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Barbara Wagner | Criminalisation des séropositifs | Didier Lestrade | Youcef Ameur

Femmes positives adopte la fermeture : lettre ouverte de Youcef Ameur

17 mars 2005 (lemegalodon.net)

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Je fais l’objet d’une procédure de radiation d’adhérent de l’association Femmes positives, à cause d’un mail daté du 28 janvier dernier [1] et communiqué à diverses structures associatives et à des journalistes de façon à faire connaître mon opinion sur la hasardeuse et contestable politique de communication de l’association orientée autour de la seule criminalisation de la transmission du virus du Sida.

par Youcef Ameur, militant de Femmes positives visé aujourd’hui par une procédure de radiation de l’association

La radiation est d’ores et déjà prononcée, sans débats. La procédure, déclenchée a posteriori, est destinée à donner le change, à créer l’illusion d’une association fonctionnant démocratiquement. Sans doute afin de pouvoir, par la suite, justifier, en externe, une procédure illégitime sur le fond, puisqu’il s’agit d’un « délit » d’opinion. Mais ceci n’est pas important.

Pourquoi la fermeture ?

Femmes positives ne cherche pas, en réalité, à lutter contre le Sida, c’est une association de victimes. La véritable intention (demeurée en interne) dont je fus le témoin à plusieurs reprises de l’association est insoutenable du moins publiquement. Avancer ainsi masqué sous couvert de lutter contre le Sida est effrayant. Femmes positives utilise opportunément et à dessein la posture victimaire pour que sa position politique sur le Sida - la criminalisation - (et c’est effectivement une position éminemment politique !) contribue à provoquer, par une très forte pression émotionnelle sur l’opinion publique, l’élaboration puis la discussion rapide d’un projet de loi qui visera à qualifier de « criminelle » la transmission du Vih-Sida, donc à renvoyer devant une cour d’assises des contaminateurs-trices et faire de la contamination intentionnelle voire gravement négligente, un crime passible de « réclusion criminelle », donc d’années de prison.

Femmes positives s’est publiquement fardée d’un discours qui se revendique comme « mesuré ». « Nous ne cherchons donc pas à mettre nos anciens compagnons en prison (…) La prison n’est cependant pas une solution (…) : vu les conditions de vie qui y règnent, on peut douter qu’y séjourner soit d’une quelconque utilité et ne nuise pas plutôt qu’autre chose aux détenus ». B. Wagner, JDS*, décembre 2004. C’est un mensonge ! Le procès de Colmar lui a opportunément fait bénéficier d’un effet d’aubaine sur lequel elle a prospéré pour s’introduire dans le débat. Le 4 janvier dernier, à la sortie de l’audience, la même personne, déclarait, notamment sur la peine de six ans prononcée : « Je suis satisfaite. Dire qu’il peut y avoir une sanction pourra peut-être éviter à d’autres femmes d’en arriver là. » (AFP, AP, Reuters)

C’est cela l’illustration de la position prétendument mesurée, humaniste et ouverte telle qu’alléguée par sa porte-parole deux semaines plus tôt ! De la sorte, l’association a pu démesurément propager sa position autour de ce procès en ne s’intéressant qu’aux seules conséquences et camoufler son absence de réflexion sur les causes de tels comportements de contamination. Femmes positives ne recherche pas véritablement la Justice mais prône à travers elle le châtiment, la vengeance. Pour atteindre ce résultat, et provoquer le vote d’une loi criminalisant la transmission du Vih, l’association a contribué à provoquer la légitime réprobation de l’opinion par l’agitation médiatique d’un haïssable épouvantail à la morale sordide, de façon à mettre une énorme pression sur les associations de lutte contre le Sida, le C.N.S., sur les politiques, l’état, l’institution judiciaire, en les attaquant et en les accusant quasiment de « complicité » avec ces antipathiques personnages qui font peu cas de la santé de leurs partenaires. Puis, devenue incontournable grâce au silence des autres associations, elle a accentué la pression en recourant à une presse ravie de cet hypocritement correct, et tant pis si aucune proposition ne fut faite pour sortir de cette impasse dans laquelle Femmes positives a enfermée la lutte contre le Sida !

Le débat sur la pénalisation a totalement étouffé, éclipsé celui sur le fiasco social de cette lutte, sur l’inadéquation des politiques de prévention et de leur perception par la population, sur les défaites en matière de nouvelles contaminations annuelles, sur les désillusions quant à la prise en charge globale des personnes touchées, etc. Je le regrette, mais on doit dorénavant et sans contestation classer cette association très clairement à droite. Outre le fait qu’elle ne prône que la criminalisation des comportements répréhensibles de certains séropositifs, il y a cette récurrente médiocrité du discours.

Sans revenir sur toute la série d’articles parus, un m’apparaît comme étant le plus significatif de cette dérive, celui de Blandine GROSJEAN, Libération 7/02/05 « Certaines l’ont bien cherché. Elles, non. C’est dit sans méchanceté. Ni camée, ni prostituée, même pas coureuse (…) la seule à menacer de ne plus protéger ses mecs, si la justice ne l’écoute pas. (…). Les femmes qu’elle est bien obligée de croiser à la consultation de l’hôpital sont soit des pauvres Africaines, soit des perdues de la vie.). Donc, si je lis bien, « certaines » femmes « chercheraient » le virus, plus précisément les camées, les prostituées, les coureuses, les africaines, les perdues de la vie. C’est-à-dire beaucoup, beaucoup d’autres femmes, l’immense majorité des femmes séropositives. En clair, c’est bien fait pour elles ! Vive la solidarité ! Mais pas avec les femmes « camées, prostituées, coureuses, africaines, ni les perdues de la vie » qui sont dans le malheur du Vih, parce que les malheurs de celles qui sont à Femmes positives seraient « plus » horribles que ceux qui frappent toutes les autres. Parce qu’après tout, elles « l’ont bien cherché » les « autres ». D’où provient cette odieuse hiérarchisation de l’horreur, cette inqualifiable classification ethnico sociale de l’épouvante ? C’est consternant. La justification au titre du désespoir hérité de la tromperie subie n’exonère pas, n’excuse pas ces indécentes et humiliantes comparaisons pour l’immense majorité des femmes atteintes du même mal. Elles sont, séros, certes, mais « positives » aussi. N’en déplaise aux Femmes positives...

Néant associatif et homophobie

Malgré près de trois ans d’existence, Femmes positives est un néant associatif. Rien sur la prévention, ni sur la réduction des risques, aucune proposition, nulle action menée, fut-elle symbolique, en direction des femmes, des couples (pourtant les premiers concernés par la contamination au sein d’une relation stable !), ni vis-à-vis des jeunes... Rien, seulement le discours récurrent de la victimisation.

Sur un autre point, à de nombreuses reprises, j’ai très vigoureusement condamné des propos clairement homophobes tenus lors de réunions. Des propos scandaleux et obscènes, tels que, par exemple : « les homosexuels sont contre les femmes parce qu’ils ne veulent pas perdre le contrôle de la lutte contre le Sida, donc les fonds publics (une éminente adhérente) » ou « la pénalisation est rejetée par AIDES et ACT-UP parce que ce sont des associations d’homosexuels (une adhérente) », enfin « les francs-maçons exercent une considérable influence sur ces associations parce que les francs-maçons sont des misogynes… (autre adhérente) », mais encore que « les contaminations hétérosexuelles, notamment des femmes, sont niées parce que ce sont des associations d’homosexuels qui verrouillent la communication et donc refusent le droit à l’existence de l’association, ils empêchent à dessein la libre expression de Femmes positives, etc. » Ce que révèlent de tels propos, c’est l’indigence de l’argumentaire et l’absence d’un raisonnement sur l’épidémie, l’ignorance de sa chronologie, la pauvreté intellectuelle et l’insuffisance des discernements politiques et historiques indispensables à toute compréhension des interactions complexes à l’œuvre dans une société, ainsi que l’ignorance de la littérature publiée sur ces sujets. À toujours désigner des boucs émissaires qui seraient responsables pour des incohérences relevées ici ou là, parvenir à construire un argumentaire sérieux relève de l’impossible. Seules des approximations, des hypothèses farfelues, et souvent des rumeurs sont les cadres de réflexion. Navrant.

Dérive droitière et création d’une loi

Janvier 2005. Lors d’une rencontre de travail, dans le cadre préparatoire de la rédaction d’un projet de loi à la Mairie du 1er arrondissement de Marseille (dont le maire est M. Jean ROATTA, député UMP ayant voté contre le PACS), étaient présents Monsieur Patrick CACHOUX, docteur en droit, avocat et collaborateur du député et Madame Mireille TARASCONI, adjointe chargée de la police municipale, donc très experte en matière de Vih-Sida ( !). M. CACHOUX, a indiqué en préambule citer expressément la pensée et les mots du député lorsque, ensemble, ils ont évoqué les « compagnons-contaminateurs ». Le député aurait qualifié de « terroristes », de « bombes humaines ». Le collaborateur a ensuite ajouté que ce sera l’articulation principale de l’argumentaire du député ROATTA dans son action politique pour convaincre le ministre de la Santé et ses collègues de voter son éventuel futur projet de loi visant à renvoyer devant une cour d’assises les « compagnons-contaminateurs ». Tout au long de son propos liminaire, M. CACHOUX a reçu l’assentiment express et souriant de la présidente de l’association, et celui d’autres membres présents. J’ai été le seul à ne pas trouver cela drôle et à être révolté, indigné par des propos ouvertement réactionnaires. Toujours en présence de la présidente, je me suis énergiquement élevé contre de tels qualificatifs et j’ai, à l’issue de cette réunion, indiqué à la présidente qu’elle devait publiquement dénoncer cette pensée. Ce qu’elle a absolument refusé de faire, me répondant, je cite :« Ce ne sont que des mots en l’air pour souligner le côté terrible d’une contamination imposée ». Bien au contraire, la présidente a, très officiellement, lié l’association avec la Mairie du 1er arrondissement pour, à terme, soutenir M. ROATTA lors du dépôt d’un projet de loi de criminalisation de la transmission du virus Hiv – « (…) il nous paraît nécessaire de fournir un cadre juridique – donc d’initier un projet de loi – à la question de la contamination. » B. Wagner, JDS, 12/04. Par ailleurs, elle prend conseil auprès de M. TARASCONI, avocat pénaliste, membre du conseil national et local de l’Ordre et époux de Mme l’Adjointe au Maire. Il est aussi le président d’une association religieuse, le Nouvel Elan Marial, vouée au culte de la Vierge Marie, contre l’IVG et proche des traditionalistes catholiques. Il est, m’a-t-on dit, plutôt xénophobe et très homophobe, il serait connu à Marseille pour stigmatiser à la moindre occasion les toxicomanes, les prostituées, les immigrés, etc.

J’ai personnellement déploré ces compromissions avec des personnages très clairement réactionnaires et idéologiquement proches de l’extrême-droite. Malgré tout, les adhérent-e-s de Femmes positives ont néanmoins été invité par la présidente à collaborer pleinement pour répondre à un questionnaire élaboré par M. CACHOUX, questionnaire délibérément orienté vers la criminalisation des séropositifs et l’aider si besoin est par des témoignages de « vie » avec le Vih.

À de nombreuses reprises, en interne, j’ai appelé à plus de retenue dans les propos publics en demandant que l’association ne soit pas enfermée dans un seul discours type qui peut fournir des arguments de légitimation à tous ceux qui n’attendent qu’une occasion, celle de répondre aux nouvelles « terreurs urbaines » par plus de répression et par encore plus de stigmatisation, de rejet et d’ostracisme des personnes séropositives. Pendant des semaines, j’ai évoqué les conséquences de tels discours publics. En vain ? Oui. L’association n’a pas su faire preuve de prudence ni gérer l’ivresse médiatique consécutive au procès de Colmar. Pour obtenir cette loi, la présidente ne fait pas preuve de retenue et de responsabilité dans la construction d’une image publique, les nombreuses sollicitations de journalistes, friands de sensationnel et de pathos, rendirent inopérantes toutes les mises en garde contre les conséquences néfastes en terme de perception globale des séropositifs. Ce qui souligne de plus fort cette irresponsabilité et le mépris de certains adhérents qui n’ont de cesse depuis que j’ai envoyé ce mail de demander à sortir de cette posture victimaire et de ne plus enfermer Femmes positives dans un cheminement aussi rudimentaire. En vain.

À cet égard, le rôle joué par Didier LESTRADE n’est pas négligeable. Ses rapports étroits avec la présidente de l’association, ses conseils en terme de communication, ses recommandations et son influence sur la gestion des crises internes inspirent la ligne actuellement suivie, qui est celle du mépris et de la rupture, voire de l’exclusion de tout membre qui se refuse à agréer le processus de victimisation menant tout droit à la criminalisation du sida. Il n’ignore pas le rapprochement de l’association avec des élus de droite ni la préparation d’un projet de loi. Pourtant la vérité historique atteste que le veto intransigeant à toute pénalisation de la transmission du Vih provient du temps où il présidait aux destinées d’ACT-UP, les débats sur la réforme du Code Pénal en 1990-1991 en témoignent. Il est incontestable que sa propre responsabilité historique est donc éminente. Plus de modestie de sa part serait, à ce moment crucial du débat et à n’en pas douter, la bienvenue.

Mystification et fermeture : lutte contre le Sida ou association de victimes ?

Femmes positives est, en définitive, une mystification associative. Non en raison de son positionnement victimaire et politique très à droite. Être de droite dans une démocratie n’est pas répréhensible, mais l’être dans le monde du Sida, c’est difficile à tenir. En fait, l’imposture réside dans l’antinomie, celle qu’il y a à s’ériger en association de lutte contre le Sida alors que c’est une association de victimes, ce qui n’a rien de déshonorant ni d’illégitime. Toutefois, comment peut-on prétendre lutter contre le Sida sans pourtant JAMAIS agir, sans JAMAIS suggérer même la plus modeste proposition pour la prévention, sans même en près de trois ans d’existence ne JAMAIS développer un argumentaire (autre que le recours au pénal) véritablement spécifique au type de contamination combattu ? Cet artifice est, en réalité, exploité pour bénéficier de l’élan naturel de compassion humaine et de solidarité qui existent bon gré malgré en faveur des personnes séropositives. La légitimité de la position victimaire ne souffre aucune contestation, sauf qu’elle n’est pas assumée. Ni même la volonté de vouloir provoquer la création d’une qualification criminelle de transmission du virus Hiv.

Que Femmes positives s’enferme dans sa citadelle et méprise les acteurs de la lutte de terrain, donne des leçons à tout le monde sur ce qu’il aurait fallu faire, sur ce qu’il faudrait instituer en terme de sanctions pénales, ça les regarde. Qu’elles restent dans cette dialectique incantatoire de la diabolisation si ainsi elles y trouvent des satisfactions. Mais s’ériger en professeur de morale et de vertu outragée en détruisant les douloureux, les incalculables et patients efforts accomplis par d’autres pour créer une réelle solidarité vis-à-vis des personnes séropositives, cela doit lui être reproché. Comme celui d’instruire le procès des associations traditionnelles parce que celles-ci ont commis des erreurs stratégiques sans toutefois proposer en lieu et place une politique alternative, à part l’emprisonnement bien sûr. On ne répond pas à l’irresponsabilité d’une toute petite minorité par plus d’irresponsabilité. Casser les fragiles dynamiques de solidarité n’est pas honorable, je le dis avec gravité et sérieux. Des propos récurrents, victimaires et à forte densité émotionnelle autour de cette toute petite minorité de scélérats aux comportements blâmables ne dissimuleront plus très longtemps le vide des déclarations tenues, surtout si elles provoquent cet inacceptable amalgame dont se nourrissent ceux qui souhaitent ficher et clouer au pilori social les séropos et/ou malades. Cette asthénie de l’éthique s’illustrera toute seule au sortir de cet engouement médiatique qui, actuellement, privilégie l’émotion sur la réflexion. Parce que, peu à peu, la réalité quant à l’exiguïté d’une pensée dépourvue d’une thèse reposant sur un raisonnement élaboré et solide apparaîtra au grand jour.

J’appelle Femmes positives à se réformer et à entreprendre son examen de conscience. La cause est belle et noble, aussi Femmes positives devra-t-elle reconquérir cette noblesse égarée, trouver un supplément d’âme pour franchir un nouveau cap. Renouer les fils de cette humanité positive qui, un temps, a réussi à la distinguer des associations traditionnelles. Il faut inventer pour émerger de l’incantation victimaire et oser imaginer, proposer des solutions alternatives PO-SI-TI-VES, pour sortir ce débat du marasme dans lequel elle l’a plongé. Séropositifs-ves, malades, associations de lutte contre le Sida, volontaires associatifs, médecins et thérapeutes, élus responsables et animés d’idées de progrès, institutions, juristes, chercheurs, sociologues, philosophes, etc. Tout le monde doit travailler ensemble, dans le respect d’autrui, pour répondre aux nombreux défis à relever, pour définir les solidarités à inventer ou à réinventer, pour que cessent ces conflits stériles et contre-productifs, pour qu’enfin dignité et humanité soient replacées au coeur du débat. Femmes positives y trouvera toute sa place si elle se réforme en profondeur et si elle sort de son ambiguïté et de cette contradiction fondamentale : « association de victimes ou de lutte contre le sida ».

Youcef AMEUR, dissident de Femmes positives, mercredi 9 mars 2005.

Notes

[1] Un militant de Femmes positives : « Je ne souhaite plus militer pour l’incarcération des contaminateurs-trices ».

Documents joints

Questionnaire sur la séropositivité (PDF, 65.9 ko)

M. patrick Cachoux ; conseiller juridique de M. Roatta ; député-maire UMP du 1er 7ème ; Marseille

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