Skip to main content.

Couples concernés par le VIH | Droit de vivre en famille | Logement | Philippe Labalme

À Paris en 2010 : des Appartements de Coordination Thérapeutique ouverts aux familles touchées par le VIH !

6 janvier 2010 (papamamanbebe.net)

| Votez pour cet article

Reda : Avec nous, il y a Philippe Labalme. Il est directeur de Cordia, qui est une association spécialisée dans la prise en charge d’Appartements de Coordination Thérapeutique. Est-ce que vous pouvez vous présenter et nous présenter l’association ?

Philippe Labalme : Bonjour à tous. L’association Cordia est présente sur Paris depuis 1997 et sur Tours et Poitiers depuis les années 2007-2008. Nous gérons des Appartements de Coordination Thérapeutique ouverts à toute personne qui a une pathologie chronique invalidante. Mais majoritairement, nous recevons des personnes qui ont le sida et qui n’ont pas de logement ou qui ne peuvent pas habiter leur logement pour cause d’insalubrité ou d’inaccessibilité.

Reda : J’ai cru comprendre que l’association Cordia avait une histoire par rapport au milieu artistique.

Philippe Labalme : Vous avez très bien compris. L’association Cordia est née d’une rencontre entre un aumônier du spectacle, un prêtre dominicain qui a voyagé dans tous les théâtres de France et Navarre et qui a vu la détresse des acteurs, du personnel et des intermittents atteints par le sida. La protection sociale des intermittents du spectacle a favorisé cette action sociale en achetant un immeuble où nous avons pu construire onze studios d’Appartement de Coordination Thérapeutique.

Reda : Ce qui vous a rapproché du Comité des Familles, c’est que vous portez aujourd’hui un projet qui est innovant et qui s’adresse tout particulièrement aux personnes qui ont des enfants, des personnes qui sont en couples avec des enfants, c’est-à-dire des familles. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce projet ?

Philippe Labalme : Ce projet a reçu l’aval des autorités pas plus tard qu’hier (le 15 décembre 2009, ndlr) donc c’est très récent. Nous avons l’intention d’ouvrir sur Paris en 2010 une vingtaine d’appartements aux familles monoparentales ou en couple avec enfants dont l’un ou l’autre ou les deux ont une pathologie chronique invalidante. Ce sera la première fois que l’association Cordia pourra héberger et accompagner des familles avec enfants vers un relogement, une réinsertion sociale, une observance médicamenteuse et un accompagnement psychologique pour se réinsérer dans la cité.

Reda : Autour de la table, est-ce qu’il y a des questions pour Philippe Labalme sur ce projet ?

Tina : Vous dites que avez une vingtaine d’appartements par rapport à la demande et aux besoins des familles. Est-ce que ça répond à peu près ou ce n’est pas assez ?

Philippe Labalme : Déjà, 20 appartements, c’est énorme par rapport à nos possibilités mais surtout, cela fait peur à nos tutelles car cela veut dire 30 enfants ou accompagnants. (accompagnant est le terme qui désigne enfants ou personnes vivant avec la personne malade, ndlr). Actuellement sur Paris, il n’y a que trois structures qui peuvent accueillir des familles et la plus grosse structure n’a que 6 appartements. 20, c’est peu par rapport à la demande. On estime qu’il y a une centaine de familles qui auraient besoin d’un Appartement de Coordination Thérapeutique mais c’est déjà un premier pas. Si on voit que la demande est de plus en plus importante, nous n’hésiterons pas à relancer un projet pour augmenter les places.

Reda : Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous avez découvert le Comité des Familles et quel regard vous avez sur cette association qui est portée non par des professionnels mais qui a été créée et est gérée par des familles directement concernées par la maladie ?

Philippe Labalme : J’ai découvert le Comité des Familles par le net, avec votre site.

Reda : papamamanbebe.net pour ceux qui ne connaissent pas encore.

Philippe Labalme : Et je vous ai découvert physiquement grâce à votre invitation. Je trouve qu’une association qui est portée par les usagers, qui vit grâce aux usagers au cœur de la problématique, et c’est vraiment très important. Actuellement dans les ACT, nous avons des Conseils de vie sociale qui essaient d’impliquer les usagers à gérer une partie de leur séjour. C’est vrai que c’est difficile de les impliquer. Là, je vois que dans une association, ça fonctionne parfaitement et peut-être que nous avons à travailler ensemble pour améliorer l’information donnée aux personnes souffrant de pathologie, quelles qu’elles soient, et à les informer des solutions qui existent car il en existe. Peut-être pas suffisamment pour tout le monde mais il en existe et il y a encore trop de personnes qui sont dans l’ignorance.

Reda : Est-ce qu’il y a au sein de l’association Cordia, au sein du Conseil d’administration, des personnes qui représentent les familles dans ce nouveau projet ?

Philippe Labalme : Nous avons eu une administratrice qui avait perdu son fils atteint du sida mais actuellement, nous n’avons pas d’administrateurs qui vit la maladie en tant qu’usager. Ce sont des personnes issues du spectacle, des médecins, des directeurs d’hôpitaux ou de structure hospitalière qui font partis du Conseil d’administration. Le président est toujours le père Bolet. Nous n’avons pas encore d’usagers mais nous songeons à ouvrir le Conseil d’administration à un ou deux usagers.

Reda : Dans le milieu artistique, parmi les personnes atteintes et la catastrophe qui a frappé ce milieu, il y a beaucoup d’homosexuels qui ont été touchés. Beaucoup de la mobilisation et donc de la sensibilité tournent autour de la population homosexuelle, et là vous avez décidé d’ouvrir vos structures aux familles. Qu’est-ce qui vous a poussé à ouvrir les portes ? On a vu des structures d’ACT où on avait le sentiment qu’il y avait une priorité faite ou donnée à une population qui passerait peut-être avant les autres.

Philippe Labalme : À Cordia, nous avons déjà ouvert des structures aux familles mais en Province, à Tours et Poitiers, parce que ces logements sont bien plus faciles à trouver. Nous pouvons louer des T3 et des T4 pour accueillir une maman avec ses trois enfants donc Cordia à déjà travailler sur cette problématique. Par contre, je ne suis pas forcément en accord avec vous. Les ACT ne sont pas forcément ouverts que pour les gays. Et ce n’est pas parce qu’au départ, nous avons été aidé par le monde du spectacle que nous ne sommes orientés que vers le monde du spectacle. Actuellement, nous sommes ouverts à toutes les populations. Nous ne faisons aucune discrimination. Nous avons sur Paris neuf ou dix nationalités différentes. Nous avons toutes les croyances et tous les styles de vie, gays, hétéros... Ce qui a rendu impossible l’accueil des familles, c’est la difficulté de trouver des appartements en location ou le prix d’achat d’appartements de grande surface pour pouvoir accepter des familles. Maintenant, avec ce projet nous avons travaillé avec la DDASS et le Samu Social pour répondre à des besoins spécifiques. C’est pour cela que nous avons quand même "limiter" si j’ose dire, mais il y aura forcément des exceptions, les familles à un ou deux accompagnants. Il nous sera difficile par exemple, de louer vingt T5. Financièrement, nous n’aurons pas la capacité. Par contre, nous allons essayer de répondre à des demandes de familles qui ont plus d’un ou deux accompagnants afin de répondre aux besoins réels.

Reda : Est-ce que c’est pas concrètement une exclusion, de fait, des familles nombreuses où parmi ces familles, il y a des familles issues de l’immigration ?

Philippe Labalme : Les familles issues de l’immigration n’ont pas forcément cinq ou six enfants. Il y a des femmes, parce que souvent elles sont seules, qui ont un ou deux enfants. Ce projet est pratiquement fait pour elles et toutes les autres bien entendu. On essaie de répondre à tout mais il y aura toujours des exclusions. On ne peut répondre à l’ensemble des demandes. Tout à l’heure, vous m’avez demandé si vingt places étaient suffisantes et je vous ai dit non. Il y aura donc des exclusions. Actuellement, nous recevons 270 demandes d’Appartements de Coordination Thérapeutique par an sur Paris pour 23 places. Cela fait 253 exclusions par an. Nous ne pouvons pas faire autrement, nous ne sommes pas la seule association. Par notre travail, nous aurons 43 places sur Paris. Nous essayons de répondre à l’ensemble des besoins mais nous ne sommes pas seuls et nous ne pourrons pas y répondre tous seuls.

Reda : Là où le bât blesse avec les ACT, c’est cette inadéquation entre la demande et le nombre de places disponibles. Comment vous faites, quels sont vos critères ? Vous devez siéger en que directeur de l’association au sein de la commission qui décide. Ce sont des décisions difficiles à prendre. Qu’est-ce que vous regardez dans le dossier d’une famille et comment est-ce que vous comprenez au-delà du dossier qu’il y a derrière des hommes, des femmes et des enfants qui galèrent, qui souffrent et qui ont des difficultés ? Comment faire ces choix-là ?

Philippe Labalme : Quand nous recevons un dossier "papier" si j’ose dire, nous ne connaissons pas la personne. Donc notre volonté est de les connaître. Nous rencontrons les candidats deux fois avant de prendre une décision. Nous leur demandons de nous expliquer leur projet de vie et leur situation. Au départ, avant de les recevoir, nous faisons par exemple une sélection pour le personnes qui ont le sida car c’est aussi en fonction de leur CD4, de leur pathologie, de leur situation de logement. Ceux qui n’ont pas de logements, qui sont à la rue, qui ont des CD4 très bas et qui ont très peu de moyens de ressources sont prioritaires. Après, c’est aussi en fonction de leur projet de vie, s’ils ont envie de s’en sortir, s’ils n’attendent pas tout de nous. Nous accompagnons, nous ne faisons pas à la place de. Et pendant les 18 mois qui est le temps de séjour moyen dans un ACT parisien, nous allons avec des équipes de médecins, infirmiers, psychologues, éducateurs, nous allons leur donner toutes les chances pour qu’ils refassent leur dossier professionnel et social, pour qu’ils refassent une demande de logement, qu’ils obtiennent des aides financières afin qu’ils puissent redémarrer dans la vie.

Reda : Ok, ça c’est sur l’entrée. Qu’en est-il de la sortie ? Quelle est la durée moyenne d’un séjour dans un ACT avant de trouver un vrai logement avec un bail et un clé à son nom ?

Philippe Labalme : Cela peut aller de 6 mois à 5 ans. La moyenne est de 18 mois sur Paris. On a beaucoup de chance. En général, c’est de 24 à 30 mois. Dès que la personne se sent en capacité de vivre seule, nous essayons de travailler avec lui ou avec elle pour élaborer toutes les démarches sociales pour un logement. Il y a parfois des personnes, et j’en ai encore eu l’exemple aujourd’hui, qui obtiennent un logement via un accord collectif mais qui fuient le logement tellement elles ont peur de se retrouver seules.

Reda : Ce n’est pas par rapport à la distance ?

Philippe Labalme : Non, le logement est à Paris. Il est très bien, 30 mètres carrés pour une personne avec un petit balcon mais la personne ne se sent pas en adéquation et en capacité de quitter la structure et tout simplement d’affronter tout seul les problèmes de la vie. C’est assez rare mais cela existe. On fait tout pour éviter ça et c’est pour cela qu’on a un accompagnement qui peut durer jusqu’à 5 ans.

Ousmane : Pour ceux qui sont en couple mais qui sont sérodifférents, qu’en est-il pour eux ?

Reda : En clair, est-ce que vous pouvez financer la place de quelqu’un qui n’a pas le VIH mais qui partage sa vie avec quelqu’un qui l’a ? C’est une très bonne question.

Philippe Labalme : Les 30 places d’accompagnants, cela peut être des enfants, le compagnon ou la compagne sérodifférent puisque forcément il est non infecté sinon il serait parmi les 20 places. Quelqu’un qui est sérodifférent est un accompagnant, qu’il soit un enfant ou un adulte.

Reda : Merci Philippe Labalme. Vous êtes donc le directeur de l’association Cordia, une structure d’Appartements de Coordination Thérapeutique. On espère avoir l’occasion de reparler avec vous de ce projet qui démarrera en 2010 d’accueillir 20 familles en ACT.

Philippe Labalme : C’est bien cela. Merci.

Reda : Merci et à bientôt.