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Criminalisation des séropositifs | Dépistage du VIH

Conseil national du sida : dépistage obligatoire ou systématique du VIH

18 décembre 1991 (Conseil national du sida)

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18 décembre 1991

Le Conseil national du sida a été saisi de la question du dépistage systématique ou obligatoire du VIH, pour ce qui concerne les examens prénuptiaux, par le cabinet de M. Bruno Durieux, ministre délégué à la Santé, par lettre reçue le 15 novembre 1991. Il a fait l’objet quelques jours plus tard d’une saisine du même ordre concernant le dépistage lors des examens prénataux et du service national.

Devant l’urgence, et après une première délibération lors de sa séance plénière du 3 décembre 1991 consacrée à l’examen d’autres avis, le Conseil national du sida a fait savoir officiellement qu’il était opposé à « toute mesure hâtive (disposition législative, décret ou amendement à un décret déjà existant) qui aurait pour effet d’imposer un dépistage lors des examens prénuptiaux et prénataux. »

Lors de sa séance plénière du 18 décembre 1991, il rend public le rapport et l’avis suivant :

Le Conseil national du sida s’oppose au caractère obligatoire par voie législative ou décrétale, du dépistage du VIH.

Sensible à la question de la santé publique, il considère en effet que l’obligation, dans les circonstances prévues ci-dessus, n’est pas la manière la plus appropriée de la protéger, pour des raisons d’ordre éthique et de droit, d’une part ; d’efficacité et de fait, d’autre part.

A. Arguments d’éthique et de droit.

1. Le caractère obligatoire contrarie l’approche médicale du consultant et entrave le suivi thérapeutique et psychologique. Dans le cas du VIH et du sida, maladie transmissible et non contagieuse, l’annonce du statut de séropositivité, qui concerne la vie à venir de l’intéressé, faite froidement et parfois par simple voie administrative (courrier de laboratoire ; attestation administrative que l’examen a bien été pratiqué) aura le plus souvent des effets négatifs : angoisse et solitude pour le sujet, maintien dans la méconnaissance de ce qui lui est possible de faire pour sa propre protection et pour celle de ses partenaires. Si le test était rendu obligatoire par voie législative ou décrétale lors de circonstances particulières de la vie, il ne serait qu’une formalité éventuellement sans suivi. Il entraînerait une fuite de responsabilité des patients et la perte de la confiance nécessaire entre le médecin et son patient qui se manifeste à travers le dialogue et le suivi. L’information des personnes non atteintes n’apparaîtrait plus indispensable.

2. Les tests de dépistage obligatoire du VIH sont contraires à l’esprit de nos engagements internationaux, notamment aux Principes directeurs sur la formulation des politiques du Programme des Nations-Unies pour le Développement, qui stipule en son article k : « Les tests de dépistage du VIH-Sida doivent être effectués avec l’assentiment exprès et librement consenti des intéressés, ainsi qu’assortis de conseils préalables et postérieurs et d’une garantie de confidentialité » ; et à la résolution en ce sens du Conseil des Communautés européennes et des Ministres de la Santé des États membres réunis le 22 décembre 1989, qui affirme que « les tests de diagnostic appropriés doivent être largement accessibles sur une base volontaire et confidentielle dans le cadre des systèmes de santé publique. » Il serait dommageable pour l’image de la France, à l’heure où l’Europe se construit, qu’elle se donne une législation contraire à l’esprit européen. A l’heure actuelle, seules la Bulgarie et l’URSS ont recours au dépistage obligatoire en certaines occasions.

3. Il existe, notamment lors de l’incorporation sous les drapeaux, mais aussi dans les autres occurrences, des risques très nets de dérapage, si la confidentialité n’est pas strictement préservée. L’exemple de quelques États des États-Unis qui ont recouru pendant un temps à des tests lors de circonstances particulières de la vie est significatif : ils y ont renoncé. Mais sur le plan fédéral, la séropositivité reconnue interdit, par exemple, « toute nomination ou tout engagement » dans l’armée.

B. Arguments d’efficacité et de fait.

1. Il existe une période de latence entre la contamination et la séroconversion. Un test pratiqué dans cette période et concluant à la séronégativité peut conduire l’individu à un sentiment fallacieux de sécurité, s’il n’est pas informé de ce fait. Il faudrait en conséquence refaire le test périodiquement, si l’on veut maintenir le cap d’une politique fiable de santé publique. S’il y avait au contraire le dialogue souhaité et les explications nécessaires fournies par les médecins ou éventuellement d’autres intervenants sanitaires et sociaux, la responsabilisation de l’individu serait rendue plus aisée.

2. Enfin, le rapprochement fait avec d’autres formes de dépistage, notamment la syphilis, lors de l’examen prénuptial, est fallacieux. D’une part, il concerne un mal qui peut être actuellement traité ; d’autre part, il n’existe pas de preuve que le dépistage systématique de la syphilis ait limité sa transmission.

En revanche, le Conseil national du sida souhaite que leur mission de prévention soit fortement rappelée aux praticiens libéraux et hospitaliers et aux autres intervenants sanitaires et sociaux et qu’ils soient incités à proposer de façon normale et régulière un dépistage du VIH dans toutes les circonstances de la vie où ils le jugent utile, en fournissant au consultant toutes les informations nécessaires pour obtenir son consentement libre et éclairé. Cela implique l’obligation de fournir au consultant les explications avant le test ; de s’assurer que les résultats quels qu’ils soient ont bien été communiqués au consultant et sont compris par lui ; et d’assumer ensuite non seulement la prise en charge thérapeutique et psychologique de ce dernier s’il se révèle positif, mais aussi les explications nécessaires en cas de négativité, pour que la personne concernée puisse conserver ce statut. Rappelons que plus de 99% de la population est séronégative et devrait, grâce à la prévention, le rester.

Le Conseil préfère le vocable "régulier " à celui de "systématique" qui équivaut dans l’esprit du public à la notion d’obligation et à celle d’une médecine non réfléchie. Les circonstances où ce test pourrait être proposé devraient être étendues non seulement aux examens prénuptiaux et prénataux, mais aussi à l’occasion de consultations dans les Centres de protection maternelle et infantile, les Centres de consultation pour les maladies sexuellement transmissibles, les Centres de consultation pour la contraception, les Centres d’accueil pour toxicomanes, et de toute autre démarche médicale où cela apparaît utile. Tous ces lieux lui paraissent être plus appropriés au dépistage que le moment du mariage, qui ne constitue pas en soi un facteur de risque particulier.

Le Conseil rappelle l’importance des Centres de Dépistage Anonyme et Gratuit, dont l’action devrait être largement diffusée et soutenue, et qui oeuvrent effectivement dans le sens de la responsabilisation des personnes en respectant la confidentialité, tout en assurant la protection de la santé publique.

Enfin, le Conseil approuve la proposition de remboursement à 100% du test, dans tous les cas où, régulièrement proposé, le test est accepté par le patient. Il souhaite que davantage de moyens soient mis à la disposition des Centres de Dépistage Anonyme et Gratuit, des dispensaires anti-vénériens et autres lieux de détection cités ci-dessus.

C’est dans le respect des droits de l’homme et dans la responsabilisation des acteurs et de toute la population que se conduit de la meilleure manière possible toute politique de prévention et de santé publique.

ANNEXE

Le sida a souvent été le révélateur de dysfonctionnements plus généraux. La plupart des avis du Conseil, notamment ceux sur la protection des personnes contre les discriminations, les assurances, les prisons, le secret médical, rappellent le droit de la personne malade en général.

La situation spécifique de la personne séropositive – n’ayant aucun symptôme mais dont l’avenir lointain est hypothéqué – a permis de conduire une réflexion qui trouvera des échos devant le développement de la génétique et de la médecine prédictive. Il est souvent tentant d’opposer l’intérêt individuel (respect du malade) et intérêt collectif (protection de la société). Quel que soit le sujet, nous avons à maintes reprises constaté que la meilleure protection de la société passe d’abord par le respect de la personne malade et que ces deux objectifs ne sont pas contradictoires. Cela fonde l’attachement du Conseil au secret médical, à la non-obligation du test.

Documents joints

Conseil national du sida : dépistage obligatoire ou systématique du VIH (PDF, 14.1 ko)

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