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Industrie pharmaceutique

Les "labos" veulent entrer au domicile des patients

25 décembre 2006 (Le Monde)

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Progressivement, les firmes pharmaceutiques s’infiltrent dans l’espace privé des patients. Le gouvernement s’apprête à autoriser les laboratoires à développer des "programmes d’aide à l’observance" à destination des malades, afin de les inciter, par contact téléphonique ou visite à domicile, à bien prendre leurs médicaments. Inséré dans un projet de loi transposant une directive européenne sur le médicament, qui sera discuté le 11 janvier par l’Assemblée nationale, ce projet suscite l’opposition de la revue médicale indépendante Prescrire et l’inquiétude des associations de patients. L’inspection générale des affaires sociales a exprimé elle aussi ses réticences : dans un rapport publié en septembre, elle affirmait que "dès lors qu’un programme est initié par un laboratoire (...), il ne pourra pas échapper au soupçon de biais en faveur des produits du promoteur".

PUBLICITÉ. Selon l’article 5122-1 et suivants du code de la santé publique, la publicité directe des produits pharmaceutiques auprès du grand public est interdite pour les médicaments prescrits et remboursés. Elle est autorisée pour les autres produits, avec un message renvoyant à la consultation d’un médecin si les symptômes persistent.

CONTRÔLES

L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) effectue un contrôle a priori sur les demandes de publicité auprès du grand public et a posteriori sur la publicité auprès des professionnels de santé.

CHIFFRES

En 2005, 1 000 demandes de publicité visant le public et 9 200 visant les professionnels de santé ont été déposées par les firmes. L’Afssaps en a refusé respectivement 10 % et 15 %.

Pratiqués à grande échelle aux Etats-Unis, les programmes d’observance thérapeutique ont fait leur apparition discrète en France, profitant d’un vide juridique. Depuis 2001, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a été saisie d’une quinzaine de demandes d’autorisation par les laboratoires et en a accepté la moitié. Pour l’heure, ces programmes concernent des pathologies chroniques (hypertension, sclérose en plaques...) et visent soit à apprendre au patient un geste technique (comme une injection sous-cutanée), soit à l’inciter à prendre son traitement de façon appropriée. Proposés au patient via son médecin traitant, ces programmes ne sont pas directement dispensés par la firme pharmaceutique mais par un prestataire payé par elle, comme une infirmière ou une société d’assurance en cas de relance téléphonique.

Face à la multiplication des demandes des firmes, le ministère de la santé a pris l’option de réglementer ces programmes, en officialisant le contrôle effectué par l’Afssaps. "On s’est retrouvé devant le fait accompli, les programmes d’observance existent, autant les encadrer plutôt que de laisser faire", explique-t-on dans l’entourage du ministre de la santé, Xavier Bertrand. Signe des temps, les considérations économiques ne sont pas étrangères à ce feu vert : "Quand des gestes techniques sont difficiles à apprendre, est-ce à l’assurance-maladie d’endosser ce coût ou au laboratoire d’assurer le "package" de la prise en charge de son produit ?", s’interroge ainsi le ministère de la santé.

Ces arguments sont loin de convaincre ceux qui s’inquiètent de l’influence croissante des laboratoires dans tous les secteurs de la santé. Pour la revue Prescrire, la poursuite d’un traitement médical est une affaire délicate qui ne peut être discutée qu’entre un patient et son médecin et non confiée à un laboratoire, juge et partie.

ACTEUR DE SANTÉ

"Ces programmes ne sont qu’une nouvelle stratégie de promotion déguisée des firmes, doublée d’une forme de rétention des patients", dénonce le docteur Philippe Foucras, membre de Prescrire. La revue dispose ainsi d’un témoignage d’un médecin dont une patiente suivait un programme d’observance pour le Forstéo, prescrit contre l’ostéoporose. Quand des vertiges sont apparus, le praticien a demandé à sa patiente de suspendre le traitement quand l’infirmière payée par le laboratoire lui conseillait au contraire de le poursuivre... La patiente a finalement changé de médecin.

Pour les militants de Prescrire, les programmes d’observance ne poursuivent qu’un seul objectif : accroître les profits de l’industrie pharmaceutique. Selon un site d’information médicale anglais, les firmes perdraient 30 milliards de dollars par an du fait des arrêts prématurés des traitements. Le syndicat français des firmes pharmaceutiques, Les entreprises du médicament (LEEM), récuse pourtant l’argument : "Les programmes d’observance sont réalisés dans un objectif de santé publique, pour que les patients prennent bien leur traitement, non pour faire vendre plus de boîtes, indique-t-on au LEEM. Notre éthique nous interdit de pousser à la consommation au-delà de la posologie et des indications médicales."

Avec les programmes d’observance, c’est une place de véritable acteur de santé que revendiquent les firmes pharmaceutiques auprès des patients. Cette évolution, si elle semble inéluctable à beaucoup, n’est pas sans inquiéter : "Il y aura à l’avenir moins d’argent pour la santé, donc les laboratoires vont s’imposer, analyse Christian Saout, vice-président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et représentant des usagers. Il vaut mieux encadrer ce mouvement, mais pas à n’importe quel prix : nous sommes pour l’aide à l’apprentissage des gestes techniques mais contre les interventions psycho-sociales directes auprès des patients, qui doivent rester de la compétence exclusive des professionnels de santé."

Cécile Prieur