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Pouvoir médical

Le médecin peut refuser sans discriminer

1er novembre 2005 (Quotidien du Médecin)

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Le refus de soin opposé par le médecin peut apparaître comme discriminatoire, en particulier dans le cas des malades infectés par le VIH/sida. Deux enquêtes, l’une française, l’autre américaine, démontrent que de telles situations qui engagent leur responsabilité ne sont pas rares. Pourtant, même si les deux types de refus ne sont pas en miroir, le médecin a, tout comme le patient, la possibilité de refuser les soins. Le code de déontologie en pose les limites.

SELON LA DERNIÈRE enquête de Sida Info Service, le milieu médical constitue le premier domaine de discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH : près d’une personne interrogée sur deux déclare avoir été discriminée (« le Quotidien » du 4 octobre). Les malades décrivent plusieurs types de discrimination, des attitudes ou des propos désobligeants au non-respect du secret médical et au refus de soins. La fréquence des refus, surtout de la part des dentistes, a conduit les associations à interpeller le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes qui, dans une circulaire datée du 22 mars 2005, a dû rappeler que les refus de soins ne peuvent être justifiés, pas plus par l’état de santé du patient que par sa couverture sociale.

Les dentistes ne sont pas les seuls concernés. D’autres soignants sont évoqués, soit pour un refus de soin ou une autre attitude discriminante : dermatologue, phlébologue, ophtalmologiste, gynécologue ou kinésithérapeute. Vingt ans après le début de l’épidémie, le constat est inquiétant. « Je vais dans deux ou trois hôpitaux en même temps et il y a des médecins qui refusent de me toucher. Comment est-ce possible en 2005 ? On ne peut passer son temps à intenter des procès », dit un des participants de l’enquête.

Une récente étude publiée dans le « Journal of Internal Medicine » rapporte le même problème aux Etats-Unis. Parmi 2 500 patients infectés par le VIH, 26 % ont déclaré avoir ressenti des attitudes discriminantes de la part des soignants, allant jusqu’au refus de soins dans 8 % des cas. Les patients citent en priorité les médecins (54 %), les infirmières et autres personnels soignants (39 %), les dentistes (32 %), les autres membres du personnel hospitalier (31 %) et les travailleurs sociaux (8 %). Mark A. Schuster, un des auteurs de l’étude, rappelle que « la discrimination du fait d’une séropositivité est illégale ». Selon lui, il convient de s’interroger car, réelles ou simplement ressenties par le patient, elle conduit à un défaut de soin réel. L’enquête française a d’ailleurs montré que près d’un quart des personnes interrogées ont renoncé à une consultation, un examen médical ou un soin, et que plus d’un tiers ont tu leur statut sérologique à l’une de ces occasions.

Risque de poursuite

Le médecin qui refuse ses soins en fondant son refus sur l’état de santé du patient s’expose à une poursuite pénale ou déontologique. L’article 7 du code de déontologie stipule bien que « le médecin doit, non seulement soigner, mais aussi écouter, examiner, conseiller avec la même conscience tous ses malades, quels que soient leur origine, leurs mœurs, leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée ». Sa responsabilité est donc engagée, et, pénalement, il s’expose, en cas de discrimination, à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende (article 225-2 du code pénal). Le code pénal définit par ailleurs (article 225-1) la discrimination comme « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Une fois posé le cadre de la pratique qui précise les devoirs du médecin, celui-ci garde la possibilité de ne pas donner ses soins. Selon le code de déontologie (article 47), « hors les cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ». En effet, précise l’article, « quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée ».

Situations de refus

Dans son avis relatif au refus de traitement et à l’autonomie des personnes, le comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie donne une série d’exemples où le médecin peut être en position de refus. Lorsqu’il juge « inutiles ou coûteuses » des investigations demandées par le patient alors qu’existent des « examens plus simples, aussi efficaces et beaucoup moins coûteux ». Car « il ne faut pas oublier que le médecin reste aussi un acteur de santé publique ». De même, les situations d’acharnement thérapeutique : « S’obstiner à maintenir la vie et non pas la qualité de vie au prix de traitements excessivement lourds, sans l’espoir, même minime, d’un bénéfice à court ou moyen terme, ne constitue pas une obligation. » Dans le cas d’une assistance médicale à la procréation, le gynécologue ou l’équipe chargée de la pratiquer peut refuser en raison de l’âge ou de l’état des personnes : « La responsabilité de la médecine n’est pas de permettre la réalisation d’un désir à tout prix. Elle est aussi d’expliquer avec respect le caractère irréaliste, voire nocif, de certains projets. » Le refus de mettre en route une réanimation néonatale du fait d’un jugement pessimiste sur l’avenir du foetus relève également de considérations médicales. Cependant, tout comme le patient, le médecin peut exprimer ses propres valeurs culturelles et refuser, par exemple, une interruption volontaire de grossesse.

Mais, conclut le Cne, les deux refus ne « sont pas en miroir ». Le refus de la part du patient « est un droit ; le refus de la part du médecin, qui peut apparaître comme une clause de sauvegarde, ne se fonde que sur une expérience ou une conviction exprimée à l’aune de son devoir de soin ».

Lydia ARCHIMEDE