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1-2-3 Algeria Morocco : deux séropositifs témoignent de la mort sociale que vivent les malades, malgré l’accès aux médicaments antirétroviraux

5 février 2010 (lemegalodon.net)

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Reda : On va pour la première fois diffuser des petits extraits d’un reportage réalisé par Ben à l’occasion de son voyage au Maroc. Il a rencontré des personnes vivant avec le VIH là-bas. Il a rencontré notamment notre ami Jamal Khalid de l’association « Le jour »mais aussi pleins d’autres gens qui travaillent dans le milieu hospitalier associatif. Aujourd’hui on va vous passer juste un petit extrait pour rentrer en discussion, pour entrer en matière un petit peu avec Saïd Mesnaoui, sur le sujet de cette pandémie du VIH, du virus. Aussi en dialogue ce sera Nabila qui va parler avec notre ami Amina. Elle connait la situation en Algérie. On va pouvoir croiser un petit peu le point de vue de l’artiste engagé et de quelqu’un qui connait ces questions de l’intérieur, de ces deux pays frères, le Maroc et l’Algérie. On va commencer par écouter 3 minutes13, un extrait de témoignage , enregistré par notre ami Ben au Maroc.

Début du son

— Personne vivant avec le VIH depuis 4 ans. Je vis ma vie normalement. Du point de la santé je peux vous dire que la trithérapie ça va, ça marche. Mais le malheur c’est que, en tant que personne vivant avec le VIH, je ressens la discrimination, la stigmatisation, la haine !

Ben : De la part de la population en général ?

— En général. Malheureusement on prive ce sujet et on récolte des dons et des vrais dons, au nom des personnes vivant avec le VIH. Or, il n’y a même pas, même l’association de lutte contre le sida et qui prétend qu’elle a une utilité public et qui a récolté pas mal d’argent, depuis le premier sidaction, n’a même pas mis un dispositif pour la réinsertion des personnes vivant avec le VIH. Comme vous le savez une personne vivant avec le VIH, elle est expulsée de son boulot, elle est méprisée par la société, personne ne peut l’accepter, même les plus proches de la famille.

Ben : Vous êtes en train de me dire que en dehors du traitement que vous prenez ici à l’hôpital, il n’y a rien d’autre ?

— Il n’y a rien d’autre. Il y a un manque ! Il y a un manque de soutien social. Le soutien social, c’est l’essentiel.

Ben : Est-ce que vous avez des activités afin de sortir de l’isolement ?

— A l’hôpital non. En tant que personne vivant avec le VIH, il y a seulement le contact avec les même personnes, les même malades. C’est là où on se soulage.

Ben : Il y a quelques années lorsque je suis venu rendre visite au service maladies infectieuses on m’a présenté une association qui prétendait s’occuper et aider les personnes séropositives dans l’insertion, dans l’éducation thérapeutique, ça existe ou pas ?

— C’est la ALCS, c’est la seule association qui s’occupe. C’est l’unique association qui occupe tout et si vous voulez c’est le leader, qui récolte les dons, qui partage comme elle veut, au nom des personnes vivant avec le VIH, suivant son plan stratégique.

Ben : Est-ce que ce sont vraiment des personnes concernées à l’ALCS ?

— Non absolument pas. Malheureusement ce ne sont pas des personnes...parce que l’ALCS dit : « on a 50 salariés ». Et dans ces 50 salariés de l’ALCS, les personnes vivant avec le VIH ne représentent même pas 3 ou 4 personnes. Or toutes les récoltes, tous les fonds, les investissements qui sont à leurs disposition sont au nom des personnes vivant avec le VIH.

Ben : Alors vous dites que tous ces dons ne vont pas directement dans l’aide directe aux malades mais va plutôt sur des frais de fonctionnement de l’association ?

— Des frais de fonction au nom de l’association comme le fait souligner madame la présidente, madame Himmich.

Ben : D’accord parce que madame Himmich est aussi présidente de l’ALCS ?

— On ne peut pas être deux patrons à la fois. Bon madame Himmich en tant que professeur c’est elle le chef des maladies infectieuses et en plus en même temps c’est la présidente de l’ALCS.

Ben : D’accord, il n’existe pas d’associations telles que AIDES, Act Up, qui est gérée par les malades eux-mêmes du sida ici au Maroc ?

— Il existe d’autres associations comme elle mais ils sont tous les mêmes. Tous ils veulent récolter des dons au nom des personnes vivant avec le VIH pour leur intérêts personnels.

Fin du son

Reda : Attaque en règle d’une personne qui vit avec le VIH au Maroc. Saïd Mesnaoui réaction par rapport à l’idée qu’en fin de compte les associations de lutte contre le sida sont corrompues peut-être à l’image...

Saïd : Bien sûr ça c’est clair. Au Maroc il n’y a pas de contrôle. Les gens qui contrôlent sont eux-mêmes corrompus. On voit maintenant, ça commence, beaucoup d’associations partout qui récoltent toutes les aides à droite, à gauche mais ils ne font rien. Ils montrent à la télé de temps en temps, dans les journaux, comme quoi ils ont fait tel,tel,tel mais dans la réalité il y a beaucoup de maladies, beaucoup de problèmes qui règnent au Maroc.

Reda : Bon évidement on doit expliquer que cet extrait de témoignage a été recueilli par Ben à l’occasion d’un voyage au Maroc. La valeur de témoignage, évidement on a pas d’élément nous permettant nous à l’émission...

Nabila : De contredire.

Reda : Ou de se prononcer voilà, sur cette question. Mais le fait même que quelqu’un qui vit avec le VIH est prêt à dire sur la place public.

Saïd : En Algérie, au Maroc...

Reda : Il y a quelque chose qui ne va pas oui.

Saïd : C’est très difficile pour dire que j’ai le SIDA, tout ça, c’est mal vu quoi. Tout le monde est loin de lui, de la discrimination totale quoi.

Reda : Amina on a fait connaissance avec toi mardi dernier à l’émission. Tu es algérienne, tu as vécu en Algérie et tu connais ces questions de la vie avec le VIH on va dire de l’intérieur. Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Amina : C’est Amina, comme je l’ai dit la semaine passée je suis venue d’Algérie bien sûr et là j’entends parler des associations. C’est Ben qui a fait l’interview au Maroc. C’est pratiquement la même chose en Algérie, c’est vrai qu’on a des associations. Ils disent que ce sont des associations VIH mais à vrai dire il y a plus de personnes qui ont des intérêts, qui ont...

Nabila : Qui n’ont rien à voir...

Amina : Voilà, qui n’ont rien à voir...

Nabila : Avec la maladie.

Amina : Voilà. Il y a une association la présidente c’est une femme séropositive bien sûr mais elle ne peut rien faire vis à vis des autres malades parce que bon... je ne peux pas dire qu’elle est , comment dirais-je, qu’elle est manipulée par...

Reda : Tenue ? Ou contrainte ?

Amina : Voilà c’est ça.

Reda : Elle n’est pas libre dans son action en faveur des personnes malades.

Amina : Elle n’est pas libre voilà. A chaque fois qu’on lui dit « on fait une action ensemble » et qu’elle n’est pas d’accord donc elle ne peut pas faire face aux autres personnes. Bien sûr c’est plus haut, donc on ne peut pas savoir, même si on a des problèmes, au niveau de l’hôpital, on doit courir seul et puis même vis à vis d’autres médecins, partout ils ne prennent pas des malades séropositifs, ils ne les prennent pas en charge, même en privé, c’est au niveau de l’hôpital c’est tout. On a bien sûr des analyses à faire tous les 3 mois ou bien 6 mois. On prend notre traitement c’est tout.

Reda : Alors Amina c’est Nabila, qui a préparé des questions et qui va donc, pour permettre aux auditeurs et aux auditrices, qui écoutent, parce qu’on entend sur les pays du Maghreb, que tout va très bien, qu’il y a la trithérapie, il y a même, en tout cas au Maroc, des lois contre les discrimination allant contre les personnes séropositives. Qu’en est-il réellement ? Nous on pense que ça passe, d’abord en écoutant, les personnes qui le vivent ou qui l’ont vécu là-bas. Donc je vais laisser la parole à Nabila pour poursuivre cette discussion.

Nabila : Oui merci Reda. Bonjour Amina. Tu commences à être une habituée de l’émission. Tu viens de rebondir sur le témoignage qui est malheureusement triste au Maroc et en même temps tu rebondis sur ce témoignage en disant que c’est pareil, en Algérie et que ça se passe pareil avec les associations et que les malades n’en profitent pas et qu’il y a beaucoup de contraintes concernant les gens qui gèrent ces associations et comme l’avait dit Ben en posant la question, que l’aide ne va pas directement aux malades et que les malades se débrouillent seul face à la maladie, c’est bien ça ?

Amina : Oui.

Nabila : En fin de compte tu confirmes ce qu’il se passe au Maroc. N’est-ce pas un état de lieu très triste par rapport à la situation des personnes qui vivent avec le VIH alors qu’on est en 2010 ?

Amina : Oui je trouve que c’est triste. Comme je vous ai dis, même vis à vis de la prise en charge, sociale, des malades et tout, ils disent : « venez,venez » mais quand on va une fois ou deux fois, ils ne sont pas, on n’est pas à l’aise, on repars avec tristesse. Même en dehors de l’association les gens n’acceptent pas les malades. D’ailleurs moi je travaille dans la santé mais je ne pourrais jamais dire que je suis séropositive parce que parfois il y a un débat, on parle comme ça, quand on parle de la maladie ils disent : « quoi ? Le sida ? Jamais de la vie ». Donc on ne peut même pas compter sur les gens même s’ils sont médecins.

Nabila : Alors moi une question me trotte la tête, j’ai envie de dire, comment vit aujourd’hui en Algérie, une personne séropositive ? Est-ce que c’est une personne qui a des amis, qui peut le dire à ses amis ou à des collègues, à l’école ? Est-ce que l’on peut imaginer une personne séropositive en Algérie, à l’heure où on parle, dire sa maladie sans contrainte social sans que, cette personne n’est à souffrir de quoique ce soit ?

Amina : Pas du tout. On ne pourra pas le dire. Ce n’est pas moi qui l’ai dit à ma belle-famille c’est l’hôpital. Donc j’étais carrément...

Nabila : Rejetée ?

Amina : Rejetée voilà. Depuis 2001 j’ai été rejetée de ma belle-famille, de mon mari, tout le monde. Donc je ne pourrais jamais dire à une autre personne que je suis séropositive, à part bien sûr mon frère et ma mère ils savent.

Nabila : Encore faut-il qu’ils soient réceptif et compréhensif.

Amina : Bien sûr.

Nabila : On dit que dans ces pays, les pays musulmans et les pays du Maghreb, la solidarité est un maitre mot dans ces pays. Comment se fait-il que par rapport au VIH, contrairement à d’autres maladies on voit quand même, qu’il y a la famille qui entoure et l’islam qui incite à soutenir les malades. Comment se fait-il que rapport au VIH, il en est autrement ?

Amina : Parce que le VIH pour eux ce n’est pas une maladie comme...

Nabila : Comme les autres.

Amina : C’est toujours, si la femme est séropositive, c’est qu’elle est malhonnête je ne sais pas...

Nabila : C’est-à-dire qu’elles véhiculent des choses pas nettes ? Pas claires ? C’est uniquement les femmes ou hommes et femmes ?

Amina : Surtout les femmes.

Nabila : Surtout les femmes.

Amina : Surtout les femmes. Les hommes ont le droit de faire tout mais la femme...

Nabila : En France, aujourd’hui en 2010, les femmes peuvent prétendre avoir des bébés et vivre entre guillemets je dirais, presque normalement avec la maladie. Est-ce que l’on peut dire la même chose en Algérie ?

Amina : Non.

Nabila : Et pourquoi cela ?

Amina : Il y a certains médecins en Algérie, je ne cite pas le nom, qui disent que, quand ils entendent une femme enceinte, ils commencent à crier « comment ça se fait ? Tu veux faire une autre victime ? ». Même la femme elle n’est pas, quand elle va accoucher, elle est mal prise en charge, d’ailleurs tout le monde la rejette. Moi j’ai assisté une femme, elle pleurait, elle était en sang et tout, ils ne voulaient pas la prendre. Donc je ne sais si c’est de l’ignorance ou personne ne voulait la toucher.

Nabila : Amina penses-tu que la population sache les moyens d’infection par le VIH ? Est-ce qu’un jeune adolescent ou une personne saurait comment c’est à l’heure actuelle, comment le VIH est transmissible ?

Amina : Ça dépend. Parfois maintenant, ils informent les gens par exemple au lycée et tout mais pas tout le monde. Ils ne savent pas comment se fait la contamination. D’ailleurs moi personnellement je pars chez un dentiste, il ne va pas me prendre en charge, parce qu’il dit, dès que je lui dis que je suis séropositive, « non non, je ne peux pas madame ». Donc il y a des gens qui ne disent même pas. Ils vont directement chez le dentiste. Ils ne disent pas qu’ils sont séropositifs pour eux c’est à lui de prendre ses responsabilités. Et partout, chez un gynécologue, dentiste.

Nabila : Une autre question aussi, comment se passe, toi Amina, qui voit régulièrement, je suppose et j’espère, un médecin infectiologue, comment se passe une consultation chez un médecin infectiologue ?

Amina : A l’hôpital où j’étais suivie, pas tous les médecins mais il y a un médecin qui essaye de faire comprendre, c’est quoi la charge virale, c’est quoi les CD4. Mais pour les personnes qui ne savent pas lire c’est très très difficile. Parfois ils leur donnent leur traitement : « vous avez un microbe dans le sang » et c’est tout. Ils viennent et passent, c’est par rendez-vous la consultation bien sûr, la charge virale c’est parfois 6 mois, ça dépend. Parfois l’appareil est en panne, parfois il n’y a pas de réactif et tout. Donc ils passent en consultation, ils consultent le malade, et lui donne son traitement...

Nabila : Sans résultat.

Amina : Parfois sans résultat. Ça dépend du médecin, ça dépend.

Reda : Saïd quand tu entends ce témoignage d’Amina ?

Saïd : C’est triste vraiment qu’est-ce qui se passe là-bas ? Au Maroc, en Algérie, la Tunisie ou tous ces pays là, l’information passe mal, ça c’est clair. Aucun médecin, aucun centre bien sûr, les bourgeois qui ont de l’argent tout ça, leurs enfants ils viennent ici ou en Europe. Mais pour les pauvres ça reste toujours impossible. Impossible dans les hôpitaux, aucun médecin qui prend la charge, ça c’est sûr.

Reda : Alors il y a quand même au Maroc, comme en Algérie, des antirétroviraux. Donc des médicaments sous forme de trithérapie, en tout cas ceux de première ligne qui sont disponibles gratuitement.

Amina : Oui, à l’hôpital.

Reda : Ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans.

Amina : Il y a parfois des ruptures bien sûr. Ils disent qu’on ne doit pas changer de traitement mais quand il n’y a pas ils sont obligés de...

Reda : Mais le progrès dans la médecine ou le progrès dans l’accès au traitement ne se traduit pas par un progrès social, par rapport au rejet, par rapport à la stigmatisation, par rapport à la discrimination. C’est ça ce que j’entends. Quand bien même c’est possible d’avoir une trithérapie, de ne pas mourir du sida et... Nabila : On a une mort sociale.

Reda : Ouais. La mort sociale, elle reste...

Nabila : Elle est indéniable.

Reda : Ali, toi qui connais un petit peu l’Algérie mais qui est d’ici, un parisien, un pur souche on peut dire.

Ali : Oui.

Reda : Quand tu entends Amina parler de cette situation en Algérie, comment toi, ça t’interpelle ?

Ali : Je me fais deux réflexions à savoir que déjà la misère des uns, fais le bonheur des autres. Je veux dire par là que ça donne du travail à des gens en Algérie comme ailleurs. Mais en l’occurrence il y a des médecins, il y a des acteurs sociaux, il y a je ne sais quoi, mais en définitif les malades, en particulier du sida, n’y trouvent pas leur compte et dans le domaine médical en Algérie c’est assez récurent du fait que les médecins ont été formé, on ne va pas refaire l’historique, il semblerait que ce soit à peu près la même chose en ce qui concerne le Maroc pour ce qui est de l’accès au traitement, de la prise en charge, du rejet social, médical, comme le dit Amina que même les médecins ou un dentiste refusent de soigner quelqu’un...

Reda : Ça existe en France aussi mais...

Ali : Oui c’est là où je voulais en venir...

Reda : Il y a une constante...

Ali : On fait le constat sur l’Afrique du nord en l’occurrence mais en définitif ce sont des choses qui existe encore en France 30 ans après le début de l’épidémie de quoi.

Reda : Et avec ici des moyens qui n’existent pas là pour faire face à tout ça, que ce soit la prévention, l’information, tout ça.

Ali : L’ignorance elle n’est pas que...

Saïd : Qu’en Afrique.

Ali : Voilà, elle est un peu partout et le rejet, la discrimination, tout ça.

Transcription : Sandra Jean-Pierre