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Jean-Daniel Lelièvre | Pouvoir médical | Thaïlande | Vaccin préventif | Vaccin thérapeutique

Essai vaccinal thaïlandais : une « découverte importante » pour les scientifiques, mais pas pour les séropositifs (avec Jean-Daniel Lelièvre de l’ANRS)

5 octobre 2009 (lemegalodon.net)

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Reda : En direct avec nous en principe le docteur Jean-Daniel Lelièvre, médecin en immunologie à l’hôpital de Créteil. Est-ce que vous nous entendez ?

Jean-Daniel Lelièvre : Oui je vous entends.

Reda : Bienvenue, on vient d’écouter monsieur et madame tout le monde, un micro-trottoir. La question posée c’était : est-ce que le vaccin contre le sida existe ? Au moins une personne nous a répondu que oui, il y a un vaccin. Qu’en est-il vraiment Docteur Lelièvre ?

Jean-Daniel Lelièvre : Le vaccin malheureusement, le vaccin contre le VIH n’existe pas. Il y a de nombreuses recherches qui visent à le mettre point. Et l’actualité fait que nous venons d’avoir des résultats d’un essai de phase 3, c’est-à-dire un grand essai mené chez des volontaires séropositifs et qui visait à voir si ce vaccin était protecteur. Il n’y a pas de, pour l’instant de vaccin mais il y a des essais en cours en tout cas, il y avait des essais en cours et le dernier vient de se terminer et à donner des résultats qui sont certes peu importants mais qui sont positifs et qui montrent que pour la première fois on peut tenir avec un vaccin, une protection contre cette maladie.

Reda : Alors il y a eu une très grande médiatisation de ces résultats préliminaires de cet essai de candidat vaccin en Thaïlande sur 16000 volontaires. Quel est votre regard sur cette médiatisation alors que les résultats dans le cadre scientifique n’ont pas encore été publiés, discutés, débattus. Est-ce que si l’homme ou la femme de la rue, pense que le vaccin existe déjà, est-ce que cette surmédiatisation y serait pour quelque chose d’après vous ?

Jean-Daniel Lelièvre : C’est possible, c’est toujours difficile, moi je suis un médecin, un homme de science et je ne suis pas un journaliste, un homme des médias. C’est toujours très difficile de savoir pourquoi les informations sont médiatisées. Ce qui est important quand même pour nous, c’est que pour la première fois, nous avons une stratégie vaccinale qui a montré une efficacité clinique. Évidemment nous avons envie de parler de ces résultats qui sont encore une fois, pas majeurs. Il n’y a pas 100% de protection contre cette infection malheureusement. Mais il y a des résultats qui sont très encourageants et que pratiquement on n’espérait pas dans le cadre de cet essai vaccinal.

Reda : Alors autour de la table il y a toute l’équipe de l’émission survivre au sida et ainsi que des invités. J’aimerais maintenant leur laisser la parole pour que chacun d’entre eux puisse poser, vous poser ces questions concernant cette annonce d’essai vaccinale qu’on puisse essayer d’y voir un peu plus clairement sur les enjeux de cet essai et de la communication autour de la recherche pour les personnes, les premiers concernés, pour les séropositifs et ceux qui les aiment. Qui veut commencer, Tina ?

Tina : Oui en fait, quand il y a eu cette annonce, à la télévision et dans tous les journaux et tout. Plein de personnes venaient me voir et me disaient c’est une vraie révolution parce qu’ils me savent séropositifs et moi j’avais justement pas vu les nouvelles. Un moment donné je me suis dit mais apparemment c’est comme s’il avait eu vraiment un remède, un miracle alors je me suis intéressée à la question et j’ai vu que c’était pour moi, quasiment rien du tout, parce que déjà on avait parlé de résultats similaires il y a déjà quelques années et de dire 1 sur 3 des personnes, ça pourrait marcher, je ne vois pas en quoi ça avance la...

Jean-Daniel Lelièvre : Alors ce qu’il faut comprendre. Tout d’abord il n’y a pas eu de résultat similaire, c’est la première fois qu’on montre ça chez des sujets séronégatifs. Deuxième chose effectivement, vous posez la question du vaccin d’un côté prophylactique et qui s’adresse aux sujets qui sont séronégatifs et le vaccin thérapeutique qui s’adresse aux sujets qui sont déjà infectés. Évidemment la population n’est pas la même, les stratégies vaccinales sont les mêmes. Parallèlement à la recherche sur un vaccin prophylactique, nous menons des recherches sur un vaccin thérapeutique. Le but du vaccin thérapeutique n’étant pas à l’heure actuelle de faire disparaître la maladie, vous savez qu’il y a le problème des réservoirs et ça, c’est une autre question. L’intérêt d’un vaccin thérapeutique serait de contrôler suffisamment l’infection pour ne plus avoir besoin de traitement, de pouvoir arrêter le traitement, en dehors des interruptions thérapeutiques qu’on avait envisagé dans le passé dont on sait qu’elles ne fonctionnent pas quand elles ne sont justement pas aidées par ce type d’approche. Alors effectivement, ça ne va pas changer votre vie de tous les jours de personnes séropositives, mais c’est une avancée pour nous importante et c’est une avancée importante pour tout le monde parce que ça va nous permettre de comprendre qu’elles sont les corrélats de la protection, qu’est-ce qui protège contre la maladie.

Reda : Mais justement Jean-Daniel Lelièvre, comment un vaccin qui aurait un effet préventif, première question un peu technique, vous êtes convaincu par les intervalles de confiance publiés par les chercheurs sur cet essai thaïlandais parce qu’il y a des gens comme Denis Burton qui s’interroge là dessus. C’est-à-dire pour savoir si les résultats seraient statistiquement valables ou s’il pourrait s’agir d’un coup de bol d’une part. Et deuxièmement au niveau de la biologie moléculaire, comment est-il possible qu’un vaccin, qui aurait un accès, un effet préventif n’en aurait pas un au niveau thérapeutique parce que, les résultats par voie de presse qu’on a, disent justement cela. Et ensuite on a des questions sur le live, sur le site survivreau sida.net qu’on va vous poser, mais deux questions techniques importantes il me semble.

Jean-Daniel Lelièvre : Pour répondre sur les questions techniques, moi je ne suis pas un statisticien, évidemment il faut répéter les études et soit... Denis Burton est comme tout le monde, il se base, la médecine actuelle est basée sur les résultats statistiques et les résultats statistiques sont présents. Un résultat statistique avec une estimation telle qu’on a habituellement c’est une chance sur 20. Un risque sur 20 d’avoir un risque positif alors qu’il ne l’est pas. Les statistiques sont ainsi faites.

Reda : Donc, pour vous les intervalles de confiance sont convainquant, sont crédibles.

Jean-Daniel Lelièvre : Les intervalles de confiance sont convainquant mais encore une fois, je pense qu’il ne faut pas se fixer, se figer sur cet essai en particulier. Les candidats vaccins qui ont été utilisés pour cet essai, ne sont probablement pas les meilleurs. Ce sont des candidats vaccins...

Reda : En clair ils n’avaient jamais montré leur efficacité toute seule .

Jean-Daniel Lelièvre : Ça, ce n’est pas vrai, ils ont montré une immunogénicité dans l’essai phase 2. Il y a deux des candidats vaccins qui avaient été utilisés, qui utilisé seul n’avait pas montré d’efficacité dans des essais phase 3, c’est-à-dire en terme de protection contre la survenue d’une infection mais dans les essais de phase 2 ils montraient qu’ils étaient immunogènes, qu’ils étaient capables d’induire une réponse immunitaire.

Reda : Alors Sandra est branchée avec les auditeurs qui sont sur le site survivreausida.net qui écoutent l’émission. Elle a aussi des questions des auditeurs pour vous.

Sandra : Alors bonjour.

Jean-Daniel Lelièvre : Bonjour

Sandra : Donc plutôt des commentaires là, il y a Hadja qui dit : « On est fatigué avec toutes ces promesses, on veut du concret » . Ben qui rajoute « Il faut cesser de faire des coups médiatiques à la veille du 1er décembre » . Nadine qui partage cet avis et puis qui pose une question, « Ne serait-il pas judicieux au lieu de faire des recherches sur un éventuel vaccin, de faire une vraie politique de prévention ? »

Jean-Daniel Lelièvre : Alors encore une fois moi, on me demande d’intervenir, je ne fais pas personnellement pas de coup médiatique. Les coups médiatiques c’est important quand il y a des résultats quand ils sont présents. Ensuite, c’est la responsabilité des journalistes et des gens éventuellement des laboratoires de savoir comment on diffuse l’information.

Reda : Mais est-ce qu’à votre avis justement, en tant que médecin, je ne sais pas si vous soignez des personnes atteintes, vous entendez les conséquences dramatiques de ce type d’annonce, est-ce qu’à votre avis, c’est vraiment comme ça qu’il faut faire ?

Jean-Daniel Lelièvre : Non mais ça, c’est une autre question. C’est toujours très difficile ce type d’annonce mais ça dépend comment les choses sont annoncées dans les médias.

Reda : Mais est-ce là en occurrence vous avez le sentiment que ce qui a été annoncé...

Jean-Daniel Lelièvre : Si vous regardez la manière dont ça a été annoncé, c’est une avancée dans la recherche vaccinale avec une protection qui est faible, nous n’avons pas découvert le virus, mais pour une fois nous avons une véritable piste pour avancer. C’est ça le message de la communauté scientifique en tout cas, de l’ANRS, de la communauté scientifique auquel j’appartiens...

Reda : Donc, qu’en est-il du ministre de la santé qui publie un communiqué pour saluer ce qu’elle qualifie d’une avancée majeure. Est-ce que pour vous une protection du type d’un tiers, une protection au tiers, est-ce que c’est vraiment une avancée majeure ? Et est-ce que c’est comme l’a dit Roselyne Bachelot un grand espoir dans la lutte de cette maladie ? Grand espoir est-ce que ce n’est pas excessif à la vue de la réalité des résultats rapportés et du tiers de protection ? Un vaccin qui protège une fois sur trois si la capote protégeait une fois sur trois, ça ne serait pas un moyen de prévention digne du nom par exemple.

Jean-Daniel Lelièvre : Encore une fois, je ne suis pas Roselyne Bachelot. Je ne tiendrai pas ce type de discours. Ce que je peux vous dire moi c’est mes impressions en tant que médecin soignant. Je m’occupe de patients séropositifs et en plus de chercheur, je travaille sur la réponse immunitaire au niveau de l’infection et sur le vaccin. Oui c’est une avancée importante, avancée majeure ça ne veut pas dire grand-chose. Je pense qu’évidemment c’est moins important que la découverte des trithérapies en 1996. Mais c’est une avancée importante puisque pour la première fois, la possibilité d’avoir une protection alors il faut que, encore une fois, on aille un peu plus loin et qu’on comprenne pourquoi les gens étaient protégés. Alors ce qui est important de comprendre c’est que l’effet de ce type de stratégie vaccinale est un petit dur à comprendre et probablement pas le même dans toute la population parce que le système immunitaire que vous avez, que j’ai moi, est différent. On ne reconnaît pas forcément les mêmes bouts d’un candidat vaccin. Ce qui peut expliquer qu’une faible partie des gens était protégée et pas 100% des gens étaient protégés dans le groupe qui a reçu le vaccin. C’est une avancée importante, avancée majeure me paraît effectivement un terme peut-être excessif dans ce cadre-là.

Reda : Alors Joël est avec nous en studio. Il a une question, ainsi que d’autres questions sur le live sur le site survivreausida.net

Joël :Oui bonjour docteur.

Jean-Daniel Lelièvre : Bonjour.

Joël : Oui donc par rapport à ces effets d’annonces, donc moi je suis séropositif depuis 92, j’ai déclaré un sida en 98 et c’est vrai que je pense à un moment donné il est prudent, et ça, c’est un manque je pense au niveau de ce qui se passe par rapport à la politique générale que l’on a en France en ce moment par rapport à la santé. C’est que, comme vous le disiez tout à l’heure, c’est que ces effets d’annonces sur la population qui a juste une bride d’information sur ce vaccin, comme ça a pu se passer en 2003 je crois un journal de presse avait dit ça y est on a trouvé le vaccin où justement des personnes lâchent...

Reda : En rapportant des informations de l’ANRS à l’époque, et pas de chercheurs américains. Joël : Oui et donc il y a des personnes qui justement se rapprochent de vous. Moi ça m’est arrivé, en appelant mon médecin en SOS pour dire qu’est-ce qui se passe, est-ce vraiment on peut compter, on peut lâcher les traitements.

Jean-Daniel Lelièvre  : Non mais attention, personne n’a dit qu’on pouvait lâcher les traitements. Personne n’a dit que ça allait révolutionner la prise en charge de l’infection par le VIH des patients qui sont infectés. Encore une fois, évidemment c’est quelque chose que vous vivez crûment parce que vous êtes infectés et toutes nouvelles qui paraissent comme ça, fantastiques et merveilleuses et qui en fait ne résoud pas la prise en charge de votre maladie évidemment, est vécu très douloureusement. Mais ce que vous vivez dans le cadre du vaccin VIH, se voit dans toute la manière générale de faire de l’annonce avec des coups médiatiques. Je veux dire ce n’est pas particulier au vaccin VIH. C’est la médiatisation des événements qui est comme ça. Évidemment c’est toujours regrettable, d’embellir les messages. D’autre part, on est obligé aussi de faire passer les messages en disant que pour nous, c’est un résultat intéressant et c’est un résultat qu’on peut mettre de côté.

Reda : Il y a évidemment beaucoup d’autres questions, peut-être une question rapidement de Tina, peut-être d’autres questions sur le live sachant qu’on a un autre invité à 17h30 et on va parler de cette affaire du parisien pour examiner la responsabilité des médias dans tout ça, Tina ?

Tina  : Moi en fait, un commentaire à tout ça c’est que, j’ai l’impression, je ne sais si c’est le corps des médias, les scientifiques qui sont impliqués mais que c’est un peu eux qui choisissent, qu’est-ce qui est une révolution dans le VIH sida. Par exemple je n’ai pas l’impression que la transmission mère enfant, elle a baissé d’1%, ce n’est pas apparu autant dans les médias et disons l’avis suisse, on appelle ça au Comité, l’effet préventif du traitement, il y a un an, on en a à peine entendu parler donc moi je trouve que quand il y a un...

Reda : Ça n’a pas fait la une des journaux, ni télévisé, ni radio

Tina : Voilà, alors qui choisit, qu’est-ce qui est la une et la grande révolution pour les séropositifs ? Ce n’est pas égal à la réalité.

Jean-Daniel Lelièvre : Encore une fois, ce n’est pas moi qui appelle les journaux. C’est les journalistes qui viennent me voir, et qui nous posent des questions sur les annonces. Les annonces ont été les annonces des gens qui s’occupent de l’essai thaï, ensuite ils ont transmis aux journaux. C’est les journaux qui décident de l’impact qu’ils vont donner à ce type de message.

Tina : Je veux bien mais je pense que le corps scientifique et médical a aussi sa part de responsabilité dans ce qui arrive au public.

Jean-Daniel Lelièvre : Eh bien dites-moi laquelle ? Expliquez-moi laquelle ?

Tina : Mais justement de parler aux journaux en disant oui c’est une révolution mais il y a d’autres révolutions dont on n’a pas beaucoup parlé.

Jean-Daniel Lelièvre : Je suis désolé, mais ne faites pas de débat d’intention si vous écoutez les gens qui sont interviewés, moi j’ai été interviewé sur France 24 et j’ai très clairement, avec un représentant du TRT-5 expliqué quelle était ma position et que la prévention à l’heure actuelle dans le monde c’est certes, la découverte d’un vaccin mais c’était aussi l’accès au soin de tout le monde pour faire comme vous dites les recommandations par les suisses, la poursuite des campagnes d’information de l’utilisation des préservatifs. Non encore une fois, il ne faut pas faire de procès d’intention comme ça au corps médical et au corps scientifique. On nous demande notre avis en tant que médecin et en tant que scientifique sur l’intérêt de ce type d’approche. Si demain, il y avait un nouvel antirétroviral qui sortait des éprouvettes et qui donnait des résultats merveilleux dans les éprouvettes, on ferait sans doute une communication là dessus, on demanderait notre avis, on dirait que c’est quelque chose d’intéressant, ce n’est pas pour ça que le médicament serait sur le marché dès le lendemain.

Reda : Mais vous, est-ce que vous reconnaissez que sur la question du traitement en prévention, il y a des réticences très fortes de la communauté scientifique qui ont fait qu’effectivement les journalistes se disent attention si un tel n’est pas d’accord, est-ce que je peux vraiment en parler. Enfin la base, est-ce que pour vous, les journalistes sont des électrons libres qui racontent ce qui bons leur semble sur des questions médicales et scientifiques ?

Jean-Daniel Lelièvre : Non, ils ne racontent pas que des...mais pareille sur le vaccin, vous ne trouverez pas une seule question sur laquelle la communauté scientifique est d’accord. Vous n’en trouverez pas une seule. Il y a toujours des gens qui expriment leurs réticences.

Reda : Alors il est vrai qu’à l’origine on voulait faire une question - réponse pour essayer de comprendre en quoi consistait cet essai vaccinal en Thaïlande. Donc je m’excuse parce que les questions qui ont fini par être posées n’étaient pas exactement celles qui étaient prévues. Mais à la vue des réactions que ce soit sur le site ou en studio, il semblait important d’en débattre.

Jean-Daniel Lelièvre : Je suis là pour ça aussi, ça ne me pose pas de problème et je ne me sens pas du tout attaqué personnellement. Reda : Je l’espère. Jean-Daniel Lelièvre merci.