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Criminalisation des séropositifs | Didier Lestrade

Pénalisation de la transmission : le point de vue de Didier Lestrade

11 mars 2005 (Têtu)

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Après la condamnation à six ans de prison d’un séropositif qui a contaminé deux de ses partenaires, Didier Lestrade nous livre son analyse de la polémique qu’a créée cette première judiciaire.

Le procès de Colmar, qui a donné lieu, en janvier dernier, à la condamnation d’un séropositif à six ans d’emprisonnement parce qu’il avait contaminé deux jeunes femmes, met dans l’embarras l’ensemble de la communauté sida. Des cas équivalents se sont multipliés à travers le monde, mais la France se croyait à l’abri d’un débat complexe, comme souvent. Personne ne sait combien de femmes sont concernées dans notre pays. Parce que personne ne cherche à le savoir. Personne ne sait non plus si des homosexuels contaminés dans le cadre de relations stables se sentent habités par le même sentiment de trahison. Parce que personne ne cherche à le savoir. On attendait, au moins, une attention élémentaire de la part des associations sur la condition de ces femmes qui deviennent séropositives tout en perdant la confiance de leur partenaire et leur stabilité familiale. On espérait qu’il y aurait quelque chose d’autre à dire à ces homosexuels que « la responsabilité est partagée » quand un mensonge se prolonge parfois pendant de longs mois de vie commune. Le président d’Aides, Christian Saout, craint le « tatouage » des séropositifs (Libération du 5 janvier 2005). Mais personne ne demande cela, et il le sait. Personne n’a envie de voir des séropositifs en prison non plus, mais ces femmes ont le droit de se tourner vers la justice quand elles vivent sans aucune aide associative, sans aucun soutien financier. Les associations existantes n’ont pas aidé ces femmes et, à force de leur dire que cela ne servait à rien de faire un procès à leur compagnon ou à leur mari, il ne faut pas s’étonner qu’elles aient la conviction qu’elles n’ont plus d’autre recours. Car la justice ne pénalise pas toujours lourdement. Elle peut aussi rendre un verdict symbolique qui permet à ces femmes de ne plus se considérer comme coupables de ce qui leur arrive. Après tout, elles faisaient confiance à leur partenaire parce qu’il les avait rassurées. Et, là, on aborde un sujet qui concerne aussi bien les hétérosexuels que les gays. Ce n’est pas le tatouage que demandent ces femmes, c’est la franchise. Et cette exigence mérite d’être universelle. Act Up, par exemple, a toujours considéré qu’il fallait dire quand on est séropositif. L’association l’a même crié sur les toits. Mais l’association Aides se trouve bloquée dans un processus de pensée qui ressemble beaucoup au « Don’t ask, don’t tell ». Après vingt-cinq ans d’épidémie, le sida n’est plus le même. Bien sûr, la séropositivité est toujours éprouvante et il existe de nombreux cas où il est quasi impossible de le dire. Mais il y a une majorité de cas où une honnêteté élémentaire, qui est la base de toute relation saine entre deux personnes qui s’aiment, est possible. Oui, il faut sortir du dogme « Surtout ne le dites pas si vous ne le souhaitez pas ». Quel mauvais conseil quand on sait que l’affirmation de sa maladie est le premier pas vers une prise en charge globale.

Le déni des associations

Le procès de Colmar est symbolique à de nombreux égards, parce qu’il lance des liens avec d’autres questions sur la prévention du sida. Particulièrement chez les gays, où les mises en garde sur la remontée de l’épidémie semblent avoir si peu d’impact. Les associations sont dans le non-jugement alors que l’histoire de cette épidémie nous rappelle qu’à un moment ces mêmes associations ont exercé une très forte pression sur les gays afin de modifier leurs pratiques. Ce procès est donc à l’image du blocage de la prévention en milieu gay. Car il pose cette question : quel type de négociations agressives faut-il mener pour qu’on se fasse entendre entre personnes du même bord ? Pourquoi faut-il en arriver là pour qu’on se mette, enfin, à en parler ? Comment comprendre qu’une association comme Femmes positives ne bénéficie d’aucune aide, d’aucun encouragement de la part du tissu associatif ? Le Sidaction a pour mission d’aider les associations qui se créent et qui abordent des sujets que les autres ignorent. Or, pour l’instant, et même si Femmes positives n’a jamais fait de demande de subvention en bonne et due forme, on fait comme si l’association allait disparaître à force de s’épuiser à crier à l’aide. Avec l’association disparaîtra aussi le problème, peut-être. En fait, à chaque fois qu’un nouveau problème survient dans la prévention du sida, les associations françaises sont en retard. Relapse, bareback, syphilis, Lymphogranuloma Venereum (LGV), drogues, salubrité : les associations françaises sont toujours à la traîne. Elles s’imaginent que c’est à l’État de tirer la sonnette d’alarme. Non, c’est d’abord aux associations d’affronter les premiers messages pessimistes. Si le message est compris, ce sera grâce à elles. Pendant ce temps, les médecins voient de plus en plus de nouvelles contaminations ou de cas d’infections sexuellement transmissibles. Quand vont-ils intervenir publiquement ? De son côté, le Syndicat national des entreprises gaies (Sneg) s’estime exemplaire en matière de prévention. Depuis quand ? Et, quand les médias traitent de ces sujets, on les soupçonne d’être « hygiénistes ». Pourtant, le développement des antiprotéases a bien montré, en 1996, que, lorsque les médias, les associations, les médecins et le business gay parlent d’une même voix, ils parviennent vraiment à faire avancer la lutte contre le sida. Si les associations ont obtenu l’accès aux trithérapies qui permettent aux séropositifs de vivre, alors pourquoi sont-elles incapables de faire bloc commun sur la question de la prévention ?

Des femmes isolées

Je me rappelle très bien quand, il y a deux ans, on a entendu parler de la création d’une association de femmes séropositives à Marseille. De nombreux amis activistes autour de moi y sont allés de leur critique : « Pourquoi faut-il qu’elles créent une association rien que pour elles ? » Mais c’est parce que personne ne voulait les écouter. Et cela a continué puisque, deux ans après sa création, Femmes positives a eu beaucoup de mal à soulever la chape de plomb qui l’étouffait. Dans le procès de Colmar, une des deux femmes contaminées s’est suicidée. La gravité de cette mort place cette affaire dans un cadre incroyablement nouveau, et il est triste de voir que les associations sont si avares de compassion vis-à-vis d’un pareil drame. Cette femme se serait-elle suicidée si elle avait bénéficié d’une aide au lieu de se voir condamnée par certaines associations pour avoir osé faire un procès ? Est-ce que le Conseil national du sida (CNS), qui a été créé en 1989 pour réfléchir sur les questions éthiques liées à cette maladie, a entrepris une réflexion ? À peine. Le CNS s’est certes prononcé sur la question en 1991, mais, depuis, plus rien. Il faudra attendre le mois de juin pour que soit rendu public sa réflexion sur le bareback et la contamination volontaire. C’est un peu lent pour des problématiques qu’on voyait venir depuis longtemps. Car c’est là un des liens les plus évidents entre le procès de Colmar et le retard de la prévention : à force de ne pas affronter les problèmes, ils pourrissent. Nous ne nous sommes pas battus pendant toutes ces années pour laisser grandir une deuxième vague de l’épidémie. Oui, les homosexuels ont mené un combat exemplaire en matière de prévention au début de l’épidémie, mais plus aujourd’hui. Est-ce que l’on pense vraiment au sens du combat pour l’égalité des sexualités et pour le droit au mariage, quand personne ne réfléchit à la valeur de cet engagement face à la société en matière de prévention ? Si je suis un homosexuel marié avec un séronégatif que je contamine, mon devoir n’est-il pas de le protéger ? Qui parle de ça dans les associations ? Personne. Si je vis une maladie chronique comme le sida, une maladie particulière, mais qui ressemble à de nombreuses autres maladies chroniques très stigmatisées, ne suis-je pas censé le dire à la personne que j’aime, à qui je dois une certaine franchise ? L’homophobie de la société serait-elle l’unique raison qui nous pousse à maltraiter nos semblables ? Est-ce que l’homosexualité doit accepter que la vengeance soit à la base du désir (« Je suis séropo, donc tu le seras aussi ») ? Non, bien sûr. Si les homosexuels se croient exemplaires, il faudrait qu’ils soient aussi courageux. Avec la nouvelle périodicité du sida, il est enfin temps de sortir d’une position bien pratique, celle d’Aides, qui consiste à ne pas encourager à le dire. Oui, je suis séropositif, mais il ne me viendrait pas à l’idée de le cacher à la personne que j’aime, à celle que je pourrais rencontrer demain. Et je ne suis pas exemplaire là-dessus : il y a des milliers de séropositifs qui pensent comme moi. Pour une raison évidente : c’est plus simple. Mentir et se cacher pour prendre des multithérapies, ça ne sert à rien. C’est le lien entre la séropositivité et le coming-out gay. Parce que, si une personne est incapable de vous aimer tel que vous êtes, alors elle ne vous aime pas, tout simplement. Et vous méritez mieux qu’un mensonge. C’est cela, la vraie signification du procès de Colmar.

Didier Lestrade

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