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Quand on meurt du sida, le cercueil reste fermé : Nadine raconte comment la discrimination taraude les séropositifs même dans la mort
28 janvier 2010 (lemegalodon.net)
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Début du son
Nadine : C’était en 2007, 2008, 2008. Un copain à Pascal qui était décédé. Il était à Bordeaux. Sa famille était domiciliée dans le… Elle n’a pas eu le droit de voir son père. Pourquoi ? Parce que quand tu décèdes, on te met à l’hôpital d’abord, tu y restes quelques temps, pas trop longtemps. Et au funérarium, ce qui se passe, c’est qu’il ferme le cercueil. Il n’y a pas de veillée funéraire. Parce que c’est une loi qui date des années 90 qui considérait, à l’époque, le VIH comme une maladie contagieuse. Et donc, par mesure de sécurité, on avait mis cette loi en place. Donc cette fille n’a pas pu voir son père malgré un docteur, qui dans l’hôpital a tout fait pour qu’elle puisse le voir mais elle s’est heurtée à ses pairs qui lui ont fait des problèmes. Elle a eu de gros problèmes parce qu’elle s’est mêlée de cette affaire. Le médecin a voulu intervenir face à ceux qui transportaient le corps au funérarium mais il n’a rien pu faire. Je pense que c’est l’hôpital qui l’a signalé. De toute façon, il signale quand on décède parce qu’il y a cette loi. Donc, je pense que c’est pour ça qu’il le signale. Il était suivi à l’hôpital de Bordeaux. Il sortait de prison, il avait suivi un traitement… On le sait, il était guéri. Et il est sorti. Quelques temps après, il avait des problèmes au niveau des dents. Il ne se faisait pas soigner depuis très longtemps. Ils lui ont trouvé des tumeurs. Au début, ça allait, il avait l’air d’aller mieux. Et puis après, c’est monté au cerveau. Il est décédé, voilà. Il a été enterré mais sa fille n’a pas pu voir son père. Par exemple, j’habite à Toulouse. Ma mère habite à Nantes. Admettons que je décède. Et bien, elle ne peut pas me voir ou alors, il faudrait qu’elle puisse se rendre à l’hôpital. Mais je sais qu’à l’hôpital, il ne garde pas longtemps le corps. Donc, c’est un réel problème. C’est quand même une discrimination jusqu’à la mort, quoi. C’est vraiment dur pour les familles et pour nous-mêmes. Elle ne savait pas du tout que ça existait, elle a été choquée par rapport à ça. Moi je le savais, mais je ne savais pas que ça existait encore. Je le savais parce qu’en 1994, j’avais mon copain que j’avais, à l’époque, qui était décédé. Ils avaient fait la même chose. Je n’avais pas pu voir mon copain et ça avait été hyper douloureux. Je trouve ça vraiment très dur pour la famille, pour nous, parce qu’on se dit que si on décède, il va nous arriver ça. Et voilà, c’est très dur de penser à ça.
Fin du son
Reda : Nadine, correspondante du Comité des familles à Toulouse qui explique comment, suite au décès d’un de ses proches, la famille s’est rendue compte, que du fait d’une loi qui date quand même, le cercueil est fermé. C’est-à-dire scellé, interdit et que la famille ne peut pas voir… Voilà. Alors que rien ne le justifie. Ce n’est pas une maladie contagieuse. Le VIH ne se transmet pas comme ça. Et on en est là, en France, aujourd’hui. C’est une question dont personne ne parle, dont on entend pratiquement jamais parler. Avant de recueillir vos réactions, est-ce que… Wilfried, tu peux clarifier pour nous. Donc, tu es allé chercher sur Internet des informations sur cette question. D’où sort cette histoire de « cercueil fermé » ?
Wilfried : C’est une loi qui existe depuis les années 80 qui dit quand une personne, atteinte d’une maladie contagieuse, décède, elle doit être enfermée dans un cercueil fermé.
Reda : Mais le VIH n’est pas une maladie contagieuse. Donc à quel moment le VIH a été inscrit dans cette liste.
Wilfried : C’est le Haut Conseil de la Santé publique qui l’a inscrit dans une liste de différentes maladies. Il a donc inscrit le VIH et quand une personne est atteinte soit de cette maladie ou toutes les autres, le corps doit être directement enterré et ne peut plus être exposé. Donc la famille ne peut pas faire son deuil et personne ne peut voir le corps.
Reda : Ali, tu veux commencer ?
Ali : Oui, je suis complètement outré pour avoir vu bon nombre de personnes de mon entourage malheureusement décéder. Voilà, la discrimination jusque dans la mort, je trouve ça vraiment abominable, ça me met hors de moi. Je viens d’apprendre ça alors que j’aurai pu probablement l’apprendre par le passé. Mais là franchement, je suis complètement outré, je tombe des nues.
Reda : Tina.
Tina : Oui, moi aussi, je trouve ça vraiment grave. On peut dire bah… ça fait quoi… la personne est décédée, de ne pas la revoir. Mais si, ça renvoie à la famille, toute la discrimination que ce membre de la famille a dû vivre et ça reste quand même les derniers moments… je crois que ça reste marqué et que ça doit être difficile pour la famille de faire le deuil et que c’est vraiment jusque dans les dernières minutes que cette discrimination qu’a subie cette personne séropositive est miroitée.
Reda : Nabila, qu’est-ce que tu en penses ?
Nabila : Je suis stupéfaite du fait qu’une loi existe tout en sachant que le VIH n’est pas une maladie contagieuse. On le dit et on le répète Il faudra que nos amis auditeurs et auditrices l’entendent. Le VIH n’est pas une maladie… elle est transmissible, oui, mais pas contagieuse. Donc si on assimile le VIH à la peste, au choléra ou à l’ebola. Je suis désolée, il faudra peut-être que nos ministères revoient leur copie sur le VIH.
Reda : Wilfried, est-ce que tu as réussi à trouver qui est-ce qui détient le pouvoir de changer ce truc-là ? Est-ce que c’est un décret, une loi ?
Wilfried : Il y a l’avis du Haut Conseil de la Santé publique et le ministère de la santé qui peut changer cette loi. La seule évolution qu’il y a eu depuis vingt ans, c’est que l’incinération n’est plus obligatoire. Avant, on était obligé d’incinérer le corps directement.
Reda : Jusqu’à quand, jusqu’à quelle année ?
Wilfried : Jusque récemment, jusqu’à l’année 2009. La dernière évolution datée, c’est novembre 2009 où on a enlevé l’incinération.
Reda : Oui, il faudra quand même éclaircir cette question puisqu’on connaît des personnes qui sont parties et qui n’ont pas tous été incinérées.
Ali : Mais bon, je peux imaginer que, maintenant que j’ai eu l’information, dans les premiers décès, il y ait eus des crémations. Dans mon entourage, je n’ai pas vécu ça. Mais qu’une telle loi ait été décrétée, rien que ça, ça me donne envie de gerber.
Reda : Mais le truc que j’ai vu. Je pense à une famille en particulier dont j’étais très proche et où j’étais présent jusqu’au décès de la personne. La famille a appris ça dans le contexte du deuil. Et ce n’est pas le moment où on va aller faire des lettres au ministère de la Santé, où on va mener une action. On est pris par la douleur. Je pense que si cette situation perdure, c’est aussi de ce fait-là. C’est aussi parce que les gens ne le savent pas. Il n’y a aucune information là-dessus. Je ne vois pas… mais c’est absolument insupportable. Alors Amina arrive d’Algérie et a cette image qu’en France, les choses sont beaucoup plus avancées, qu’il y a moins de discrimination. Face à une nouvelle comme ça. A savoir qu’en France, il existe jusque dans la mort, cette discrimination qui frappe les personnes séropositives et par extension leur famille. Comment est-ce que tu réagis ?
Amina : Je suis étonnée, je ne sais pas. Parce que, vraiment, ici… Moi, j’ai eu l’expérience. Mon fils est décédé. Mais c’est ma belle-mère qui a dit qu’on doit brûler ses affaires, qu’on doit… Là, je comprends parce qu’en Algérie, c’est vrai il y a beaucoup de…
Reda : D’ignorance.
Amina : Mais c’est vrai qu’ici, je suis étonnée.
Nabila : C’est différent. Un problème d’information, on ne peut l’assimiler à de hautes autorités qui travaillent dans le domaine la santé pour décréter une loi pareille.
Reda : Il y a aussi beaucoup de problèmes autour du rapatriement des corps lorsque la personne qui décède, est séropositive. Moi, je sais… Ali, tu dois connaître ça aussi. Des difficultés, des blocages, des douanes qui vont bloquer le corps alors même que c’est bien quelqu’un du pays, mais des douanes qui ne veulent laisser rentrer des corps de personnes séropositives.
Nabila : Ce n’est pas pour cette raison, Reda. Parce que je peux te dire et t’affirmer pour avoir vu beaucoup de personnes décédées notamment mon beau-père, ma tante… des gens de ma famille décédés d’autres choses telles que des maladies cardiaques et tout ça. Du fait qu’il y a problème antérieur de terrorisme en Algérie qui est encore récurrent, on a peur de passages d’armes, on scelle directement le cercueil que ce soit pour une maladie infectieuse ou pas.
Reda : Non, je ne parle pas de la fermeture du cercueil. Je parle de corps qui sont restés bloqués par les douanes. Je ne parle pas de l’Algérie. Il n’y a pas que l’Algérie même si c’est vrai qu’on a gagné. (rires)
Nabila : Non, mais je parle de l’étranger.
Reda : Le débat, en tout cas, est ouvert. On aimerait bien que les auditeurs qui, soit, ont vécu ça, soit qui se sont sentis interpellés, réagissent sur le site survivreausida.net.
Wilfried Corvo