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Criminalisation des séropositifs | Tribune libre

Un oeil pour un oeil, et le monde est aveugle : des femmes séropositives réagissent aux récits victimaires de l’association Femmes positives

31 mars 2005 (lemegalodon.net)

2 Messages de forum | | Votez pour cet article

Des journalistes [1], obnubilés par le plan média des Femmes positives, refusent de croire à leur existence. Les associations classiques de lutte contre le sida, de AIDES à Act up, les ignorent et, pire, leurs dirigeants parlent à leur place. Le grand public ignore tout de leur vécu et de leurs parcours.

Pourtant, il est urgent de permettre aux femmes et aux hommes vivant avec le virus de s’exprimer, de raconter librement leur propre contamination et d’expliquer pourquoi ils récusent la logique de vengeance de la criminalisation.

Si les récits victimaires des Femmes positives [2] suscitent des réactions franchement hostiles de la part d’autres personnes contaminées, il ne faut ni le craindre ni s’en offusquer : chaque séropositif a vécu une contamination horrible. Entendre des femmes prétendre qu’elles détiennent le monopole de cette horreur est déjà suffisamment pénible. Les entendre réclamer l’enfermement d’autres séropositifs comme seule solution : il y a la une violence inouïe que nous n’avions pas eue à subir depuis le début de l’épidémie.

Nous avons choisi quelques-uns des courriers reçus par l’émission en réponse à l’action de Femmes positives. Nous les portons à la connaissance de tous, nous appelons d’autres personnes concernées à prendre la parole pour que tous ceux et celles qui prétendent parler en notre nom soient mis devant leurs responsabilités.

Enfin, nous tenons à reconnaître le courage de ceux qui s’exposent sur la place publique en relatant les parties les plus intimes de leur vécu.

Débat avec Jamal, Maya et Claude Samuel.

Une oeil pour un oeil et le monde est aveugle

Une auditrice, survivante de l’épidémie des années quatre-vingt, nous raconte son parcours :

C’est vrai : c’était vachement facile, en 1984, de dire : « ah oui, au fait, je suis séro ! ». D’ailleurs, à cette époque, on ne disait pas séro. On disait : sida, homo, héro, haïtien… et même singe vert !

J’ai été contaminée par un homme que j’adorais. Il ne m’a rien dit. Lorsque je l’ai su quelques années plus tard, il était bien malade. Avant qu’il nous quitte, je lui ai pardonné et j’ai promis de continuer la lutte.

Aujourd’hui, il me manque.

Lorsque je l’ai moi-même su, j’étais mariée depuis quelques années. Mon mari n’a rien eu, ce qui ne l’a pas empêché de se barrer. Mes ex n’ont rien eu, eux non plus.

Puis j’ai rencontré un homme, en 1993. J’ai pensé que je devais lui dire, mais avant cela j’ai eu des rapports non-protégés, pensant qu’il serait épargné lui aussi, et ce pendant trois moi. Je lui ai dit, et il est resté. Il a fait le test : négatif.

Nous avons eu un enfant. Il a refait le test de dépistage car, pour avoir cet enfant, nous avons pris un risque. Notre enfant a échappé au virus, mais mon homme, lui, s’est avéré positif, mais il ne m’a rien dit. Il s’est passé deux ans avant que je ne le découvre…

Jamais il ne m’a fait un reproche.

Cela fait douze ans que nous sommes ensemble. Nous sommes heureux et en bonne santé. Le virus, je le considère comme une épreuve sur le chemin de la vie. Alors, à tous les négatifs qui nous jugent, je dis : « regardez-vous dans un miroir et demandez-vous : vous n’êtes pas à notre place, vous n’êtes pas à la bonne place pour juger ».

Un œil pour un œil et le monde est aveugle.

Tamira ne comprend pas comment on peut en arriver à réclamer l’enfermement pour d’autres séropositifs

Je ne comprends pas pourquoi on devrait enfermer les personnes qui ont donné ce virus. Là n’est pas le problème.

Je veux dire : dans la relation sexuelle, on est deux. Alors pourquoi condamner la personne qui a donné le virus, et non pas aussi celui qui l’a attrapé ? Les deux sont responsables.

Personnellement, cela fait un mois que je sais que je suis séropositive, et je n’en veux pas à la personne qui m’a donné cette maladie. Il l’a aussi : je crois qu’il est déjà assez puni. Je ne vois pas pourquoi, en plus, il devrait aller en prison pour une erreur qui pour moi est une erreur de jeunesse et que nous avons commise à deux.

Si cette loi est votée, à quoi devra-t-on s’attendre ensuite ? Le monde est fait d’erreurs, alors pourquoi ne pas tous nous mettre en prison ? Nous avons tous fait des erreurs qui ont touché quelqu’un.

Je trouve ça vraiment écœurant, et je ne vois même pas comment des gens ont pu imaginer cela. Nous avons tous le même droit à la vie, autant quiconque.

C’est la maladie qu’il faut faire disparaître, pas ceux qui l’ont !

Lila, en réponse au reportage d’Envoyé spécial

Le combat de Femmes positives est scandaleux et gerbant.

Comment ose-t-on, à notre époque, envoyer les malades du VIH au tribunal ?

Depuis, des millions de gens sont morts dans l’indifférence voire le mépris le plus total.

Je suis séropositive depuis douze ans. J’ai vu mes amis mourir des enterrements à répétition et je me bats chaque jour pour vivre. C’est quoi ce combat ? Dans quelle société est-on ? Depuis que le sida existe, il a ravagé dans le silence et l’indifférence des millions de patients.

Mes amis sont morts, beaux et seuls. Séropositive depuis douze ans, je n’ai jamais cherché l’origine de ma contamination et je m’en moque. Chaque jour, je vis et je me bats.

Votre combat est scandaleux et gerbant.

Mariflo réagit après avoir vu le reportage de Jérémie Drieu

Je suis toute retournée lorsque je vois comment on traite les malades dans un pays qui se dit moderne, démocratique et libre.

Comment faire passer un « séropositif » pour un criminel ?

S’il était autant criminel que ça, n’aurait-il pas contaminé plus de filles entre-temps ? Christophe a eu des relations « sérieuses ». Nulle parmi les trois filles n’a dit que Christophe est venu là juste pour une aventure, alors pourquoi le traite-t-on ainsi ?

Moi j’ai été contaminée par mon copain, et je ne peux pas lui rejeter toute la faute, si faute il y a !

Elles clament toutes : « il devait me dire la vérité » comme si on parlait d’un vulgaire rhume. Et le cœur, nous ne l’avons pas ? Ce que nous devons d’abord changer, c’est le regard des autres par rapport aux malades du sida. Ensuite tout le monde pourra le crier sur les toits !

Pourquoi ne pas créer un petit « pays pour malades du sida » où nous serons tous envoyés ? Comme cela, nous ficherons la paix aux « négatifs ». Heureusement que tous les séronégatifs n’en pensent pas pareils, sinon nous serons tous déjà morts ou en prison !

N’hésitez pas à réagir, vous aussi, dans le forum de cet article.

Pour lire d’autres témoignages de personnes concernées :

- Des femmes contaminées dénoncent la vénalité vengeresse des criminalisatrices de la transmission du VIH.
- Pourquoi nous refusons l’enfermement de nos contaminateurs.
- Plus de 200 messages dans les forums de discussion.

Notes

[1] Lire et écouter La pédagogie et l’équilibre selon Envoyé Spécial : réactions au publi-reportage de Jérémie Drieu pour la criminalisation des séropositifs.

[2] Lire Femmes positives adopte la fermeture : lettre ouverte de Youcef Ameur.

Forum de discussion: 2 Messages de forum