Amendement polémique permettant la publicité directe auprès des patients : fortifiant gouvernemental pour l’industrie pharmaceutique
12 janvier 2007 (Libération)
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Par Eric FAVEREAU
« M me V, je vous appelle de la part du laboratoire X, pour voir si vous n’avez pas oublié de prendre votre médicament. » Deux jours après, nouvelle piqûre de rappel, cette fois-ci par le biais d’un SMS. Encore un peu plus tard, une infirmière va se déplacer au domicile de la personne, toujours dans le même but : « observer l’observance de la patiente » à son traitement.
Scandale. Un dialogue encore irréel, mais qui a toutes les chances de devenir banal. L’Assemblée devait adopter, hier dans la soirée, un projet de loi autour du médicament dont l’une des dispositions vise à « régir les actions d’accompagnement des patients soumis à des traitements médicamenteux, conduites par les établissements pharmaceutiques ». Une disposition qui a provoqué un tollé, comme on en a rarement vu dans le monde de la santé. Des associations aussi variées que l’UFC-Que choisir, la Mutualité française, la revue Prescrire ou le collectif Europe et Médicament criant au scandale et demandant aux parlementaires de ne pas adopter cette mesure. Car, pour ce collectif, ce serait remettre en cause la sacro-sainte règle qui interdit à l’industrie pharmaceutique de faire de la publicité directe pour l’un de ses médicaments.
Vieille histoire, en tout cas, que celle de l’observance. De tout temps, le patient a pris son traitement à sa manière, c’est-à-dire avec plus ou moins de régularité et de sérieux. Pour bon nombre d’associations d’usagers, cela renvoie à la liberté du patient. Pour autant, cette attitude n’est pas sans conséquence. D’abord sanitaire : dans le traitement au long cours du sida, par exemple, la bonne observance est essentielle pour l’efficacité. De même dans d’autres pathologies chroniques : « Certaines molécules pour l’ostéoporose ne sont efficaces qu’après dix-huit mois. Commencer à les prendre et s’arrêter au bout de six mois ne sert à rien. Il n’est donc pas stupide de surveiller les prises », note un responsable de la Haute Autorité de santé. Mais la bonne observance a, bien sûr, un versant commercial : « Fidéliser le client est le rêve des grandes firmes pharmaceutiques », écrit la revue Prescrire, qui note, perfide : « Il est bien moins coûteux de fidéliser un client que d’en trouver un nouveau : six fois moins, selon certaines études. Et on estime que les labos perdent chaque année 30 milliards de dollars de ventes parce que des patients interrompent leur traitement. »
Programmes d’accompagnement. « Depuis 2001, explique Jean Marimbert, directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), nous avons été saisis par des firmes pharmaceutiques d’une quinzaine de programmes d’accompagnement et d’aide à l’observance. » Des programmes assez élaborés qui prévoient la mise à disposition du patient d’une prestation de service, soit à l’aide d’infirmières qui viennent expliquer comment prendre le traitement, soit au travers de messages réguliers d’appels au patient. « De la part des firmes, il y a une vraie volonté. Rien que pour l’année 2006, on a eu 6 demandes de ce type de programmes, poursuit Jean Marimbert. On a pris le parti de les examiner au cas par cas. La moitié des programmes ont été refusés, car ils étaient trop chargés d’intention promotionnelle, mais d’autres, nous sont parus intéressants. » Et ce responsable sanitaire d’ajouter : « Aujourd’hui, nous sommes demandeur d’un cadre. »
D’où ce projet de loi. Profitant d’un texte autour du médicament qui vise à transcrire une directive européenne, le ministre de la Santé a glissé un amendement sur cette question. « On ne comprend pas bien l’attitude du gouvernement, explique Pierre Chirac, de la revue Prescrire . Aucun pays européen n’a légiféré sur cette question. Ensuite, il ne faut pas être naïf, on ne peut pas faire l’impasse sur le fait que les firmes sont dans une stratégie mondiale visant à lancer des programmes d’aide et d’accompagnement à la prescription. » Même opinion pour l’UFC-Que choisir : « En faisant cela, le gouvernement cède au vieux rêve de l’industrie pharmaceutique qui cherche à entrer en communication directe avec le patient, en supprimant le filtre du médecin, puis à terme, de lancer des campagnes publicitaires massives sur des médicaments soumis à prescription. »
« Malentendus ». Hier, à l’Assemblée nationale, la plupart des orateurs, de gauche comme de droite, ont émis des réserves sur cet amendement. « Ce sont des malentendus, réagit-on avec force au ministère de la Santé. Ce problème se pose depuis 2001. Il y a maintenant des autorisations de mise sur le marché pour des médicaments à la condition qu’il y ait ce type de programme d’accompagnement. » Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a assuré qu’il y aurait une série de garde-fous : il faudra ainsi une autorisation, le consentement du patient, celui-ci pouvant le retirer à tout moment. « Aucun contact direct entre le laboratoire et le patient ne sera autorisé, les programmes devront faire appel à des professionnels de santé. » Certes, mais alors pourquoi ne pas les mettre sous la seule responsabilité de « réseaux de soin » (coordination de médecins par exemple), et non des labos ?