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Malades étrangers | Noëlle Lasne

Tous fraudeurs ? Entretien avec Noëlle Lasne de Médecins sans Frontières

3 janvier 2003 (L’Humanité)

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Noëlle Lasne milite à Médecins sans frontières

Vous réagissez violemment à la directive de Nicolas Sarkozy. Pourquoi ?

Noëlle Lasne. La démarche de demande de titre de séjour au titre de pathologies graves est encadrée par des procédures très rigoureuses. Le dossier médical, rempli, non pas par un médecin traitant, comme le dit le ministre, mais par un médecin hospitalier ou par un médecin agréé par la préfecture, avec un certificat médical, part chez un médecin inspecteur DDASS, donc chez un fonctionnaire. Seul, celui-ci est apte à se prononcer sur le besoin d’une prise en charge médicale inaccessible dans le pays d’origine. La préfecture n’a pas accès au dossier médical ni à une motivation de la décision. Cela relève du secret médical. Comment les préfectures peuvent-elles, dans ces conditions, constater des dérives ? Le ministre se contente donc de suspicion de fraude de la part des malades. Le thème de l’étranger malade et fraudeur a déjà été abondamment développé autour de la discussion sur l’AME, puisqu’on accuse les gens d’avoir abusé de soins. Et il va plus loin en accusant les médecins fonctionnaires d’être des faussaires, complices de fraudeurs. Ils ont d’ailleurs été convoqués au ministère de la Santé, où on leur a dit qu’ils étaient trop laxistes.

Que pensez-vous de la contre-expertise systématique ?

Noëlle Lasne. Elle va allonger encore le temps d’attente des titres de séjour. Avec la procédure actuelle, il arrive que soient convoqués dix-huit fois des malades qui pèsent 35 kg. Or, en 1999, nous avons fait une étude sur les étrangers ayant postulé sur la gravité de leur situation de santé. Ils étaient 1 500 par an. Ils avaient en moyenne 36 ans. Nous avons constaté que 6 % d’entre eux sont morts avant l’attribution de la carte ou dans le mois qui a suivi. 60 % étaient atteints de sida, 30 % de cancer grave et 10 % de pathologies cardiaques, pulmonaires ou chroniques graves. Les délais ont donc une importance très particulière. Dans les dispositions à venir, le ministère de la Santé doit rédiger des listes des pathologies et des structures sanitaires dans les pays d’origine. C’est excessivement dangereux. Dans certains pays, il existe des médicaments, mais en ville et pour quelques personnes. Actuellement, ce qui entre en ligne de compte c’est l’accès géographique au traitement. Avec une liste de pathologies, on ne parle plus de facilité d’accès. Et on va se heurter à des questions impossibles : y a-t-il de l’insuline en Algérie ? Parfois, oui, parfois non. Quel pays d’Europe occidentale ne peut couvrir les soins de deux mille personnes ? Des gens très, très malades, qui acceptent de rester seuls dans un pays qu’ils ne connaissent pas, loin de leur famille, doivent être très motivés. On ne vient pas du bout du monde pour être soigné, il faut aussi manger, habiter quelque part... Nous nous sommes aperçus que les gens découvraient leur pathologie environ quatre ans après leur arrivée en France. Il ne s’agit pas d’appel d’air. Ces dossiers médicaux sont une encyclopédie des horreurs. Depuis 1997, nous n’avons pas eu un refus de régularisation. Ce sont toujours des dossiers en béton, qui nous prennent parfois dix jours pour tout reconstituer. Les médecins hospitaliers ne sont pas connus pour leur laxisme. Parler de certificats médicaux de complaisance et demander de mettre ces médecins sous surveillance est extrêmement insultant. C’est une violence qui s’exerce sans débat, par voie réglementaire, et qui s’ajoute au démantèlement de la loi CMU et à l’exclusion des soins des populations étrangères. Une véritable politique.

Entretien réalisé par É. R