Criminalisation des séropositifs | Eric Favereau | Philippe Gaudin | Willy Rozenbaum
Le sida, une maladie comme une autre ? Le traitement contre la criminalisation de la transmission du VIH
14 mai 2009 (lemegalodon.net)
-
Écouter: Le sida, une maladie comme une autre ? Le traitement contre la criminalisation de la transmission du VIH (MP3, 3 Mo)
Les traitements contre le virus du sida permettent non seulement de sauver des vies mais également d’empêcher la transmission du virus. Cette nouvelle, longtemps restées confidentielle, a été portée sur la place publique par des médecins de la Commission fédérale suisse sur le sida en janvier 2008. Quinze mois plus tard, le Conseil national du sida a présenté son propre avis sur l’intérêt préventif du traitement devant les médias et les associations, à l’occasion d’une conférence de presse tenue à l’Assemblée nationale le 30 avril 2009.
Eric Favereau (Libération) : Un constat : en changeant de paradigme le sida pourrait devenir une maladie comme une autre. Je ne vois pas pourquoi changer de paradigme changera le fait que le sida reste une maladie exceptionnelle. Cette volonté à tout prix de faire que ça devienne une maladie comme une autre, je trouve que ce n’est pas très judicieux. C’est une des préoccupations d’Hirschel. Il y a des conséquences en terme judiciaire.
Est-ce que vous, car on voit bien une certaine judiciarisation de la contamination, vous avez réfléchi à la question ? Manifestement cela pose des interrogations. Comme d’habitude la justice n’est pas très en avant.
Philippe Gaudin, membre du Conseil national du sida et professeur de philosophie : On avait traité de cette question de la judiciarisation de la contamination. J’aimerais simplement dire quelque chose. D’une manière évidente, en dehors de la transfusion, elle se transmet d’autant plus et d’autant mieux qu’on a une vie sexuelle très intense avec de multiples partenaires ; dans l’esprit du public vous ne pouvez pas empêcher ce raisonnement, que ceux qui sont malades l’ont bien cherché. Et ça, cette forme de raisonnement là si vous voulez, charge particulière quant à cette maladie. On ne dit pas qu’avec ce paradigme tout change. Les principes antérieurs restent valables, et on ne veut pas les comparer. Je veux dire que ça change le statut des gens.
Eric Favereau : Vous dîtes implicitement, et c’est ça qui pose problème qu’en changeant de paradigme, le sida devient une maladie comme une autre. Et je crois que c’est une bêtise.
Philippe Gaudin : J’ai dit que ça ne voulait pas dire que l’on niait la ou les spécificités proprement médicales de cette maladie, mais que l’on pouvait diminuer de manière importante la charge symbolique.
Et puis ce raisonnement archaïque que j’ai essayé de décrire est que quand une personne est touchée par le virus, elle devient en elle-même, et indépendamment de son comportement, très peu capable de transmettre.
Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida : Sur l’aspect de la judiciarisation, on a beaucoup travaillé dessus il y a 2, 3 ans avec le CNS, et même si cela nous a fait avancer, on a pas vraiment abouti. Le constat que je fais aujourd’hui, c’est qu’entre l’aspect médico technique et la logique judiciaire, nous n’avons pas trouvé de langages communs. Il y a des logiques totalement différentes, et c’est là où il y a un hiatus qui n’est pas comblé. Je ne suis pas sûr alors que clairement dans l’esprit des suisses, l’un de leurs objectifs était d’aborder ce sujet là et aboutir à un discours très tranché sur la question de la transmission.
Vis-à-vis de cet objectif, il faut bien reconnaître qu’en Suisse, ils ont gagné, puisque le dernier procès a conduit à revenir sur un jugement où une personne condamnée sur la base d’une éventuelle transmission a été finalement acquittée. Donc ils ont eu leur objectif. Notre objectif n’était pas le même, et ce sujet de la judiciarisation mérite réellement d’être revisité, et cet élément peut intervenir dans le débat, mais c’est encore une fois se placer sur un plan purement médico technique alors que les juges n’utilisent absolument pas ce type d’argumentaire, en France du moins. C’est pour ça qu’on en a pas parlé. Notre objectif était que l’utilisation de cet outil pouvait intervenir dans le contrôle et surtout la réduction de la pandémie au moins en France, et éventuellement dans le monde, alors qu’on sait que ça peut le faire à certaines conditions et on souhaite qu’elles soient réunies. Ça c’était notre objectif.
Je rappelle que je ne me satisfais pas d’une stabilisation du nombre de nouvelles contaminations en France. Je ne me satisfais pas de cela. On a l’impression en entendant un certain nombre de commentaires y compris dans la communication des pouvoirs publics, que les choses ne vont pas si mal, que les choses se stabilisent. On oublie qu’une stabilisation conduit inéluctablement à une augmentation de la prévalence de la maladie. Parce que le nombre de cas s’ajoute. Moi je ne me satisfais pas de cela d’autant que je sais que maintenant, à certaines conditions, l’on peut diminuer cette courbe épidémique. Donc c’était ça notre objectif.
Transcription par Marjorie Bidault, Camille Dubruelh et Hélène Ducatez.