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Irak | Sang contaminé

Une famille brisée par le sang contaminé et les geôles de Saddam

8 mai 2003 (AFP)

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par Sonia BAKARIC et Roméo GACAD

BAGDAD, 8 mai 2003 (AFP) - La famille de B., un jeune hémophile irakien contaminé par le virus HIV, a vécu un cauchemar après une rencontre fortuite avec Saddam Hussein, sur une autoroute dans le nord du pays, le 1er avril 1989.

Le père, qui voulait protéger ses deux fils hémophiles "infectés", selon lui, "par du sang contaminé français", en déménageant trois fois en deux ans pour "mettre ses enfants à l’abri", a raconté à l’AFP comment cette rencontre a "brisé" sa vie.

"Nous roulions sur l’autoroute reliant Bagdad-Mossoul lorsque j’ai aperçu le convoi présidentiel de Saddam", raconte-t-il. "J’ai garé ma Toyota Crown sur le côté. Nous avons salué Saddam de la main, il est sorti et est venu vers nous".

"C’était le jour des élections parlementaires. Saddam m’a serré la main et m’a demandé +Alors, vous partez en vacances ? C’est bien, il faut en profiter+".

"J’ai répondu que je n’avais pas l’esprit à la fête et lui ai montré un de mes fils, qui saignait à un genou".

"Saddam est devenu soudainement très nerveux et a lancé : +Vous ne devriez pas serrer la main d’une personne aussi importante que moi, car vous avez tous une maladie dangereuse+", poursuit M. B.

"+Nous n’avons rien, il n’y a que Dieu dans le ciel et vous sur la terre+, a déclaré ma femme", explique le père, qui a ensuite demandé au président de l’aide pour ses deux fils.

"Saddam m’a répondu +Je ne suis pas responsable de cela, il faut vous adresser au ministère de la Santé. Je n’ai plus le temps, j’ai un avion à prendre+. Il était 13H00", raconte-t-il.

Saddam Hussein est parti, puis "nous avons été suivis par deux voitures des services de la sécurité jusqu’aux portes de Bagdad", poursuit-il.

Le père raconte encore qu’il s’attendait que le président "fasse un geste", mais deux jours après la rencontre accidentelle avec le Raïs, un ami travaillant au ministère de la Santé lui a téléphoné pour lui lire "une lettre personnellement écrite par Saddam Hussein".

"Cette lettre, poursuit le père, donnait l’ordre aux responsables du ministère de la Santé et de l’Intérieur de nous tuer pour +que nous ne puissions pas propager la maladie+ et de détruire notre maison+".

Le père a consulté des amis, et pris finalement "la décision très difficile" de se rendre, avec sa femme et ses fils.

"Nous n’avions aucune chance de quitter l’Irak. J’ai conduit mes deux fils et ma femme à l’hôpital Ibn Zuhur de Bagdad", raconte-t-il.

La famille vivait déjà un cauchemar à travers la maladie des deux fils.

Elle devrait maintenant affronter les conditions "inhumaines" de détention pour les malades du Sida ou les séropositifs.

Sa femme, 57 ans, qui a passé "deux ans et demi en détention" à Ibn Zuhur, raconte, elle, qu’il "y avait là-bas plus de soldats que de médecins".

Dans la semi-obscurité de leur maison luxueusement décorée, la tragédie de cette famille semble ne pas avoir de fin.

"Les patients hurlaient parfois de douleur", se souvient-elle, en décrivant leur lente agonie, mais aussi "le silence de ceux qui avaient cessé de souffrir".

Son fils aîné, H., est mort en 1994. Il avait 20 ans. Selon elle, il a été contaminé par le virus HIV, "importé de France".

Le père, riche industriel âgé de 60 ans, tient un journal où toutes leurs "tragédies" sont compulsées depuis la contamination de ses fils.

Il ouvre un album photo montrant H. dans la cour de l’hôpital Ibn Zuhur, avec, à quelques mètres de lui, un soldat armé d’une Kalachnikov.

Assis dans un fauteuil, B. se livre à un chassé croisé avec sa mère sur les souvenirs les plus sombres de leur détention.

"Je me souviens encore que les médecins étaient gentils avec nous, mais qu’il y avait des soldats partout qui empêchaient les gens de s’échapper de l’hôpital".

"Graciés" le 10 septembre 1991 par Saddam Hussein, la mère et ses deux fils ont pu quitter l’hôpital.