Criminalisation des séropositifs
Six ans de prison ferme en appel pour avoir transmis le VIH à deux femmes
5 janvier 2005 (Le Monde)
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Christophe Morat, qui se savait contaminé, avait caché sa séropositivité à ses partenaires. L’une d’elles s’est suicidée deux mois avant l’audience.
Colmar (Haut-Rhin) correspondance — Le prévenu a affronté la cour d’appel mais pas ses victimes. La première, "déprimée et fatiguée", n’a pas trouvé la force d’assister aux débats. La seconde, représentée par sa mère, n’est plus en vie : en novembre 2004, Aurore s’est suicidée en lançant sa voiture contre un arbre sur une route départementale du Bas-Rhin.
En 1999, les deux jeunes femmes, alors âgées de 25 et 19 ans, avaient été contaminées par le virus du sida. Leur amant de l’époque, Christophe Morat, 31 ans, se savait atteint du VIH.
Ce chauffeur d’autocar était jugé en appel, mardi 4 janvier, à Colmar. En mai 2004, il avait été condamné en son absence par le tribunal correctionnel de Strasbourg à six ans d’emprisonnement ferme pour "administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente". Interpellé à Valence et écroué, ce père d’un enfant de 9 ans avait fait opposition à la décision et demandé à bénéficier d’un nouveau procès à l’issue duquel, le 28 juin 2004, la peine avait été confirmée.
Séropositif depuis l’automne 1998, Christophe Morat avait "multiplié les aventures concomitantes" sans jamais révéler à ses partenaires son état sérologique. Enfant de la Ddass, le prévenu a justifié son attitude par l’angoisse d’être rejeté à cause de sa contamination.
"J’ai eu peur de l’annoncer. Séropositif, c’est une tare", maintient-il à la barre. Quant à la transmission du VIH, "c’est un risque actuel que tout le monde connaît", avait-il déclaré au magistrat instructeur. Les experts ont décelé "une tendance à la fuite en avant et à l’évitement".
De ses conquêtes, Morat en parlait comme de "filles à se faire". Certaines rêvaient pourtant de fonder un foyer. "Le prince charmant était un criminel de sang-froid", s’indigne Me Yannick Pheulpin, partie civile. L’avocat n’a pas de mots assez durs pour qualifier le comportement "exécrable" du prévenu. "Il avait en face de lui des personnes qui l’aimaient profondément." Des personnes qu’il a "sciemment" contaminées. Usant si nécessaire de "mensonges éhontés et de stratagèmes fallacieux", comme une prétendue allergie au latex, pour dissimuler sa séropositivité ; et interdisant à sa mère de dire la vérité à ses petites amies.
"INTENTIONNALITÉ"
"Quelle a été l’envergure du désastre ? Nous ne le savons pas", interroge l’avocat général, Jacques Nicolle, inquiet à l’idée que d’autres victimes n’aient peut-être pas été identifiées. Pour l’accusation, "l’intentionnalité" est constituée : "Il a continué à séduire avec la conscience de ce qu’il disséminait." "Qu’il soit lui-même victime de ce mal ne peut le faire échapper à la répression, conclut Jacques Nicolle. Que ceux qui se savent infectés prennent leurs responsabilités et préviennent leurs partenaires."
Plaidant la relaxe, Me Christophe Bass, conseil de Christophe Morat, se réfère à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen, le 22 septembre 1999, condamnant un homme à deux ans de prison pour avoir contaminé son conjoint après avoir falsifié les analyses du laboratoire. Son client, lui, n’a eu recours à aucun "stratagème". "C’est le procès d’un silence gardé sur son état sérologique."
"Les prises de risque étaient partagées entre jeunes gens visiblement désinformés, poursuit Me Bass. Où est la trahison de confiance quand une victime indique : "ni lui ni moi n’avons pensé à mettre un préservatif" ?" Pour deux contaminations avérées dans ce dossier, plusieurs rapports sexuels avec d’autres jeunes filles n’ont pas eu de conséquences dramatiques. Ce qui fait dire à Me Bass que "la relation sexuelle non protégée n’est pas l’administration, elle est un risque d’administration".
La cour d’appel a confirmé la culpabilité et la peine prononcée en première instance, conformément aux réquisitions. Christophe Morat a été maintenu en détention et devra verser environ 230 000 euros à chacune de ses victimes ou ayants droit. Son conseil a indiqué qu’il comptait se pourvoir en cassation. "Votre décision n’a pas vocation de santé publique,avait indiqué Me Bass aux juges avant le délibéré. Aucune épidémie n’a jamais été endiguée par un quelconque exemple judiciaire."
Régis Schneider
"Cette décision est contre-productive"
"Cette décision fait le lit de l’épidémie, s’est indigné mardi Christian Saout, président d’Aides.Pour ne jamais risquer d’être condamné, il vaut donc mieux ne pas savoir." Le porte-parole d’Act-Up, Eric Labbé, estime, lui aussi, que "la pédagogie ne passe pas par la prison". "Cette décision est contre-productive alors que l’épidémie repart en France et que les gens se dépistent de moins en moins." Au contraire, selon Barbara Wagner, présidente de Femmes positives, une association qui regroupe des personnes contaminées à leur insu par leur conjoint(e), "c’est une réelle reconnaissance de notre cas". "La responsabilité ne peut être partagée qu’à partir du moment où l’on a connaissance de la sérologie de l’autre.
Forum de discussion: 1 Message
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> Six ans de prison ferme en appel pour avoir transmis le VIH à deux femmes
Je suis "sciée" ! C’est une véritable catastrophe ! En fin de compte, il a été condamné pour avoir menti ! En plus, c’est le début d’une catastrophe : les gens vont commencé à porter plainte "à tort et à travers" pour recevoir du fric ! D’autres n’iront pas se faire dépister car séropositif devient synonyme de criminel. Il faut condamner ces condamnations ! (malheureusement, ce cas n’est pas le 1er) Le principal gagnant, c’est le virus. Maia, très inquiète de la tournure que prennent les évènements...