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Bernard Hirschel | Contamination et prévention | Didier Lestrade | Homosexualité

Sexualité des séropositifs : la fin du 100% capote ?

19 mars 2008 (Têtu)

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S’appuyant sur les travaux du Pr Bernard Hirschel, la commission suisse pour les problèmes liés au sida affirme qu’une charge virale indétectable permet d’envisager l’abandon du préservatif dans un couple sérodiscorant hétérosexuel. un point de vue décrié par le reste du monde scientifique et associatif.

En Suisse, la Commission fédérale pour les problèmes liés au sida (CFS) a créé l’événement en annonçant le 30 janvier dernier qu’une personne suivant un traitement antirétroviral avec une virémie entièrement supprimée ne transmet pas le VIH par voie sexuelle. S’inspirant des recherches du Pr Bernard Hirschel (Têtu n° 130), qui a conduit plusieurs études en Espagne, au Brésil et en Ouganda, la Suisse est donc devenu le premier pays au monde à envisager l’abandon du préservatif pour les ­couples sérodiscordants hétérosexuels dans des conditions précises  : le partenaire séro­positif doit avoir une observation parfaite de son traite­ment, sa charge virale doit être indétectable depuis au moins six mois. Enfin, pas d’infection sexuellement transmisible, ce qui suppose une absence totale de relations extraconjugales. D’une manière étrange, le CFS a insisté sur le fait que cette directive sans précédent ne remettait pas en cause la statégie de prévention appliquée en Suisse.

Études trop réduites

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Act Up-Paris a souligné que les études qui avaient permis d’aboutir à ce changement de cap ne concernaient pas «  les 40 % de malades sous traitement ayant une charge virale résiduelle malgré une bonne observance du traitement, et les 20 % de séropositifs sans traitement  ». L’avis n’était «  pas non plus applicable à la situation des homosexuels et aux rapports anaux en l’absence de données sur cette question ou dans cette population  ». De son côté, le Conseil national du sida reconnaît, dans un communiqué du 30 janvier, que certaines études épidémiologiques montrent que l’utilisation des traitements puissants diminue de 60 à 80 % le risque de transmission dans les populations étudiées. Mais les études prises en compte par les experts suisses sont bien trop réduites en nombre et dans le temps  : «  Même si aucun cas de contamination n’a été constaté sur ces observations, les échantillons sont trop faibles pour exclure un risque de manière suffisamment fiable  », écrit le Conseil. Le CNS conclut logiquement qu’il faut mener d’autres études  : «  Il apparaît donc prématuré à ce jour d’établir sur les données existantes des recommandations individuelles, qui doivent continuer à promouvoir les méthodes de prévention éprouvées, notamment l’usage du préservatif.  »

Rester prudent

Le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites, insiste  : «  Même s’il est très faible, on ne peut pas dire, en termes individuels, que le risque de transmission a totalement disparu lorsque la charge virale est devenue indé­tectable.  » Pour lui, cette information pourrait «  miner les efforts de prévention, en particulier dans la communauté gay où existe un taux élevé de contaminations  ». La Direction générale de la santé (DGS) est du même avis  : « Les autorités sanitaires françaises jugent indispensable de maintenir la recommandation d’utiliser systématiquement un préservatif en toutes circonstances pour les rencontres occasionnelles, pour les couples stables tant que le statut sérologique des partenaires est inconnu, ainsi que pour les couples séro­discordants.  » L’Organisation mondiale de la santé intervient alors pour souligner que la Suisse serait le seul pays au monde à essayer cette approche. «  Vous ne pouvez pas garantir que quelqu’un ne sera pas contaminant et l’évidence scientifique n’est pas rassemblée  », déclare Charlie Gilks, le directeur de la prévention et du traitement du sida à l’OMS. «  Nous n’allons absolument pas changer nos recommandations très claires selon lesquelles les personnes sous traitement doivent poursuivre le safe sex, y compris le sexe avec un préservatif, dans n’importe quelle relation  », ajoute-t-il. Teguest Guerma, vice-directrice du département VIH-sida de l’OMS, martèle  : «  L’absence de virus dans le sang n’empêche pas une présence dans le sperme. Le risque de contamination demeure.  » Les associations appellent au principe de précaution. Bruno Spire, de Aides, invite à «  rester prudent  » et rappelle «  le besoin d’études complémentaires  ». Roger Peabody du Terence Higgins Trust à Londres insiste  : «  Ce qui manque vraiment dans les recommandations suisses, c’est un avis sur les relations anales et l’impact d’une nouvelle IST. Nous n’avons pas encore d’évidence scientifique et il reste des questions clés qui ne sont pas abordées par cet avis.  » Deborah Glejser du Groupe sida Genève  : «  La prévention, comme le traitement, repose sur la confiance. Et on ne peut pas avoir confiance dans quelqu’un qui ne vous dit pas toute la vérité.  » Aux États-Unis, le chercheur Jay Levy déclare  : «  Non seulement la proposition suisse est dangereuse, mais elle induit en erreur et ne prend pas en compte les implications biologiques qu’entraîne la transmission du VIH.  » Enfin, les Centers for Disease Control d’Atlanta se calent sur la position d’Onusida, qui estime qu’il faut poursuivre la recherche sur la question.

Dommages collatéraux

Pourtant, au milieu de ce concert de mises en garde, un petit village français fait de la résistance. L’association Warning critique la frilosité générale et décèle dans l’enquête suisse «  un bouleverse­ment majeur dans la vie des séropositifs et pour la prévention  ». Abandonner la capote dans les couples sérodiscordants  ? «  Imaginons donc que les recommandations helvétiques viennent à s’appliquer un jour en France. Explorons l’avenir  », souhaite Warning. Mieux, le groupuscule associatif est prêt à rêver en estimant solennellement que «  la France vient de basculer en faveur de la réduction des risques  ». Et d’assurer  : «  Les autorités médicales et sanitaires reconnaissent aujourd’hui publiquement que le traitement antirétroviral réduit la transmission et que, par conséquent, plus la charge virale baisse, moins le risque de transmission est important.  » Pourtant, en matière de sida, la différence entre un risque «  moindre  » et un risque «  nul  » engage toute une vie de séro­positivité. Quelle association de malades, digne de ce nom, prendra la responsabilité d’assumer de tels dommages colatéraux  ?

Didier Lestrade

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