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Christopher Park | Criminalisation des séropositifs | Suède | Suisse

Criminalisation des séropositifs : la menace du modèle suédois

9 mai 2004 (360º Magazine)

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La Suède applique l’une des lois les plus sévères au monde sur la pénalisation de la transmission du VIH. Mais la situation est-elle meilleure en Suisse ? Lasse en Suède et Christopher à Genève, tous deux actifs au sein d’associations soutenant les personnes séropositives, ont échangé leurs points de vue.

Voir en ligne : La menace du modèle suédois

par Christopher Park

Salut Christopher,

Après un court séjour à Genève, me voici de retour à Stockholm où je retrouve la galère au quotidien des séropositifs... Ici, en Suède, notre association lutte contre le durcissement de la loi sur la transmission du VIH. On pourrait dire que le sida n’est pas un gros problème chez nous (environ 4000 personnes vivant avec le VIH dans tout le pays) mais la loi suédoise est l’une des plus sévères du monde occidental. Nous sommes obligés, en tant que séropositifs, d’annoncer notre statut à nos partenaires avant tout rapport sexuel, même si nous avons des rapports protégés. Ne pas les informer, même si aucune transmission n’a lieu et que les règles du safer sex ont été observées, équivaut à des voies de fait, ou des tentatives de voies de fait, passibles de trois à huit ans de réclusion criminelle, alors qu’un hooligan qui te tabasse au point de te rendre paraplégique s’en tire généralement avec un ou deux ans. En plus, on s’expose aussi à devoir payer dommages et intérêts !

Dans un récent procès, un homme a dû verser CHF 140’000 à un partenaire qui avait vécu les deux semaines d’attente de résultat du test (négatif) dans l’angoisse ! Ce genre d’affaire est lucrative. Des cas d’extorsion nous ont été signalés : « File-moi 5000 balles ou je vais raconter aux flics que tu ne m’as pas dit que tu étais séropo avant qu’on baise. » C’est exactement le genre d’histoire dont la presse people raffole. Récemment, un journaliste a produit une série d’articles au sujet d’un homme prétendument séropositif, baiseur sans scrupules, et de la bombe à retardement de son virus. Plus tard, on a découvert que le journaliste était le nouvel amant de l’ex-petit ami du prétendu séropo qui refusait de céder à leur tentative d’extorsion. Ils ont donc tenté d’influencer les tribunaux en publiant cette série noire dans le journal... Et ça a marché. Le type montré du doigt s’est retrouvé avec une peine de plusieurs années de prison et de gros dommages et intérêts à payer, alors que personne n’avait été infecté !

Dans ce genre de contexte, il devient difficile de faire appel à la raison et à l’information objective pour lutter contre le sida en Suède. Les gens ne veulent simplement plus aller se faire tester par peur des conséquences juridiques et les personnes qui savent qu’elles sont séropositives osent rarement le dire ouvertement. La loi sur les épidémies finit par ne rien régler du tout...

Lasse Lindberg

Riksförbundet för Hivpositiva - Association suédoise des personnes vivant avec le VIH/sida

Cher Lasse,

Du point de vue d’un séropositif qui vit à Genève, la situation en Suède peut sembler effrayante. Mais si l’on regarde la loi suisse sur la transmission des maladies infectieuses, le cadre légal n’est pas si différent d’un pays à l’autre. La principale différence tient au fait que les poursuites pénales et les sentences sont beaucoup plus circonstanciées en Suisse.

Ça ne veut pas dire qu’on n’ait jamais condamné personne pour la transmission du VIH. Lorsque l’origine d’une infection peut être clairement attribuée à une personne qui connaissait sa séropositivité et l’a cachée à son partenaire, ou l’a démentie, la peine encourue équivaut aux voies de fait : quatre à huit ans de prison.

Les comportements irresponsables sont aussi sanctionnés par la loi, même lorsqu’il n’y a pas eu de transmission du VIH. En février dernier, le tribunal correctionnel d’Yverdon a condamné à huit ans de prison, assortis de 15 années d’exclusion du territoire suisse, un ressortissant angolais séropositif de 33 ans, revendeur de drogue et accusé d’avoir violé deux de ses clientes. Dans son réquisitoire, le procureur a parlé d’une « bombe à retardement » et de « cadeau empoisonné », même si aucune infection n’avait eu lieu.

Les séropositifs en Suisse n’ont certes pas l’obligation de s’identifier s’ils pratiquent une sexualité protégée. Cela tient sans doute au fait qu’il y a une contradiction implicite entre la loi sur les maladies infectieuses et la loi sur la protection des données personnelles. Reste que la plupart des séropos vivent leur infection dans le secret : plus ça se sait, plus on s’expose à des ennuis, par exemple un licenciement abusif. Révéler son statut à une personne qu’on connaît à peine (même si on crève d’envie de baiser) peut donc signifier un gros risque.

De plus, on considère en Suisse que celui qui sait qu’il est séropositif doit assumer ses responsabilités. Celles du séronégatif, qui consistent à le rester, sont hélas moins catégoriquement définies. Tout comme le besoin de se faire tester régulièrement si on change souvent de partenaire.

J’ai aussi rencontré des femmes séropositives dont les partenaires (qu’on suppose être séronégatifs) refusent de porter un préservatif, même si elles leur disent clairement être porteuses du VIH. Qu’est-ce que la loi suédoise prévoit dans ce genre de cas pour ces femmes (et par la même occasion, pour ces hommes) ?

Christopher Park

Groupe sida Genève

Salut Christopher,

Il arrive aussi en Suède qu’on accepte mutuellement de renoncer à utiliser une protection après avoir clairement révélé son statut sérologique, mais cela n’élimine pas la possibilité de poursuites pénales et ne les réduit pas non plus. En tant que séropositif, tu n’as tout simplement pas le droit d’avoir des rapports sexuels sans préservatif, quelles que soient les circonstances.

Le Ministère de la santé publique utilise dorénavant la loi comme façon de « protéger » les gens de la menace du VIH et a apparemment renoncé aux méthodes plus conventionnelles. Et chaque année, l’Etat met en avant les taux incroyablement bas de VIH en Suède pour nous prouver que le « modèle suédois » fonctionne. Le message implicite, c’est que les Suédois savent se protéger. En 2003, on a signalé les taux de nouvelles infections les plus élevés en dix ans : le gouvernement accuse la migration et le tourisme sexuel. Comme si ces gens-là arrêtaient d’avoir des relations sexuelles quand ils sont en Suède !? Dans les écoles, il n’y a quasiment plus d’informations sur le VIH et le peu qui reste se fonde sur une approche qui date des années 80, mettant en avant les « groupes à risque » comme les gais, etc. Pourtant les statistiques montrent que les hétéros sont largement majoritaires parmi les personnes infectées.

Avec cette politique, de plus en plus de gens n’apprennent leur séropositivité qu’à partir du moment où ils tombent malades du sida, ce qui veut évidemment dire que cela fait des années qu’ils sont porteurs du virus. Tous les signes d’une explosion souterraine du VIH en Suède sont réunis, mais le gouvernement ne fait rien pour renforcer la prévention ou faire la promotion du dépistage. La santé publique s’intéresse désormais aux seules campagnes anti-tabac ou anti-alcool, et les fonds réservés au VIH ne peuvent de ce fait plus augmenter. Et les organisations gaies, elles, ont commencé à chercher d’autres domaines plus rentables que le VIH, comme la lutte anti-clope.

Le dernier rapport du gouvernement sur le VIH fait valoir l’important travail psychosocial et préventif réalisé par les associations de lutte contre le sida. Mais le soutien financier de l’Etat ne suit pas, et nous devons nous tourner toujours plus vers des sources alternatives de financement, comme les sponsors de l’industrie pharmaceutique. Ce que l’Institut national suédois de la santé publique ne trouve pas très « correct ». Peu importe où tu te tournes, tu auras toujours, comme on dit en suédois, « un trou du cul derrière toi ».

Love, peace, and safer sex.

Lasse

Cher Lasse,

L’an dernier, l’Aide Suisse contre le Sida publiait une brochure sur la sexualité destinée aux personnes séropositives et leurs proches. On peut y lire des avertissements très explicites sur les aspects criminels de la transmission du VIH à des partenaires sexuels. Cette année, une autre brochure sur la sexualité entre hommes rappellera aux lecteurs qu’une personne qui sait qu’elle est séropositive, et qui a des rapports sans protection avec une personne séronégative peut être passible de poursuites pénales et risque plusieurs années de prison. Cette brochure affirmera également qu’un pourcentage incroyablement élevé d’homos s’imaginent (à tort) que tous les séropos disent qu’ils le sont à leurs partenaires avant de baiser. Si les nouvelles déclarations d’infection continuent à augmenter, il y a fort à parier que la droite populiste s’acharnera à rendre la déclaration du statut sérologique obligatoire, tout comme en Suède.

Et puis, même s’il n’y a pas (encore) d’obligation à se révéler avant les rapports sexuels, il va être de plus en plus difficile de vivre son VIH dans le secret à une époque où l’accès aux données personnelles sera de plus en plus exigé... Les compagnies d’assurance se préparent déjà au screening génétique des clients pour exclure les porteurs de maladies héréditaires, les dépendances, etc. Une étude suisse a prouvé l’an dernier que les personnes séropositives sous traitement anti-sida (et libres de toute autre infection virale comme les hépatites) vivaient aussi longtemps que des fumeurs ou des diabétiques. Mais lorsque le Groupe sida Genève a écrit à une vingtaine d’assureurs vie pour leur demander si les conclusions de cette étude allaient changer leur politique d’exclusion des personnes séropositives de l’assurance-vie, on n’a reçu que six réponses, toutes négatives.

Joyeux printemps...

Christopher

PS : Début avril, le parlement suédois a ratifié une nouvelle loi sur les maladies transmissibles qui ne change guère les dispositions de l’ancienne. Grosse surprise, en revanche, du côté de la Cour suprême, qui a décidé, dans le cas de l’homme séropositif évoqué ci-dessus, de commuer la sentence de huit à une année de réclusion criminelle, renversant ainsi un précédent vieux de 15 ans. Il semble que lorsque aucun virus n’est transmis, l’acte ne sera dorénavant jugé que sous le motif de la « mise en danger d’autrui ». Reste à voir si les tribunaux inférieurs suivront ce nouveau précédent...

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