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Chiffres du sida | Philippe Douste-Blazy

Sida, le vrai visage de l’épidémie

19 juin 2004 (Libération)

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Une étude révèle que 1800 personnes ont été dépistées positives de mars à septembre 2003

Par Philippe DOUSTE-BLAZY, ministre de la Santé et de la Protection sociale

Connaître la maladie pour mieux la combattre. Grâce au travail de l’Institut de veille sanitaire (InVS), nous savons désormais, depuis ce matin, que 1 800 personnes ont été dépistées séropositives entre mars et septembre 2003. Nous savons que 38,4 % ont contracté le virus dans les six derniers mois. C’est une première dans notre histoire. Un nouvel outil de mesure, reproductible dans le temps... chacun pourra alors juger l’impact des politiques de prévention. De quoi mesurer enfin, sans complaisance et en toute transparence, les résultats réels de la politique de lutte contre le sida.

La surveillance virologique, qui a été mise en place en même temps que la notification obligatoire des nouveaux diagnostics d’infection, permet également de repérer les contaminations récentes. Mesurer la progression de la maladie et la vitesse de contagion chaque semestre permet en effet de nous sensibiliser afin d’accroître le dépistage, ou, plus sûrement encore, la protection au moment même ou le danger est le plus grand.

Derrière ces chiffres transparaît donc le vrai visage de l’épidémie. Le premier enseignement de l’InVS ce matin, c’est la réalité d’un chiffre. Restons prudents. Peut-être est-il sous-estimé. L’année 2004 donnera, à cet égard, une idée plus précise sur l’incidence exacte de nouveaux cas. Si on ne peut que prendre acte de la maîtrise apparente de l’épidémie chez les usagers de drogues, la volonté de les protéger en leur assurant l’accès à la prévention et aux soins ne doit pas faiblir.

En revanche, plusieurs indicateurs révélés ce matin doivent susciter l’interrogation : les personnes qui s’infectent par voie hétérosexuelle représentent plus de la moitié des cas. Parmi elles, 60 % sont des femmes et 47 % ont la nationalité d’un pays d’Afrique subsaharienne.

C’est peut-être là une des leçons majeures de ce nouveau tableau épidémiologique : il est illusoire et dramatique de penser que, face à des épidémies à transmission interhumaine, la contagion dans les autres pays ne nous concerne pas. Le Sras nous l’a rappelé. Le sida nous le répète. Il ne faut pas avoir peur de le dire. L’épidémie en France est aussi le reflet de celle qui s’étend, hors de tout contrôle, dans les pays du Sud et en particulier en Afrique. Les flux migratoires sont des phénomènes bien plus anciens que l’infection à VIH. Tous les pays qui ont une tradition d’immigration observent le même phénomène. Ainsi, en 2002-2003, le Royaume-Uni et la Belgique ont connu plus de 70 % des cas d’infection chez les hétérosexuels chez des personnes originaires d’une région du monde où la prévalence du VIH est élevée.

Face à ce défi, il faut réagir. Continuer à défendre ce qui a jusqu’à présent fait notre force pour combattre cette infection. Ce qui fonde aussi les valeurs de notre système de soins : « l’accès pour tous », thème de la prochaine conférence internationale de Bangkok en juillet prochain.

En France, nous devons protéger les étrangers infectés par le VIH. Ils doivent avoir accès à une prise en charge. Les campagnes de prévention télévisées de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) doivent évoquer ce sujet. En 2004, les actions de dépistage et de prévention en direction de cette population seront renforcées dans le cadre du programme « Migrants 2004-2006 ».

Deuxième inquiétude enfin, l’épidémie reste active chez les homosexuels. Ils représentent 21 % des nouveaux diagnostics, correspondant plus d’une fois sur deux à une transmission récente. D’autres indicateurs déjà disponibles, comme la recrudescence des comportements à risque ou des infections sexuellement transmissibles, montraient déjà les limites de la prévention chez une partie d’entre eux. Cette érosion de la prévention n’est pas propre à la France. Elle tient en partie à la modification de l’image de la maladie depuis les trithérapies.

Il faut aujourd’hui encore multiplier les campagnes en direction de cette population, comme nous le faisons déjà pour la syphilis avec les associations intervenant dans les lieux gays, ce que nous ferons encore cette année dans la campagne que nous lancerons en juillet. Enfin, nous devons affirmer notre solidarité vis-à-vis des malades. Je connais les effets indésirables des traitements et l’incertitude sur le long terme qu’ils génèrent.

Pour survivre avec la trithérapie, il faut aussi pouvoir... vivre ! Pour mieux prendre en charge les lipoatrophies faciales, source de préjudice esthétique, psychologique et social, la technique chirurgicale de Coleman a été inscrite à la nomenclature. Le produit de comblement Newfill sera bientôt remboursé. De même, l’inscription à la nomenclature des tests génotypiques de résistance du VIH et de l’osteodensitométrie est aussi en cours.

Pour répondre au désir d’enfant chez les couples séro-différents où l’homme est porteur du virus, je souhaite développer les centres de procréation médicalement assistée dans un contexte viral. En plus des deux centres pilotes qui ont permis la naissance de soixante enfants dont aucun n’est infecté, treize centres couvrant le territoire national ont déclaré une intention de fonctionnement selon les dispositions de l’arrêté du 10 mai 2001. Grâce à la qualité de la prise en charge des femmes enceintes séropositives, la transmission materno-foetale a chuté pour atteindre 1,8 % en 2002, et le nombre de femmes suivies dans le cadre d’une grossesse a triplé en dix ans.

Le besoin de soutien et d’accompagnement social doit être davantage marqué. 75 places supplémentaires d’appartement de coordination thérapeutique sont créées, portant ainsi le dispositif à 595 places. En 2005, 150 places supplémentaires sont prévues.

Dans de nombreux autres pays, l’épidémie continue de croître. Le nombre de personnes traitées dans le monde en développement est actuellement estimé à 440 000 dont un peu plus de 200 000 au Brésil. Le nombre de personnes traitées en Afrique subsaharienne a crû de 40 à 150 000 environ, dans les deux dernières années.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin soutient l’objectif de l’OMS de traiter 3 millions de personnes en 2005. Cela exige une mobilisation internationale sans précédent associant les gouvernements, les industriels, les professions de santé et les sociétés civiles et bien sûr des financements supplémentaires. Les associations de patients, comme elles l’ont fait en France, doivent y jouer un rôle majeur. Le Fonds global a déjà engagé près de 2 milliards de dollars sur deux ans de programmes dans les pays en développement dont 60 % environ portent sur le sida en Afrique. La France a marqué son engagement en étant le premier contributeur au Fonds mondial à hauteur de 150 millions d’euros par an, grâce à l’intervention personnelle du président de la République.

Le sida n’a pas de frontière. Le combattre n’est pas seulement un enjeu national, mais un enjeu de solidarité de tous les instants. Sur tous les continents.