Denis Méchali | Financement de la lutte contre le sida | Génération sacrifiée, 20 ans après | Journée mondiale contre le sida (JMS) | Politiques de santé
Témoignage : Denis Méchali, médecin hospitalier sur le front du sida en banlieue depuis 20 ans, ne reçoit plus aucune aide pour la Journée mondiale contre le sida
12 juin 2009 (lemegalodon.net)
-
Écouter: Témoignage : Denis Méchali, qui soigne le sida en banlieue depuis 20 ans, ne reçoit plus aucune aide pour la Journée mondiale contre le sida (MP3, 6.4 Mo)
Les crédits alloués à la Journée Mondiale de lutte conter le sida 2009 ont été réduits de moitié, passant de 200 000 € à 100 000 €. Le Docteur Méchali, spécialisé des maladies infectieuses, déplore, comme le Comité, que quelques dirigeants amputent ainsi la marge de manoeuvre des associations, le jour "symbole" de lutte contre la maladie.
Invité téléphonique en direct
Reda : Bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Docteur Méchali : Oui, bonjour, Denis Méchali, je travaille à l’hôpital de Saint Denis.
Reda : Depuis combien de temps, docteur Méchali, travaillez-vous à l’hôpital de Saint Denis, et dans quel service ?
Docteur Méchali : Ca fait plus de 20 ans maintenant, toujours dans le même service qui est un service de maladies infectieuses, et donc finalement la lutte contre le sida, c’est depuis 20 ans dans cet hôpital, avec ce service-là.
Reda : Quand et comment avez-vous eu la nouvelle que les crédits de la Journée Mondiale contre le Sida, donc les crédits de la Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale ont été amputés, pour 2009, de moitié, et sont donc passé de 200 000€ à 100 000€ ?
Docteur Méchali : Alors, la nouvelle je l’aie eue, si ça se trouve, par votre intermédiaire, puisque je l’ai appris vendredi dernier seulement. Je n’avais eu aucune information avant, donc ça c’est clair, et je n’ai pas été tellement étonné. Je vais sans doute vous expliquer pourquoi juste après.
Reda : Alors, que représente pour vous — médecin engagé en banlieue depuis 20 ans sur le front de la maladie — cette Journée Mondiale contre le Sida, alors que pour vous comme pour beaucoup d’autres, le combat pour le sida est quotidien ?
Docteur Méchali : Beaucoup de choses… beaucoup de choses… Cette journée mondiale, c’est souvent l’occasion de montrer que la maladie existe toujours, de montrer qu’il y a une lutte possiblement efficace qui se mène contre cette maladie, que les patients, même s’ils sont fragiles et précaires, sont vraiment des patients comme les autres, et que la mobilisation doit se faire.
Donc pour nous c’est souvent un enjeu à l’intérieur même de l’hôpital pour que les collègues, les autres médecins, les infirmières soient sensibilisés à ça, et voient aussi que c’est une lutte en commun. Très souvent il y a des soignants, il y a aussi des associations, ça peut être la vôtre, ça peut être AIDES, ça peut être Ikambéré, ou d’autres associations avec lesquelles on travaille pour leur montrer que cette lutte concerne vraiment tout le monde. Un dernier mot sur l’action qu’on a pu mener l’an dernier mais ce n’est pas la première fois qu’on le faisait ; c’est par exemple une petite troupe de théâtre qui fait un spectacle et qui fait réagir un petit peu. On a eu un groupe de jeunes, des ados d’un lycée voisin, de Saint Denis. Là aussi, c’était encourageant de voir comment ces jeunes réagissaient un peu au quart de tour, en comprenant bien les risques, mais on parlait aussi de l’amour, des rencontres, pas que de risques et de maladie.
Reda : En diminuant de moitié les crédits pour la Journée Mondiale contre le Sida, on pourrait se poser la question « mais peut-être l’épidémie est-elle terminée ? Est-ce que finalement, on a encore besoin de continuer ce combat ? »
Docteur Méchali : Evidemment, votre façon de dire les choses est presque ironique parce qu’on sait bien qu’on est un pays où il y eu plus de 5000 nouveaux cas dépistés l’an dernier, et on sait que la répartition n’est pas égale à travers toute la France. On sait bien que c’est souvent dans des zones où les gens ont le plus de difficultés, où il y a plus de représentation de personnes vulnérables, et que, comme par hasard, c’est là où la maladie est la plus présente, et c’est donc là où il faudrait concentrer beaucoup d’efforts, d’information, de prévention, d’actions, d’accès au dépistage, et de facilitation de la prise en charge.
Reda : Combien de personnes récemment dépistées, qui viennent d’apprendre leur séropositivité, avez-vous accueillies en plus dans votre file active ? Qu’est-ce qu’elles représentent aujourd’hui ? Combien de personnes est-ce que vous suivez ?
Docteur Méchali : On vient juste de dépasser le chiffre de 1000 personnes et il y a à peu près une centaine de personnes nouvelles tous les ans. Alors, je dois dire que ce n’est pas que une nouvelle catastrophique, c’est à la fois le fait qu’il y a beaucoup de monde à soigner, que la maladie n’est vraiment pas éteinte, pour reprendre ce que vous disiez il y a une seconde.
Il y a aussi le fait que les hommes et les femmes atteints sont de plus en plus conscients qu’il peut y avoir des traitements efficaces, qu’on peut faire un bébé quand on est séropositif, et tout ça fait qu’il y a plus de gens qui viennent se faire soigner, et qui ensuite par nécessité doivent être suivis dans la durée puisque c’est une maladie chronique.
Donc il y a ce double volet dans le fait qu’il y a de plus en plus de gens à prendre en charge, ce qu’on disait juste avant : la maladie est encore là et bien là, il y a donc de nouvelles contaminations mais il y a aussi les gens qui étaient contaminés depuis assez longtemps, qui ne voyaient pas l’intérêt de se faire suivre et qui maintenant viennent.
Reda : Est-ce qu’il s’agit bien de débat politique ? Car c’est l’Etat qui s’oppose à la région, l’Etat qui débloquait des crédits pour la Journée Mondiale contre le Sida, pour financer des activités sur le terrain, et de l’autre côté le Conseil Régional d’Île-de-France, qui lui n’a jamais mis la main à la poche pour la Journée Mondiale contre le Sida mais qui finance plein d’autres choses, qui lance des initiatives très médiatiques comme Solidays qui va se dérouler à la fin de ce mois. Quel est votre regard sur le choix de privilégier comme ça des opérations très médiatiques et de ne pas s’intéresser au soutien des acteurs de terrain à l’occasion de cette journée symbolique, de cette Journée Mondiale contre le Sida ? Comment est-ce que vous voyez ça ? Il y a une espèce de jeu de ping-pong entre l’Etat et la région, avec une toile politique qui va au-delà du champ du sida… comment est-ce que vous voyez ça ?
Docteur Méchali : Je pense que les choses ne doivent pas s’opposer. Ce que j’avais déjà vu aussi dans les oppositions qui ne devraient pas se poser sous cette forme-là, c’était, nous par exemple pour l’hôpital, nos tutelles comme on dit, les bailleurs de fonds les plus habituels ce sont les DASS, les DRASS, les agences régionales d’hospitalisation, et après ce qu’on a entendu c’est « ah oui, mais finalement le sida c’est un problème important, mais la santé des jeunes… mais le diabète… les personnes âgées… le cancer… », et à un moment donné on a eu l’impression qu’il y a avait une sorte de désengagement, justement, de l’aide à la prise en charge du sida, donc tous les volets dont on a parlé, que ce soit la prévention ou l’aide aux équipes de terrain comme vous le disiez, un peu à la lumière de « bah il y a d’autres priorités, ce problème-là il a été bien doté il y a 15 ans, débrouillez-vous avec ce qu’il reste quoi ».
Reda : Qu’est-ce que vous ressentez docteur Méchali, après 20 ans de lutte acharnée sur le terrain de la banlieue, là où le sida a frappé le plus fort, qu’on vous refuse, que l’Etat vous refuse les quelques 1000€ ou 2000€ ou je ne sais pas, quelques milliers d’euros, pour pouvoir mener des actions, y compris au sein-même de l’hôpital pour sensibiliser le publique à cette maladie ? Est-ce que c’est une gifle ? Comment est-ce qu’on ressent ça quand on est comme vous : médecin très engagé sur le terrain ?
Docteur Méchali : La joue ne crie pas cette année puisque la gifle a été reçue il y a un an et il y a deux ans. Très concrètement, effectivement, depuis des années pour la Journée Mondiale du Sida, ce qui nous revenait était de l’ordre de 1000€, c’était ce qui nous permettait de mener des actions. L’an dernier ça a été de zéro euro.
Donc là c’est pas divisé par deux, c’est divisé par rien du tout rire jaune. On s’est débrouillés, on l’a fait quand-même, notre action, en gratouillant de l’argent ailleurs. Mais c’était pas le plus grave, c’est pas ça qui m’avait le plus ulcéré pour tout vous dire, c’est le fait que depuis 2 ou 3 ans on sait bien qu’on a beaucoup beaucoup de difficultés à animer la consultation du dépistage anonyme et gratuit, hospitalier, qui fonctionne depuis 20 ans, mais qui devraient évoluer dans des liens, plus de disponibilité des médecins et des infirmières pour avoir des liens avec associations pour évoluer vers des thérapie ; mais je ne veux pas être trop long, mais manifestement elles devraient évoluer, cette consultation, et on est complètement coincés sur les moyens, et là aussi il n’y a eut aucun moyen de faire bouger les choses, bien que je me sois vraiment mobilisé avec le maximum de mon énergie là-dessus… Je dois dire que ça, ça avait été une grosse gifle, parce que j’avais trouvé ça extrêmement injuste, et c’est un fait.
Reda : Par rapport à cette situation, Etat et région se renvoient la balle, et les personnes malades, les acteurs de la lutte contre le sida, se retrouvent au milieu.
Docteur Méchali : Ecoutez, ce n’est pas facile… si on croit encore à l’institutionnel, ce qui est effectivement par moments… hum, voilà, il faut avoir la foi un peu chevillée au corps vous l’avouerez… un vieux de la vieille comme moi, et même quand on l’est pas… donc si on y croit on peut se dire « bah oui mais il y a une réorganisation, les Corevi qui sont des instances comme ça qui regroupent non seulement des acteurs institutionnels comme des hospitaliers, il y a aussi une place pour les associations patientes, ça va éventuellement faire quelque chose de plus audible, une force de pression positive pour faire évoluer les choses… c’est pas sûr.
Il est possible aussi qu’effectivement il faille être de nouveau dans un activisme plus virulent, pour le dire avec des mots clairs, pour arriver à sortir de ce que vous dites-là, exactement ! C’est-à-dire les proclamations, il semblerait que les actes suivent et que le minimum de financement nécessaire suive.
Reda : Une dernière question pour vous docteur Denis Méchali, vous êtes donc le chef de service des maladies in fectieuses à l’hôpital de Saint Denis, vous y travaillez depuis plus de 20 ans. Pour vous, quand vous voyez toutes ces personnes dépistées qui viennent d’apprendre leur séropositivité, est-ce que vous vous dites que la prévention reste un échec ou un quasi-échec en France ?
Docteur Méchali : J’ai un peu de mal à vous répondre parce que le mot qui me vient c’est « l’inégalité ». C’est-à-dire que justement c’est ce que l’on voit dans ces consultations-là, c’est-à-dire que l’on voit quand-même quelques succès ponctuels, par exemple quand on voit un couple qui vient de se faire dépister, qui repart en se bécotant dans la salle d’attente, on se dit que ponctuellement, la prévention peut marcher. Mais ensuite, d’abord quand vous continuez un peu les choses, vous voyez que ce qui marche ce sont quand-même des choses adaptées à la vie des gens, une information qui soit réellement conforme aux préoccupations de gens jeunes et de choses comme ça… que faire un spot à la télé c’est pas faire de la prévention, c’est sympathique mais c’est pas comme ça que ça peut se faire, et à ce moment-là, effectivement, globalement la prévention est un échec.
Ce n’est pas à vous d’ailleurs que j’apprendrai qu’en ce moment on commence à dire que la prévention ça va aussi passer par un élargissement du traitement des personnes séropositives, que c’est aussi une façon de faire de la prévention pour justement surmonter cet échec ou cette impression d’échec.
Reda : Eh bien en tous cas merci d’être intervenu à l’antenne de l’émission Survivrausida pour parler de cette amputation de moitié du budget de la Journée Mondiale contre le Sida 2009, c’est une nouvelle qu’on a rendue publique vendredi alors que jusqu’ici on ne l’apprenait que par une lettre de cadrage de la DRASS IF, la Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale d’Île-de-France. Donc en tous cas merci d’avoir appelé.
Docteur Méchali : Merci à vous de ce que vous faites, on a besoin de vous, on a besoin de votre aide comme on vient de le dire. A bientôt, bon courage à vous. Au revoir.
Reda : Au revoir. Voilà, c’était donc le docteur Denis Méchali. J’aimerais demander à Tina, Bruno et Larissa de dire ce que vous pensez de ce médecin qui dit avoir ressentie une espèce de gifle par rapport à la façon dont se gèrent les relations avec la DRASS IF, avec l’Etat ? Qu’en pensez-vous ?
Tina : Je pense qu’on voit bien que lui est au-devant de la scène et il le ressent très clairement donc déjà on se demande… c’est déjà dur pour un séropositif, il n’y a pas énormément de soutien à l’annonce, alors si en plus maintenant les médecins disent qu’ils ont encore moins de moyens ; on sait déjà que durant une consultation les médecins ont très peu de temps pour aborder ces sujets, en plus il y a peut-être une gêne vis-à-vis de la sexualité ou autre avec leurs patients, et on se dit que ça va être encore pire et lui est bien placé pour savoir que c’est vraiment ça la réalité.
Reda : Bruno est en guest aukourd’hui à l’émission, ça fait plaisir que tu sois parmi nous, tu es délégué au Comité des familles, qu’est-ce que tu penses de ce témoignage du docteur Denis Méchali ?
Bruno : Je pense que c’est vrai qu’on rencontre toujours des gens motivés, disponibles et c’est vrai qu’il y a des gens confrontés au souci du maître moteur… l’argent !
Reda : Larissa, réaction au témoignage de Denis Méchali ?
Larissa : Bien, moi je suis tout simplement sidérée par la façon de faire, c’est comme si on disait un peu « prenez ça et allez vous faire voir ». Je suis dépassée je n’ai rien à dire.