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Labos du Sud contre labos du Nord
9 janvier 2007 (Le Monde)
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Le danger était latent. Il est devenu manifeste. Jean-François Dehecq, président de Sanofi Aventis, troisième laboratoire pharmaceutique mondial, s’est emporté mardi 2 janvier, dans les colonnes du Financial Times contre les fabricants de médicaments génériques venus du tiers-monde. Porte-parole autoproclamé de la pharmacie occidentale, M. Dehecq a fustigé ses homologues qui en Inde, en Thaïlande, en Indonésie, paient "trois fois rien" leurs ouvriers pour produire des médicaments réexportés en totalité vers l’Europe et les Etats-Unis.
M. Dehecq a pris garde de ne désigner personne. Mais il s’est dit "scandalisé" par le comportement de ces industriels qui ont bâti un empire en copiant à bas prix des médicaments dont les brevets sont obsolètes. "Ils fabriquent très bon marché et exportent vers le Nord à destination de consommateurs qui peuvent payer", explique-t-il. "C’est un scandale. Ils exploitent les populations du Sud, sans se préoccuper de leurs propres pays."
Légitime ou non, ce cri de colère est avant tout un aveu de faiblesse. Les grands laboratoires se sentent aujourd’hui abandonnés. Les gouvernements qui, jusqu’à il y a peu, garantissaient les brevets et leur validité sur les marchés les plus riches de la planète, ouvrent aujourd’hui les frontières. Motif : la concurrence - même si elle vient d’Asie - permet de réduire les dépenses de santé. Aux Etats-Unis, la loi donne un monopole de six mois au fabricant de génériques qui annule le premier un brevet. Cet avantage a transformé la compétition en curée. Plavix, premier médicament de Sanofi Aventis, voit ses brevets contestés devant les tribunaux américains par Dr Reddy, un fabriquant indien. Et ce, alors qu’il est en principe protégé jusqu’en 2011.
Pire qu’abandonnés, les grands labos se sentent pris en tenaille. Ils savent n’avoir aucun soutien à attendre des opinions publiques des pays riches. Personne n’a oublié que, en avril 2001, 39 laboratoires américains et européens s’étaient unis pour porter plainte contre le gouvernement d’Afrique du Sud, qui souhaitait fabriquer des génériques de médicaments brevetés contre le sida. Faute d’explication, cette démarche froidement juridique avait été interprétée comme un manque élémentaire de charité. Il s’agissait en réalité d’une prémonition. Les laboratoires savaient que leurs homologues du tiers-monde seraient immanquablement fascinés par les marges élevées du secteur. Tôt ou tard, ils auraient opéré ce tournant que M. Dehecq dénonce : délaisser leurs marchés insolvables pour se tourner vers ceux, plus attractifs, d’Europe et des Etats-Unis.
La réalité est là : le pactole va devoir être partagé entre un plus grand nombre d’invités.
Yves Mamou