Et puis, il y a tous ceux qui payent aussi le moment du diagnostic, qui est un moment dans lequel… c’est une rupture, c’est une brisure dans l’existence d’une personne. Et à un moment, moins d’attentions sont portées au social. Tout notre effort, je dirais, à partir de notre enquête « Vespa », c’est d’essayer de démontrer aux équipes cliniques, qu’elles ont également une responsabilité de ne pas disjoindre la prise en charge médicale de la personne et le fait qu’il faut absolument que la trajectoire de cette jeune… C’est souvent un jeune adulte. Pour moi, un jeune adulte… vraiment, l’infection, c’est entre 20 et 35-40 ans. C’est un moment-clé où les équipes ne doivent jamais baisser les bras sur l’insertion sociale de la personne. L’insertion sociale de la personne, ce sont aussi des revenus.
Reda : On comprend bien et c’est extrêmement intéressant de regarder qui se cache à l’intérieur de cette catégorie hétérosexuelle puisqu’il y a ces catégories historiques d’origine africaine et usagers de drogue par voie intraveineuse. Mais est-ce que le clivage homosexuel/hétérosexuel cache aussi un clivage de classe social. C’est-à-dire que même si on tient compte du fait qu’il n’y a pas que des usagers de drogue et pas que des gens issus de l’immigration parmi les hétérosexuels séropositifs. Est-ce qu’on arrive quand même… est-ce qu’on peut parler côté homosexuel, d’un sida du riche et de l’autre côté d’un sida du pauvre.
France Lert : Enfin, moi, je n’irai pas jusque là parce que quand on regarde bien la population…
Reda : Jusqu’où iriez-vous ?
France Lert : Non… La population homosexuelle, c’est une population qui est très diversifiée et il y a quand même aussi… Il y a des homosexuels en province.
Reda : Ça, c’est clair.
France Lert : Il y a des homosexuels avec des bas niveaux d’étude et il y a des homosexuels…
Reda : Il y a des précaires partout.
France Lert : Il n’y a pas que la précarité, il y a aussi des emplois d’ouvriers, des emplois d’employés avec des revenus relativement faibles. Mais c’est vrai que la différence aussi, entre les homosexuels et les hétérosexuels, c’est qu’il y a une catégorie qui est les femmes. Et les femmes, d’une façon générale, dans notre société, elles souffrent d’inégalité et je pense que, dans la population hétérosexuelle, elle est tirée vers des situations inégalitaires, aussi parce qu’il y a beaucoup de femmes, notamment des femmes avec des enfants et des familles monoparentales, qui ont quand même, d’une façon générale dans la société, des difficultés. Je crois que c’est ça, le cumul de ces situations qui fait que la population hétérosexuelle, d’une façon générale, elle subit de façon inégalitaire l’infection VIH plus que la population homosexuelle.
Transcription : Wilfried Corvo