Didier Villard | Financement de la lutte contre le sida | Tina | Yann
L’Agence régionale de santé PACA supprime un budget et une association ferme à Cannes
5 octobre 2012 (lemegalodon.net)
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Sandra : Didier Villard est le directeur de l’association cannoise Action santé alternative. Au mois de juin, cette association a rencontré de grandes difficultés financières car l’ARS, l’Agence régionale de santé a décidé de ne plus subventionner cette association. Pour quel motif ? Que s’est-il passé ? Explication de Didier Villard.
Début de l’enregistrement.
Didier Villard : Ce qui s’est passé, c’est très simple. Nous avons été obligés de déposer un dossier de cessation de paiement auprès du tribunal de grande instance pour la simple et bonne raison c’est que financièrement on ne pouvait pas retrouver un équilibre étant donné qu’on nous a appris cette décision beaucoup trop tardivement, c’est-à-dire début juin. Après 6 mois de fonctionnement, ça implique que le fond de trésorerie de l’association était épuisé. On ne peut pas tenir plus de 6 mois. Donc les autres années, les financements de l’ARS arrivaient en juillet. Donc ça permettait de jongler comme ça. Là en nous apprenant cette nouvelle en début juin, il était bien évident que financièrement on n’avait aucune solution. La liquidation judiciaire a été prononcée début juillet. En août, avec l’ancien conseil d’administration, nous avons recréé une nouvelle structure, qui porte quasiment le même nom et qui a repris les activités de l’ancienne. Mais sans plus de fonds de trésorerie, sans rien. Ca fait que pour 2012, il est très difficile de fonctionner.
Sandra : Qu’est-ce que vous faisiez dans votre ancienne association et qu’est-ce que vous pouvez faire maintenant ?
Didier Villard : L’ancienne association a une très longue histoire puisqu’elle a débuté en 1992 pour l’hébergement de personnes en fin de vie. Donc ça c’est une activité qui a duré jusque dans les années 1998 à peu près. Donc avec l’arrivée des nouveaux traitements et les demandes d’hébergements se faisant moins importante, on avait instauré un système de prise en charge que nous on appelait la prise en charge intra extra hospitalière du patient VIH. C’était un service qui était fait en total partenariat avec le centre hospitalier de Cannes et qui permettait d’éviter la rupture entre la ville et le milieu hospitalier. On maintenait un contact avec les personnes suivies tout au long de l’année ce qui permettait outre les possibles inobservances de traitement, de faire remonter au niveau du médecin les différents effets secondaires que la personne ne confiait pas forcément à son médecin traitant. Et ça permettait aussi, ce qui était la plus grosse partie, une aide à la gestion et un suivi dans tout ce qui est démarche administrative. Donc actuellement pour les 6 derniers mois de 2012, on continue à suivre un certain nombre de patients, tant bien que mal puisque nous n’avons plus de local d’accueil. Donc je me suis débrouillé avec le centre hospitalier et une association de Cannes pour pouvoir utiliser leurs locaux. Mais bon c’est un petit peu de la haute voltige. Ce n’est pas du tout le même cadre qu’auparavant. On ne peut pas suivre le même nombre de personnes. Jusqu’en juin on avait une file active d’environ 130 personnes toute l’année. Là on a été obligé de conserver que les cas les plus, de personnes vivant dans la plus grande précarité.
Sandra : Du coup, pour 2013, je suppose que vous travaillez déjà pour des dossiers de subventions. Comment ça se passe ? Comment vous allez faire pour faire comprendre à l’Agence régionale de santé, l’ARS, que vous devez exister ?
Didier Villard : J’ai eu une réunion avec eux, donc il y a 10 jours environ où je leur ai exposé notre volonté de toute façon de maintenir notre activité de suivi des personnes atteintes ce qui n’était pas dans leurs objectifs. Le problème est venu du fait qu’ils ont refusé de financer un programme qui est financé depuis 20 ans maintenant, qui a eu toutes les évaluations possibles de leur part et de la part du GRSP [1] auparavant et des évaluations positives. Il n’y avait aucune raison pour que ce programme s’arrête d’être financé. Donc là bien sûr on va tenter de le faire mais ce sera certainement avec des moyens beaucoup moins importants. Là pour l’instant c’est vrai que je suis en plein dans les dossiers de financements pour 2013. Ce n’est pas évident parce qu’il y a beaucoup d’autres financeurs qui n’ont pas tellement compris cette situation. A vrai dire, on nous aurait annoncé cette décision, puisqu’en fin de compte c’est de l’argent publique et ils ont totalement droit de le récupérer, ça ne nous appartient pas. Mais ils nous aurait annoncé cette décision en tout début d’année, ça aurait évité la destruction complète de l’association. On aurait au moins conservé l’entité juridique.
Sandra : Qu’est-ce qu’ils vous ont donné comme raison ? Pourquoi ont-ils arrêté de financer ce programme ?
Didier Villard : Ah bah ! Dans le premier courrier que le député maire de Cannes a reçu, qu’il a bien voulu me transmettre, ça laissait supposer une petite baisse de crédit, qu’ils n’avaient plus les moyens de financer de telles actions, en gros. Dans le deuxième courrier qui provient du directeur général de l’ARS, là c’était encore plus bizarre parce qu’il ne reprenait pas les mêmes raisons et surtout il restreignait un rapport de 100 pages, que l’on fait chaque année, à 2 petites activités de l’association. C’est-à-dire les actions de prévention qui ne dure que maximum 7 mois par an, ce qui n’a rien à voir avec le budget qui venait de disparaître et des consultations de psychologues. La psychologue était salariée que le lundi chez nous. Donc c’est vraiment restreindre au strict minimum. Donc on n’a toujours pas compris. A vrai dire on m’aurait dit, il y a des baisses de budget, on refuse de financer ça maintenant, à la limite je me serais révolté mais bon, c’est leur droit, c’est l’argent public.
Sandra : Est-ce que vous connaissez d’autres associations comme vous dans votre région qui ont subi aussi les conséquences…
Didier Villard : Je sais qu’il y a plusieurs structures qui ont été touchées, en particulier un point d’accueil pour toxicomane sur Nice qui a été touché très durement par une suppression de budget également. Il y a là actuellement, au niveau du PLSP, le plan local de santé publique, sur le bassin cannois, c’est-à-dire les villes de Grasses et Cannes, il ne nous est plus possible du tout de faire des actions de prévention parce que les budgets ont quasiment été supprimés. Nice est considérée comme un territoire prioritaire et en fin de compte, les actions sur Nice sont financées, les actions sur Cannes et Grasses, il faut racler les fonds de tiroirs.
Sandra : Donc c’est Nice qui passe en priorité et pourquoi ?
Didier Villard : Ah oui c’est catastrophique. Ce sont les nouvelles directives où il y a des territoires prioritaires. Et chez nous les territoires prioritaires c’est avant tout Nice. Donc l’ARS applique le texte. Une action de prévention qui est très importante car elle brasse beaucoup de gens, sur les lieux de consommation extérieurs autrement dit les lieux de drague identifiés gays, ça représente plus de 5000 contacts tous les 7 mois dont 1000 et quelques sur Nice. L’ARS va financer que cette partie-là alors que le reste du territoire où il y a beaucoup plus de gens parce que justement il n’y a pas d’établissement gays sur le reste du département, il y en a principalement que sur Nice. Les autres lieux de drague nous permettent de toucher une population qu’on ne touche pas du tout par ailleurs, c’est-à-dire les bisexuels, on va dire tout plus simplement les hommes mariés où il y a 2 lieux de drague sur les Alpes-Maritimes où il y a environ 70 à 80% d’hommes mariés qui tournent dessus. C’est une population qui n’est pas du tout accessible à l’information. C’est une population qui n’est pas prise en charge. Avec cette histoire de priorité au niveau du territoire on arrive à des aberrances comme ça.
Sandra : Quelles sont les conséquences de la disparition de votre association ? Combien de personnes sont laissées à l’abandon ?
Didier Villard : Avec le centre hospitalier donc on avait une file active officielle d’environ 130 personnes. Donc dans cette file active il y avait un roulement chaque année puisqu’il y avait les nouvelles contaminations. Il y avait les personnes qu’on arrivait plus ou moins à stabiliser donc que l’on sortait de la file active. Ca ne veut pas dire qu’on ne va pas les reprendre plus tard. En l’occurrence là, à l’instant T ils n’avaient plus besoin de nos services donc on préférait reporter sur d’autres. Donc ça fait qu’il y a quand même un très grand nombre sur le bassin cannois de personnes qui faisaient appel à nous. D’ailleurs quand on a fermé et que la nouvelle s’est répandue, il y a de nombreux patients qui m’ont téléphoné pour me demander ce qui se passait, comment on allait faire etc. C’est vrai qu’on me dira toujours, et particulièrement les gouvernants, qu’il faut utiliser le dispositif de droit commun, ce qui est totalement vrai. Mais il ne faut pas oublier une chose c’est que le dispositif de droit commun c’est un, sur les Alpes-Maritimes, en région PACA, il y a énormément de personnes âgées qui seront prioritaires sur les patients VIH et que le patient VIH n’ira pas forcément voir au CCAS (Centre communal d’action sociale) pour demander de l’aide. Déjà parce que parler de sa maladie dans un organisme public, il ne le fera pas tout simplement, c’est tout bête. Et ça ils n’arrivent pas à comprendre qu’il y a toujours cette connotation de cette maladie même x années après l’épidémie.
Sandra : Mais il n’y a que vous qui pouvez aider ces personnes ?
Didier Villard : Sur les Alpes-Maritimes on n’est pas nombreux. On est deux associations. Il y a Aides et nous plus une petite association qui est à Mandelieu. Ce sont des personnes âgées qui depuis des années s’occupent de patients VIH, mais bon, qui ont des moyens excessivement limités. Et puis point final. C’est tout. Sur un département qui est quand même le plus touché de la région PACA. Donc on n’a pas des moyens énormes. Bon il y a Fight Aids qui est à Monaco mais Fight Aids n’a pas du tout la même activité que nous. On va surtout les contacter pour le montage financier pour essayer d’absorber des dettes, etc.
Sandra : Qu’est-ce que vous dites aux gens qui se tournent vers vous ? Vous leur dites désolé, on ne peut plus s’occuper de vous ?
Didier Villard : Non, je continue. Au niveau administratif je continue à les suivre avec les anciens salariés, on ne va pas les larguer comme ça, s’ils ont besoin d’être accompagnés pour des titres de séjour ou pour des démarches dans les administrations, on va continuer à s’en charger ça c’est sûr. Le problème, là où on ne peut plus intervenir pour l’instant c’est au niveau des prises en charge financières, des aides alimentaires par exemple, ce qui représentait des sommes relativement importantes. Là on ne peut plus du tout intervenir parce qu’on n’a plus du tout de trésorerie. C’est Solidarité sida qui nous soutenait financièrement jusqu’à présent en ce qui concerne cette prise en charge financière et alimentaire. Donc pour 2013, le dossier est déjà monté. Mais avant 2013 on n’aura absolument rien.
Sandra : Qui sont les personnes que vous recevez ?
Didier Villard : C’est très mélangé. C’est une population à 80% qui est isolée. Il est très rare qu’on ait des couples. Donc ce sont vraiment des personnes seules. Elles sont quasiment toutes bénéficiaires de l’allocation adultes handicapées. Il y en a excessivement peu qui ont une pension. Encore moins qui ont un travail. Au niveau de ce qu’on appelle la population migrante, elle est relativement faible. Quoique dans la nouvelle structure qu’on a créé en août, avec le centre hospitalier, au niveau des nouvelles entrées, il y a quand même eu une très forte augmentation de personnes originaires d’Afrique. Donc on va instaurer, c’est tout nouveau à vrai dire, ça date depuis quelques mois, on va instaurer un suivi au niveau de ces personnes parce que c’est vrai que dans notre pays elles sont relativement pommées. Elles sont arrivées il n’y a pas très longtemps et il y en a certaines qui ne maîtrisent pas du tout notre langue. Donc qui arrivent à la parler mais qui ne savent pas lire donc pour eux les documents ça devient vraiment le casse-tête. Chez nous la population homosexuelle n’est pas particulièrement forte. Il y a des gays ça va de soi mais elle n’est pas particulièrement forte. On a une très forte population d’anciens toxicomanes, ça c’est depuis les années 92 puisqu’à l’époque malheureusement les toxicomanes étaient énormément concernés par l’épidémie dans les Alpes-Maritimes. Et depuis, ceux qui sont encore en vie en tout cas, on a continué à les suivre. Sans ça c’est une population largement hétérosexuelle.
Fin de l’enregistrement.
Sandra : Didier Villard au micro de Survivre au sida. Tina et Yann, ce qui arrive à Didier Villard, à son association, ça doit sûrement vous faire tilt. Vous aussi vous savez combien il est difficile de montrer à l’ARS, à l’Agence régionale de santé, l’utilité d’une association pour des personnes malades.
Tina : Oui tout à fait. Il y a vraiment de plus en plus une distance qui s’instaure entre l’ARS et les actions de terrain. L’ARS c’est devenu un peu une machine administrative qui cherche à avoir un maximum de document d’évaluation. Ca rentre dans leurs objectifs, ils voient si c’est financé. Ca ne rentre pas, sans cligner des yeux, une association peut être amenée à disparaître, une action peut être stoppée nette puisque ça ne rentre pas dans leur plan national de santé public. Ce n’est pas une priorité. Nous on a eu une action qui a stoppé du jour au lendemain, c’est le projet Chorba qui consiste à ce que des membres de notre association partent à l’hôpital pour partager un repas, pour passer un moment convivial avec les personnes hospitalisées. Leur argumentation, pourquoi ils ne veulent plus financer ce projet, dans ce que nous on fait, tout ce qui est en lien à l’hôpital, tout ce qui se fait sur l’hôpital, n’est pas financé. C’était ça leur argumentation pour stopper le financement. Ca peut être vraiment radical du jour au lendemain. Même parfois parce que nous on n’a pas bien expliqué ce qu’on fait ou quoi. L’ARS peut sans cligner des yeux stopper tout financement. Chaque association est vraiment menacée par ça.
Yann : C’est d’autant plus grave que ça touche souvent des petites structures qui font un boulot énorme. Là comme on entendait Didier sur Cannes apparemment, sur toute la région PACA ils sont que 3. Qu’est-ce que vont devenir ces gens qui d’un seul coup n’ont plus de lien et de contact ? L’isolement va revenir, on sait ce qui se passe après.
Tina : Eux c’est exactement ça qui se passe. L’ARS applique des principes. Les principes c’est ce genre de service ça relève du droit commun. On ne finance plus, c’est un principe. C’est parce que l’ARS n’est plus proche de ce qui se fait sur le terrain, des situations locales et du coup des grands principes nationales sont catastrophiques pour certaines associations et pour certaines régions.
Sandra : La discussion continue sur le site lemegalodon.net et nous prendrons bien sûr des nouvelles de Didier Villard pour savoir si en 2013 la situation s’est améliorée pour l’association.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
Notes
[1] Les GRSP, Groupements régionaux de santé publique sont remplacés par les ARS, Agences régionales de santé