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Barbara Wagner | Criminalisation des séropositifs

Pénalisation de la contamination : entretien avec Barbara Wagner, présidente de Femmes positives

1er décembre 2004 (Le Journal du sida)

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« Nous voulons être reconnues en tant que victimes »

Barbara Wagner, présidente de l’association Femmes positives, raconte sa douleur et celle des femmes séropositives de son association, qui ont été contaminées dans le cadre de leur mariage ou de leur concubinage. Incomprise et rejetée par l’essentiel du milieu associatif, Femmes positives se bat, sans aucune ressource, pour que chacune d’elles obtienne reconnaissance et réparation, deux conditions essentielles pour commencer à se reconstruire.

Comment est née l’association « Femmes positives » ?

Barbara Wagner : Les femmes qui ont créé l’association en 2003, à Marseille, ont en commun d’avoir été contaminées au VIH par leurs compagnons. Nous nous sommes rencontrées les unes les autres chez nos avocats, ou dans des associations qui ne faisaient pas cas de notre situation : n’entrant ni dans la catégorie des femmes battues, ni dans celles des femmes violées, personne ne souhaitait nous prêter attention. Nous avons donc décidé de nous représenter nous-mêmes. Aujourd’hui nous sommes une vingtaine, le plus souvent en situation précaire et sans compagnon, avec des enfants à charge et des relations familiales généralement difficiles à gérer. Beaucoup d’entre nous ont fait des dépressions nerveuses et ont dû s’arrêter de travailler. Nous subissons en outre des traitements antirétroviraux qui ont été dosés pour des hommes et qui ne sont pas adaptés à notre morphologie. Tout concourt à nous donner l’impression que les femmes sont considérées comme une quantité négligeable dans cette épidémie.

Que revendiquez-vous ?

Nous voulons être reconnues en tant que victimes. Pour l’heure, tout le monde nous renvoie à notre propre responsabilité : nous sommes dans la situation des femmes violées dans les années 1970, sauf que ni la vieille garde féministe, ni personne ne s’intéresse à nous. Nous avons été trahies par des personnes que nous aimions et qui disaient nous aimer, mais qui ne nous ont pas parlé de leur séropositivité. C’est extrêmement dur à vivre. En ce qui me concerne, tant qu’un procès n’aura pas établi que mon compagnon est responsable de ma contamination, je n’arriverai pas à me reconstruire. En outre, ces hommes qui ont commis des actes graves continuent d’en commettre au moment même où nous parlons. La justice française a la responsabilité de nommer ces actes et d’empêcher qu’ils se reproduisent davantage. A Femmes positives, nous ressentons la culpabilité de cette inaction, mais ce n’est pas à nous d’aller avertir les filles que fréquentent nos anciens compagnons qu’elles sont en danger. Nous demandons donc à la justice de faire son travail. Pour qu’elle y parvienne, il nous paraît nécessaire de fournir un cadre juridique ˆ donc d’initier un projet de loi ˆ à la question de la contamination.

La prison vous paraît-elle être une sanction adaptée ?

Nous n’agissons pas par un esprit de vengeance, mais avec le désir profond d’être soutenues et d’éviter de nouveaux drames. Nous ne cherchons donc pas à mettre nos anciens compagnons en prison, mais à faire reconnaître qu’ils sont responsables d’actes qui ont détruit nos vies. Parce que nous vivons notre contamination comme une condamnation à mort, nous nous adressons au pénal. La prison n’est cependant pas une solution : vu les conditions de vie qui y règnent, on peut douter qu’y séjourner soit d’une quelconque utilité et ne nuise pas plutôt qu’autre chose aux détenus. Il nous paraît donc nécessaire que des alternatives soient mises en place. Le plus essentiel est d’assurer aux accusés un suivi psychologique. Prenons l’exemple de l’homme de Strasbourg : il a réitéré le même scénario de contamination avec plusieurs jeunes femmes et c’est de la bouche de la police que sa dernière compagne a appris qu’il était séropositif ! Sans prise en charge psychologique, qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de recommencer ? Autre constat : le fait que nos compagnons n’aient généralement pas fait grand cas de leur infection et n’aient pas cherché à se soigner nous invite à penser que l’accompagnement actuel de la séropositivité n’est pas suffisant. Les médecins et les associations ont un rôle préventif à jouer dans ce sens. Il faut organiser des groupes de paroles pour inciter les séropositifs à parler de leur situation à leur partenaire. Il faut leur montrer que des couples sérodiscordants peuvent parfaitement vivre ensemble. Voilà les soucis qui nous animent.

Avez-vous la sensation d’être entendues ?

Pour le moment, nous nous sentons très seules, nous n’avons pas de local (juste une permanence à la Cité des associations) et pas de ressources : la mairie de Marseille nous a octroyé 500 euros et nous attendons des subventions du conseil général. Nous fonctionnons grâce à nos adhésions et à nos propres deniers, qui sont très limités. Tout cela ne nous permet pas de nous faire connaître. Mais le plus dur est de nous voir marginaliser par les associations de séropositifs, qui oublient que nous sommes séropositives nous-mêmes. Elles ne comprennent pas que ce n’est pas à la séropositivité que nous nous en prenons, mais à ceux qui contaminent sciemment d’autres personnes. Au prétexte que les séropositifs vivent déjà une situation suffisamment pénible, certaines associations refusent de les inciter à parler de leur séropositivité à leur partenaire. Nous sommes les sacrifiées de cette politique du silence et du déni de la question de la trahison dans le couple. Vu l’autisme qui règne dans le milieu associatif, nous allons devoir alerter le grand public de notre situation. Cela ne va pas toutefois sans nous poser un problème d’image. Nous avons certes été invitées à passer à la télévision, mais nous craignons d’être stigmatisés, nous et nos enfants, par le milieu dans lequel nous vivons. Il faut que nous parvenions à dépasser ces peurs, afin de rendre le débat public et d’aider des femmes qui vivent les mêmes drames que nous à sortir de leur isolement.

Propos recueillis par L. D.

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