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Criminalisation des séropositifs | Gilles Pialoux

Le sida reste toujours un traître pervers

20 mars 2005 (Libération)

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La poursuite judiciaire contre les « contaminateurs conscients » peut freiner le dépistage individuel.

Voir en ligne : Le sida reste toujours un traître pervers

Par Gilles PIALOUX [1]

« Mettre fin à l’impunité du contaminateur conscient », tel est le but déclaré de femmes séropositives pour le VIH souhaitant obtenir réparation devant la justice (Libération du 7 février). Cet aspect de la lutte contre le sida pose d’importants problèmes.

L’introduction de cette enquête à Marseille reprend un thème ancien : la hiérarchisation des séropositifs pour le VIH en fonction de leur mode de contamination. En filigrane, le mythe de la victime innocente. Au sommet de l’échelle l’enfant hémophile, en bas l’usager de drogue contaminateur et non observant.Pour ceux qui ont suivi les images publiques liées à cette maladie privée, on se demandera combien de fois a été créditée la photo ancienne de l’actuel pape prenant dans ses bras un enfant hémophile atteint du sida ; rencontre expiatoire de la Compassion et de LA victime innocente. Echelle de hiérarchie fantasmatique au sein de laquelle évoluerait désormais la femme contaminée par un « contaminateur conscient ».

Il est clair que les femmes séropositives sont plus vulnérables que les hommes face au sida. A la fois sur le plan clinique mais aussi sur le plan social. Mais plus vulnérable ne signifie pas plus victime encore. Et d’ailleurs plus victime que qui ? Et si plus victimes il y a, auraient-elles droit à un accès privilégié aux soins ?

Ces affaires marquent la judiciarisation absurde d’une relation sexuelle entre deux adultes consentants, associée à une démarche de criminalisation des séropositifs. Et pose évidemment la question de l’utilisation de telles démarches juridiques pour accréditer des politiques coercitives à l’égard des séropositifs. On se souviendra des propositions de tatouage pubien pour les séropos ?

Dans un tel contexte, les hommes séropositifs ayant une relation « stable » seraient les premiers visés. Mais peut-on le faire au nom de quelques salauds, utilisant le VIH comme arme par destination, comme cela a été récemment jugé dans une affaire qui a ouvert la jurisprudence en la matière. Un tel qualificatif s’applique assurément au mari d’une des femmes rencontrées par Libération, Stéphanie (quatre enfants), qui découvre la séropositivité de son mari ­ et sa bisexualité (sic) ­ et qui lui annonce que « c’est le cinquième enfant qu’il lui fait ». Mais pour ma part, prenant en charge des patients séropositifs depuis 1984, je n’ai jamais rencontré pareille histoire, ce qui ne remet pas en cause sa véracité mais pose la question de sa représentativité.

Dans ces colonnes, dès octobre 1987, Daniel Defert s’exprimait sur la problématique de l’aveu. Celle-ci ne concerne pas seulement la dimension publique de la maladie mais aussi ses ramifications intimes, celles de la première relation, des relations extra-conjugales, de la bisexualité souvent semi-clandestine. Si le terme « contaminateur conscient » peut éventuellement avoir un poids juridique, son sens clinique est pour le moins complexe. Il existe bel et bien des hommes et des femmes qui se taisent par rapport à leur séropositivité lors de rapports non protégés. Certain(e)s le font parce qu’un(e) autre s’est tu à leur égard. D’autres simplement par impossibilité de dire ou par accord tacite sur le silence. Mais, pour autant, sont-ils tous des criminels ? Des criminelles ?

Plus grave encore, ces démarches suggèrent que la prévention ne serait que l’affaire des séropositifs ! A fortiori dans les couples « hétérosexuels » et « stables ». Cela fait des années que les associations de lutte contre le sida comme les instances étatiques ou internationales luttent pour imposer la notion de responsabilité partagée en termes de prévention.

Enfin, la logique des poursuites à l’encontre des éventuels « contaminateurs conscients » peut s’avérer contre-productive à l’égard des politiques de dépistage et de prévention, dans la mesure où l’une des façons d’échapper à cette criminalisation du contaminateur serait précisément de ne pas se savoir séropositif. Donc de ne pas se dépister. Effet pervers d’un système qui pour protéger Patricia, Sylvie ou Nadia augmente le risque de contamination de Sophia et Lise ou autres.

C’est sans doute de toute cette complexité-là de la lutte contre le sida qu’il est difficile à rendre compte même lorsque s’expriment la souffrance et la colère de femmes séropositives.

Notes

[1] Gilles PIALOUX médecin des hôpitaux.

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