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Pouvoir médical

Les malades en grève à l’hôpital

25 octobre 2000 (Libération)

PARIS, 25 octobre 2000 (Libération)

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Les associations menacent de quitter les instances sanitaires si la loi n’avance pas.

Par ERIC FAVEREAU

C’est une première pour le moins iconoclaste. Les malades... s’en vont. Ils menacent de claquer la porte des hôpitaux. Hier, au cours d’une conférence de presse, le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui regroupe les plus importantes associations de malades (1), a décidé de quitter, « au plus tard au 1er décembre », toutes les instances sanitaires dans lesquelles les usagers de santé sont représentés, « et cela si le projet de loi sur les droits des malades continue de rester en rade ». Dès aujourd’hui, toute participation au niveau national est mise entre parenthèses. Jamais pareille grève n’avait été lancée. « On est menés en bateau, sans la moindre considération », a expliqué Michel Ceretti, président du Lien (association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales) et porte- parole du Ciss. La goutte d’eau de ce divorce annoncé est le projet de loi sur les droits des malades, aujourd’hui en panne.

Malentendu. Le Premier ministre a annoncé que la loi ne serait pas débattue avant les municipales. « En clair, elle est repoussée aux calendes grecques », tempête Michel Ceretti qui raconte les derniers épisodes du malentendu. « Depuis la rentrée, c’est le silence complet. Quand on a appris que cela bloquait - en particulier sur la question de l’indemnisation du risque thérapeutique -, on a demandé à quatre reprises à être reçus par la secrétaire d’Etat à la Santé, Dominique Gillot. Nous n’avons aucune réponse. On a écrit et faxé. Pas le moindre signe. On ne sent aucune considération de la part du gouvernement. C’est un comble alors que cette loi est censée redonner une place à l’usager de la santé. »

Inquiétude.Christian Saout, président de Aides, se montre encore plus virulent : « Où est la démocratie sanitaire ? On assiste depuis quelque temps à une manière catastrophique de gérer le débat public. On ne nous dit rien ou on dit : "Attendez le texte n’est pas fini, il est encore en arbitrage." Et quand le texte est arbitré, on nous le montre mais on ajoute : "Comme c’est arbitré, il n’y a plus rien à dire." En tout cas, qu’il n’est pas amendable. Où est notre place ? » Et le président de Aides d’ajouter : « On veut des associations partenaires et on nous enferme dans une attitude protestataire. »

« On ne sait plus comment faire pour se faire entendre », poursuit Michel Ceretti. D’où la démarche en deux temps du collectif. D’abord, les 23 associations viennent de signer une lettre à Jospin. « Nous n’avons aucune information, pas même une ébauche de texte en ce qui concerne l’indemnisation de l’aléa thérapeutique », écrivent les signataires. Qui précisent que, si cette indemnisation ne figurait pas dans le projet de loi, « les 23 associations membres du collectif se verraient dans l’obligation de prendre des décisions lourdes quant à leur participation aux débats publics et à leur représentation dans les instances sanitaires ». Au 1er décembre donc, le collectif a décidé de demander à ses représentants de quitter les conseils d’administrations des hôpitaux, les conférences régionales de santé, mais aussi toutes les commissions d’experts. « Sauf, peut-être, les commissions de conciliation », note un responsable de la Ligue nationale contre le cancer.

La nouvelle ministre de l’Emploi et de la Solidarité se retrouve au pied du mur. Elisabeth Guigou voulait prendre son temps, elle va devoir trancher plus vite que prévu. Et surtout tenter de renouer des liens que son « amie » Martine Aubry n’a pas jugé utile de renforcer.

(1) Dont Aides, la Ligue nationale contre le cancer, l’Association française contre les myopathies, l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés, l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux, l’UFC-Que choisir, etc.

Pierre Lascoumes, coordonnateur du Collectif sur la santé : « On est dans l’impasse »

recueilli par Eric Favereau

DRierre Lascoumes est le coordonnateur du Collectif interassociatif sur la santé regroupant vingt-trois associations de malades.

Qu’est-ce qui bloque actuellement la loi sur les droits des malades ?

Nous avons le sentiment que le projet de modernisation du système de santé, qui inclut donc les droits des malades, n’est pas reconnu comme une priorité gouvernementale. Cela se traduit, depuis le début, par une absence de méthode. Par exemple, il a fallu attendre trois mois pour que Martine Aubry tranche la question de l’accès direct au dossier médical. Et maintenant, c’est la même chose. On découvre depuis cet été que la question de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique représente un risque considérable pour les finances si on l’élargit aux personnes infectées par le virus de l’hépatite C au cours d’un acte médical. Or, cela, tout le monde le sait. Cela signifie qu’il n’y a eu aucun travail préparatoire. Ils ont attendu le dernier moment pour se demander combien cela coûte. En même temps, le gouvernement hésite, subit la pression des assureurs et des avocats. Car si une procédure d’indemnisation est mise en place, c’est un manque à gagner pour les assureurs qui essaient de lancer de nouveaux contrats d’assurances sur ces risques. Et pour les avocats, ce sont des conflits en moins.

Et la notion « d’assurabilité » des malades...

On retrouve la même absence de méthode du gouvernement qui fait en même temps une chose et son contraire. Ainsi, dans le projet de loi, il a été décidé d’inclure la création d’un haut comité à l’assurance qui devrait avoir deux fonctions : d’une part, classer et hiérarchiser les risques pour déterminer ce qui est ou n’est pas assurable. D’autre part, vérifier la tarification. C’est bien. Mais en même temps, le gouvernement met en place un nouveau comité Belorgey, avec comme mission de chercher un compromis avec les assureurs et les banques. C’est une tout autre logique. Il faut choisir : soit l’un, soit l’autre. D’où l’impasse actuelle. Tous les dirigeants des associations du collectif en ont assez de se faire maltraiter politiquement.