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Pourquoi il faut arrêter Ipergay (2/3) : Le point de vue de Bernard Hirschel
10 mai 2012 (papamamanbebe.net)
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Écouter: Pourquoi il faut arrêter Ipergay (2/3) : Le point de vue de Bernard Hirschel (MP3, 2.4 Mo)
Sandra : Bernard Hirschel est l’un des grands spécialistes du VIH en Europe et dans le monde. Il a signé, avec deux autres membres de la Commission fédérale suisse le fameux avis titré : « Une personne séropositive sous traitement antirétroviral efficace depuis au moins six mois n’est pas contaminante ». Pourtant, il a à maintes reprises déclaré son scepticisme concernant la prophylaxie pre-exposition, la PrEP. On l’écoute.
Début du son.
Sandra : D’où vient l’approche de la PrEP ?
Bernard Hirschel : Le traitement par des médicaments du sida ou de l’infection à VIH fait disparaître le virus dans le sang et dans les sécrétions génitales. Donc quand on prend ces médicaments, les gens ne sont plus infectieux. Même si quelqu’un qui n’est pas encore infecté prend ces médicaments, on peut espérer que le virus qui essaie de l’infecter, s’il a un contact sexuel à risque, ne va pas y parvenir. Donc l’idée c’est que les médicaments pourraient prévenir l’infection chez les séronégatifs. C’est ça l’idée de la PrEP.
Sandra : Quelle est la validité de la PrEP jusqu’ici ?
Bernard Hirschel : Il existe un essai américain qui a montré, disons le concept était juste, cet essai américain était dirigé par des chercheurs des Etats-Unis. Il se fait partout dans le monde. Et on a vu que les personnes qui prenaient régulièrement, tous les jours, un médicament anti VIH, étaient protégées partiellement contre l’infection. La grande difficulté c’était que beaucoup de gens dans cet essai ont eu des problèmes avec les médicaments, c’est-à-dire qu’ils ne les ont pas pris aussi régulièrement qu’ils auraient dû. Donc les résultats de cette étude américaine doivent être confirmés ou infirmés dans d’autres situations. Par exemple ici en France, chez les homosexuels en France.
Sandra : Comment s’appelait cette étude ?
Bernard Hirschel : Elle s’appelait I-Prex.
Sandra : Donc c’est l’étude qui a montré seulement 40% d’efficacité, c’est ça ?
Bernard Hirschel : Oui. Mais disons qu’il faut distinguer les gens qui ont pris les médicaments et les gens qui n’ont pas pris les médicaments. Chez les gens qui ont pris les médicaments et où on a trouvé le médicament dans leur sang, le degré de protection était plus élevé.
Sandra : Quel est votre avis sur les résultats de la PrEP dans le monde ?
Bernard Hirschel : Moi je suis assez sceptique vis-à-vis de la possibilité que quelqu’un va prendre les médicaments tous les jours pour prévenir un danger qui est quand même intermittent. Quand on regarde les habitudes sexuelles de la majorité des personnes exposées, ils n’ont pas des contacts sexuels à risque tout le temps. Ils les ont peut-être une fois le week-end et après de nouveaux après deux semaines etc. Peut-être qu’il n’est pas réaliste d’attendre que ces personnes prennent des médicaments tous les jours. Donc la question que pose Ipergay, c’est que d’autres méthodes d’administration des médicaments qu’une pilule tous les jours pourraient être efficaces.
Sandra : Comment expliquez-vous l’intérêt et l’insistance de ces défenseurs de la PrEP malgré la faiblesse des résultats ?
Bernard Hirschel : Je pense que c’est une méthode en évaluation. On n’a peut-être pas encore trouvé le bon truc. Si par exemple on mettait le médicament à disposition, on dirait aux personnes prenez-le avant votre contact sexuel et bien ce serait peut-être plus facile pour ces personnes concernées et on aurait une efficacité plus élevée. Ou si on avait un médicament, ça n’existe pas mais, si on avait un médicament qu’on doit prendre une fois par mois par exemple, et puis on pourrait oublier les autres jours, ce serait de nouveau peut-être plus facile et dans ces circonstances là, c’est une méthode qui pourrait avoir sa valeur. Mais pour le moment, avec un degré de protection très partiel, comme vous dites, la méthode n’a pas fait ses preuves.
Sandra : Depuis le 4 janvier 2012, l’essai Ipergay a été lancé, le premier essai de prévention pré-exposition du VIH pour les gays en France. Le but est donc de réduire le risque d’infection par le VIH chez les hommes séronégatifs homosexuels. Selon vous, quel est l’intérêt de cette étude ?
Bernard Hirschel : Comme vous le dites, c’est une étude. Donc vu qu’on ne sait pas encore exactement à quel degré cette méthode PrEP marche, et bien il faut essayer, il faut voir. Puis Ipergay s’inscrit dans toute une série d’études qui évaluent la meilleure façon d’administrer ce traitement préventif. Il donnera des informations utiles. Peut-être qu’on va avoir la réponse à la fin de cet essai, il faut faire comme ci ou comme ça. Et puis si l’on fait de cette façon, on peut s’attendre à un degré de protection de X ou Y%. Je crois que c’est ça qui sera le résultat de cette étude.
Sandra : Par rapport aux études de PrEP, il y a déjà eu pas mal d’études avec des résultats qui ont été parfois assez décevants. Alors est-ce que refaire encore un essai de PrEP, est-ce que selon vous c’est quand même pertinent ou pas ?
Bernard Hirschel : Vous dites que c’est décevant mais évidemment c’est l’histoire du verre à moitié plein, à moitié vide. On a vu que ça pourrait marcher à condition que les gens prennent régulièrement, tous les jours, un médicament. Peu de gens sont capables de le faire. Il faut essayer de trouver d’autres manières de l’administrer, peut-être qu’on trouvera quelque chose de plus pratique et quelque chose qui peut véritablement faire une différence dans la vie courante. C’est une méthode qui a du potentiel. On ne sait pas encore lequel. Il faut voir si ce potentiel est suffisant pour le recommander hors essai et c’est pour ça qu’on fait Ipergay.
Sandra : L’essai Ipergay est justifié selon vous ?
Bernard Hirschel : Moi je trouve qu’il est justifié. C’est surtout aux participants de dire s’ils trouvent que c’est utile pour eux et qu’ils peuvent contribuer à faire avancer l’état de la science, et bien ils vont le faire. Si ce n’est pas convaincant, peut-être qu’Ipergay aura des problèmes à recruter. Ce serait aussi un résultat. Evidemment, pas un résultat positif.
Sandra : À l’émission Survivre au sida du 19 avril 2011, Jean-Michel Molina a dit que : « on s’est rendu compte dans l’étude Iprex en particulier, qu’une raison de l’efficacité qui est encore insuffisante de ces prophylaxie, que le fait qu’elle n’était pas prise régulièrement par les participants. Donc, on espère qu’un traitement qui sera pris à la demande en fonction de l’activité sexuelle sera peut-être pris de façon plus régulière. ». Pensez-vous que les participants pourront être observants ?
Bernard Hirschel : C’est justement ce qu’on teste. On ne le sait pas. Si on le savait, on ne ferait pas l’essai.
Sandra : Et par rapport aux effets secondaires du Truvada ?
Bernard Hirschel : C’est un souci toujours avec les médicaments que le médicament peut avoir des effets non désirables. Maintenant il faut quand même dire que le Truvada est un médicament très largement utilisé et il est bien supporté en général. Et donc on peut espérer qu’en utilisation épisodique, à la demande, il n’aura pas d’effet néfaste. Mais ça reste à prouver. C’est important de, bien sûr, surveiller les participants à l’essai pour ne pas rater des dommages dus au médicament. Les patients infectés par le VIH prennent le Truvada tous les jours. La majorité le supporte très bien. Ensuite il faut regarder le grand nombre. Les statistiques qui montrent que les gens n’ont pas des relations sexuelles tous les jours et puis surtout le week-end. C’est vrai pour le grand nombre. Mais il y a des exceptions. Je suppose que ceux qui fréquentent des saunas tous les jours sont les exceptions. Et pour eux, de prendre un médicament tous les jours c’est évidemment plus lourd que le prendre épisodiquement et peut-être qu’il y en a qui ne le supportent pas. Ça, c’est ce genre de chose qu’on essaye de tirer au clair par cet essai.
Sandra : Cet essai Ipergay, pour l’instant, il est fait chez les personnes homosexuelles. Est-ce que vous pensez qu’il pourra avoir un impact chez les personnes hétérosexuelles ?
Bernard Hirschel : Il n’y a pas de raison de croire que si ça marchait chez les homosexuels, ça ne marcherait pas chez les hétérosexuels. Il faut juste voir les chiffres. Le risque, si vous avez un contact sexuel aléatoire homosexuel vu qu’il y a beaucoup plus d’infections dans la population homosexuelle, le risque auquel vous vous exposez est plus élevé. Donc l’intérêt de prendre de la PrEP est aussi plus élevé. Disons que dans la population hétérosexuelle en France, avec le risque d’infection étant beaucoup plus faible, il est peu probable que les gens soient d’accord de prendre des médicaments pour se prévenir contre ce petit risque.
Sandra : Jean-Michel Molina, quand je l’avais interrogé, avait bien insisté sur le fait que ce n’est pas pour remplacer le préservatif, que ça pourrait donner lieu à une prévention combinée. Donc c’est-à-dire prendre le traitement en plus du préservatif. Est-ce que vous pensez que ça, par la suite, admettons que les résultats Ipergay donnent quelque chose de positif, est-ce vous pensez que ce sera compris comme ça dans la population homosexuelle ?
Bernard Hirschel : Alors là je ne sais pas. Bon, le préservatif est une excellente forme de protection. La PrEP, on ne sait pas encore si c’est une bonne protection. Donc il faut recommander d’utiliser ce qu’on sait être efficace, le préservatif et la PrEP en plus. Mais on sait très bien que ces recommandations restent souvent lettres mortes. Et puis en plus même si les préservatifs sont recommandés, ce n’est pas une protection à 100%. Donc il y a de quoi améliorer avec une méthode additionnelle. Donc on parle de plus en plus de prévention combinée qui utilise diverses modalités pour mieux prévenir.
Sandra : Le nombre de contamination chez les homosexuels est élevé. Selon vous, avez-vous une idée de pourquoi est-ce que la prévention ne fonctionne pas dans la population homosexuelle ?
Bernard Hirschel : On ne peut pas dire qu’elle ne fonctionne pas mais elle fonctionne moins bien que dans les autres populations. La première raison, c’est la haute fréquence ou la haute prévalence de l’infection VIH dans cette population. La deuxième, c’est un nombre de partenaire élevé. Et puis la troisième chose, il faut penser à quel type de prévention, si l’on compare par exemple avec les usagers de drogues, et bien il n’y a pas de valeur ajoutée à s’injecter avec une seringue sale tandis que, évidemment, l’utilisation des préservatifs n’est pas faite pour augmenter le plaisir sexuel. Donc une certaine tendance à laisser tomber.
Sandra : Quelle distinction faites-vous entre la prévention par le traitement pour les personnes séropositives et le concept de faire des médicaments à des séronégatifs ?
Bernard Hirschel : Traiter les séropositifs on le fait surtout pour leur propre bien. C’est-à-dire pour prévenir les manifestations du sida. Tandis que, évidemment, les séropositifs sont déjà infectés. Le train est parti. Tandis que pour les séronégatifs, l’idée n’est pas de traiter une maladie mais de prévenir une infection. Donc deux situations entièrement différentes.
Fin du son.
Sandra : Vous venez d’écouter Bernard Hirschel, grand spécialiste du VIH en Europe et dans le monde. Est-ce qu’il y a quelques réactions par rapport aux propos de Bernard Hirschel ? Je vois Stéphane Minouflet qui s’avance vers le micro.
Stéphane Minouflet : Oui. C’est plein de bon sens pour une grande majorité de choses. Déjà le fait de prévention combinée. Ça c’est vraiment pour le coup, vraiment le monde des « bisounours ». Parce qu’alors qui va s’imaginer qu’on va prendre le préservatif plus le Truvada ? Mais alors ça, il n’y a que l’ANRS et le professeur Molina qui y croient. Ce sont vraiment les deux seuls à y croire. Parce que je ne sais pas, moi je les invite encore une fois, parce que ce n’est pas la première fois que je les invite, à venir passer une semaine au sauna à Toulouse. Et bien je peux vous assurer qu’ils repartent, ils n’y croient plus du tout. Donc, non, non. Ça personne ne le fera. On sait pertinemment que de toute façon, ça va mener à l’abandon du préservatif pour ceux qui ont déjà des pratiques ne serait-ce qu’occasionnelles, à risque. Quant à ceux qui ont des pratiques à risque continues, comme disait Bernard Escudier, les « barebackeurs », ça va les conforter dans leur idée. Il y a un truc tout bête concernant les « barebackeurs », c’est vrai comme disait Bernard tout à l’heure, il y a un souci, on n’en parle pas. Mais oui, parce que dès le départ, les associations n’ont fait qu’une chose c’est leur taper dessus, leur taper dessus. Ils n’ont fait que ça. Les insulter. C’étaient les grands contaminateurs de tout, c’était la faute de tout. Plutôt que de leur taper dessus, on devrait plutôt commencer à s’intéresser pourquoi ils font ça et de voir plutôt le fond du problème. Et bien, peut-être que les choses auraient évolué un peu différemment. Donc les grandes associations qui se disent représenter la communauté homosexuelle devraient se regarder un peu dans un miroir et se dire qu’elles ne sont pas si représentatives que ça. On essaie de comprendre pourquoi ils ont un comportement sexuel qui soit à risque moyen ou modéré ou important et on essaie de les accompagner dans leurs pratiques plutôt que de les engueuler. Effectivement, les « barebackeurs » ont des pratiques qui sont un peu plus extrêmes tel que le fist par exemple. Ce sont des choses, je suis désolé, il y a de la prévention à faire également pour ces pratiques-là. Il y a de la prévention à faire dans ce milieu-là et tant qu’on ne s’y mettra pas, on n’arrangera pas forcément les choses.
Reda : Effectivement je pense que Bernard Escudier a très bien résumé la question qui est posée par la PrEP et cet espèce de dynamique, de ce volontarisme dont font preuve les associations face à leur propre échec, leur propre renoncement et leur propre trahison en matière de prévention. On l’a vu sur la question de l’intérêt préventif du traitement. On l’a vu dans plein d’autres domaines et dans l’histoire de la lutte contre le VIH. Maintenant Stéphane Minouflet avait parlé de Vichy. Il avait dit oui j’ai même des clients, dans votre sauna, qui viennent qui disent voilà, un retour à une époque de fichage, de « tracing » des maladies sexuellement transmissibles etc. Et, pour certains, ça pourrait paraître relever d’une peur comme ça, une espèce de paranoïa. C’est pour ça que moi j’avais envie lors de cette émission de parler un peu de Tuskegee. Parce que Tuskegee c’est quelque chose que je connais moi étant issu d’une ex-colonie française et ayant été très intéressé par l’histoire d’autres minorités dans le monde, notamment celles des noirs américains. Et Tuskegee en 1932, des médecins, de très bon médecins, des médecins très qualifiés, pas des médecins marginaux dans leur coin, recrutent des noirs qui travaillent dans les champs à Tuskegee et leur donnent la syphilis. À l’époque, personne ne sait que la pénicilline, une injection dans les fesses peut traiter et débarrasser définitivement de la syphilis. Et ces médecins se disent qu’il serait important de voir quelle est la progression au long cours de cette maladie, de la syphilis, qui est en principe une maladie sexuellement transmissible. Mais là on va injecter à des hommes noirs pauvres la syphilis pour voir ce qu’il se passe. Ça commence en 1932 où il n’y a pas de traitement. On arrive en 1943 pendant le deuxième guerre mondiale et là les médecins trouvent, notamment parce qu’il y a tous ces soldats qui partent à l’étranger, qui mettent au point le traitement avec la pénicilline. Dans le cadre de l’étude de Tuskegee, l’étude continue comme si de rien n’était. C’est-à-dire que, alors qu’il y a un traitement qui existe, on continue en fait à ne donner aucune information sur ce traitement et on ne le propose pas à des centaines et des milliers sur toute la durée de l’essai clinique jusqu’à 1977, quand des journalistes vont révéler l’affaire. Et là, ça déclenchera un scandale et une révision des lois sur l’éthique. Et une fois de plus je rappelle, c’était de très bons médecins. Il ne s’agit pas d’une exception dans l’histoire de la médecine. Il s’agit de quelque chose de consistant. Quelque chose qui s’inscrit dans la durée sur la manière dont le pouvoir médical aborde les gens qui sont en position de marginalité, en position d’être dépourvus de pouvoir. Je ne suis pas en train de dire que Ipergay ça y est, c’est un nouveau Tuskegee. Je ne suis pas en train de dire ça. Je suis en train de dire que, pour comprendre la méfiance à l’égard de ces essais, peut-être qu’il faudrait se rappeler justement, s’intéresser à ces histoires, la manière dont la médecine a traité, que ce soit les populations noires aux Etats-Unis ou les homosexuels un peu partout, s’intéresser à ça pour comprendre un petit peu certaines dynamiques qu’on peut lire dans, à la fois le rapport de l’ANRS et son fonctionnement par rapport à l’essai, mais aussi dans le positionnement des associations. Donc ça peut paraître être un peu distrait, un peu lointain de se référer à l’histoire et à un autre pays, à une autre population. Mais moi ça me semble en tout cas tout à fait pertinent et instructif.
Bernard Escudier : Moi je pense en effet que ce médicament, cette proposition, Ipergay, c’est avant tout un médicament. En grec ancien moderne médicament c’est « pharmakeia », c’est le poison. Donc bon, tout en prenant des précautions avec l’exemple que tu viens de donner, je crois que justement le recul de nombreuses personnes séronégatives ou des gays en général c’est qu’on leur dit de s’envoyer en l’air mais d’abord de prendre un médicament. Peut-être que c’est l’avenir. Je ne sais pas. Mais je crois qu’avant tout, ce qui compte, pour répondre mieux à votre interpellation à l’origine de cette émission Sandra, je pense que, la question c’est comment réagir quand on veut suivre ce mouvement naturel de la vie du plaisir. Comment avoir la conscience de protéger son partenaire soi-même ? Le mieux je crois, c’est quand même la conscience. La conscience de prendre un préservatif comme disait Bernard Hirschel, peut-être en le combinant à autre chose. Mais cet autre chose, c’est quand même un médicament. Je crois que ça fait reculer beaucoup de personnes. Mais peut-être que je me trompe.
Sandra : Julien, on ne vous a pas entendu sur les propos de Bernard Hirschel et puis sur cette discussion, est-ce que vous souhaitez réagir ?
Julien Delormeau : Ce qui me semble quand même, dans ce qu’il dit, qu’il veut combiner en fait le préservatif avec le Truvada. Moi ce que j’aimerais bien savoir, c’est à l’issu des tests comment savoir si les personnes se sont protégées ou non avec le préservatif ? On va prendre des personnes qui vont toutes être traitées sous Truvada. Alors il y a en qui vont être sous placebo et d’autres sous Truvada parce qu’il y a une branche placebo dans l’essai. Donc, moi ce que j’aimerais savoir c’est comment on peut calculer à la fin si la personne ou non a contracté le VIH parce qu’elle avait pris le Truvada, comment on peut contrôler tout ça ? Comment on peut savoir ? Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire mais comment on peut avoir une certitude des chiffres à la fin et que cet essai va être, soit prouvé en fait.
Stéphane Minouflet : Jean-Michel Molina va te dire que même si les participants ont mis le préservatif tout le temps et qu’ils ont pris le Truvada, c’est déjà prévu dans les calculs.
Julien Delormeau : Quels calculs justement ?
Stéphane Minouflet : Ah bah ce sont les calculs de Jean-Michel Molina.
Julien Delormeau : Moi je ne les ai pas. Personnellement je pense que c’est une cause assez grave. On ne joue pas avec des médicaments. On ne joue pas avec une population. Je pense qu’aujourd’hui il y a un manque de prévention tout simplement des associations. Je vais citer une association, je vais peut-être me la mettre à dos, c’est l’association Aides. À part les voir dans la rue sur Chatêlet à récolter des fonds, c’est tout ce qu’on voit. On ne les voit pas dans les bars gays. On ne les voit pas dans des milieux gays à faire de la prévention. Non, on les voit juste récolter l’argent point.
Bernard Escudier : Ce n’est pas totalement vrai partout. Parce que moi à Marseille je les ai vus intervenir dans un sauna gay régulièrement, le Salvator pour le nommer. Donc il y a des équipes formidables aussi.
Julien Delormeau : Je ne dis pas le contraire, je dis juste que, effectivement sur Paris, écoutez soit je ne vais pas aux bons endroits, parce que je suis trop jeune, je n’ai que 24 ans en même temps. Peut-être que c’est ça. Maintenant je pense que, comme je suis jeune, je représente un petit peu la jeunesse de Paris et sur le plan des gays, enfin moi, dans tous les endroits où je vais, je n’ai vu aucune intervention d’Aides ou d’autres associations.
Reda : Alors juste là-dessus, parce que la question que ça soulève c’est la question de la légitimité des associations. L’ANRS nous dit qu’ils ont fait une consultation tous azimuts comme on n’en avait jamais vu pour un essai clinique. Mais ils se sont adressés à des associations classiques issues du mouvement homosexuel. On les connaît. Hors l’enquête Vespa, une étude financée et soutenue par l’Inserm et l’ANRS, a montré que 5% des séropositifs fréquentent ces associations classiques. Donc il est difficile de concevoir une légitimité qui repose sur une participation à 5% de la population qu’on prétend représenter. Ça c’est juste pour commencer. Après, de ces 5% ou même du plus petit pourcentage qui constitue les dirigeants de ces associations, il faut s’interroger sur leur rôle dans la gestion de l’épidémie et des conséquences qui en découlent, notamment sur leur attitude, que ce soit d’un côté face aux marginaux et aux précaires qui sont les immigrés, les enfants de l’immigration, des cités, ou que ce soit face aux moralement décriés « barebacker » du côté des homosexuels. Si on peut bien renvoyer à Stéphane Minouflet le fait que sa pétition, et c’est peut-être sa propre légitimité qui reste à construire, n’a recueilli que quelques centaines de signatures alors que je ne sais pas combien il y a d’hommes qui passent dans votre sauna chaque semaine mais je mettrais ça en miroir aux difficultés de recrutement de l’essai lui-même où il y a à ce jour, moi j’ai lu, 30 personnes qui ce sont portées volontaires.
Stéphane Minouflet : Alors il y en a un tout petit plus. Ils ont réussi à en avoir une petite dizaine de plus. Ils sont quand même à un peu plus de 40 volontaires alors que moi j’ai dix fois ça en signature sur la pétition. Et preuve que ça ne concerne pas que les gays parce que la pétition est signée tant par des hommes que par des femmes. Donc tout le monde se sent concerné par la question de l’essai Ipergay. Après la légitimité des associations et sur la pseudo consultation qu’a organisé l’ANRS, alors c’est un pipeau monumental. Je peux vous assurer que moi j’étais présent à la consultation communautaire qui s’est déroulée à Toulouse en juin 2010. Et bah là on a eu un mec en face de nous, Emmanuel Cook, membre du TRT5 qui faisait les consultations communautaires et qui nous a fait en fait la pub et la promo pour le Truvada pour le laboratoire Gilead et pour l’essai Ipergay. Alors là en guise de consultation, moi je veux bien qu’on m’explique comment ça doit se passer une consultation. Parce que si c’est ça moi, non. Pour exemple, dès qu’on donnait, on est une des rares villes en France à Toulouse où il y avait des exploitants d’établissements gays qui se déplaçaient pour participer à cette fameuse consultation. Il y avait 4 établissements de Toulouse qui étaient présents. On a tous émis des questionnements. On n’était pas trop chaud pour le truc sur le coup. Et puis, dès qu’on disait quelque chose, on se faisait renvoyer, mais dans les 22 par ce cher Emmanuel Cook sans comprendre trop ce qui nous arrivait. Donc bon, on a dit on est peut-être des ignares sur le coup, on va se taire. Et c’est là qu’une pharmacienne a pris la parole. Donc qui est quand même censée savoir de quoi elle parle. Elle a parlé du Truvada, elle a parlé d’éventuelles résistances que ça pourrait générer sur une mise à disposition d’une grande échelle du Truvada en tant que PrEP. Donc voilà, des questions légitimes, une pharmacienne qui connaît son métier. Et bien non. Elle devait être aussi bête que nous parce qu’elle a fini renvoyée dans les 22 elle aussi par Emmanuel Cook. Donc du coup, elle n’a plus du tout parlé jusqu’à la fin. Donc voilà, la consultation communautaire en fait elle s’est limitée à la consultation d’associations parce qu’on était en gros une vingtaine de personnes à la consultation de Toulouse. Il n’y avait que des associations, le monde médical, paramédical et des représentants d’établissements gays. Apparemment ça a été un peu le même cas partout. Donc là non, non, la représentation de la communauté là-dedans, non. C’est du pipeau ça.
Reda : Moi justement je revendique haut et fort le fait que lors d’un essai clinique qui se met en place, qui ne concerne une seule population et il peut avoir des motifs légitimes pour restreindre les critères d’inclusion à une seule population. Quand bien même je revendique le fait que la consultation doit inclure tout le monde. C’est-à-dire il peut avoir des raisons médicales, des raisons liées au modèle du protocole de l’essai, pourquoi il faut étudier une seule population. Mais inclure tout le monde c’est comme ça qu’on se sort, qu’on peut se sortir du communautarisme. On a bien vu par exemple un président d’Act up dire qu’il était une femme noire hétérosexuelle. Donc quand on voit qu’il n’y a pas de respect sur les identités, qu’on ne respecte pas les identités des uns et des autres, effectivement moi là je me sens tout à fait, je ne vais pas me gêner non plus pour donner non plus mon avis sur un certain nombre de choses qui très franchement, a priori, sur ce qui passe dans votre sauna ne me concerne pas. Mais pour autant, pour ces deux raisons je revendique le fait qu’on doive, si on veut construire une lutte contre le sida qui veille à défendre équitablement tout le monde, il faut que, quand on travaille dessus, il faut qu’on le fasse ensemble. Moi c’est cela que j’espère.
Stéphane Minouflet : C’est impératif parce que de toute façon pour pouvoir avoir l’adhésion de la population qui peut être ciblée pour cet essai, si on ne la consulte pas, qu’on ne demande rien et qu’on dit en gros, bah tais-toi et viens participer, non. Personne ne va adhérer à ce truc-là. Donc ce n’est même pas la peine d’essayer de lancer des choses comme ça. En plus, ce qui est quand même hallucinant c’est que quand ces gens se disent oui, nous on sait, nous on a des résultats, on a des analyses, on a des chiffres. Oui, ils ont peut-être plein de choses mais il ne faut pas oublier qu’ils sont face à des gens. Donc des gens qui ont un cerveau, qui pensent accessoirement, qui sont capables de réflexions et que si on les prend un peu pour des imbéciles neuneus qui suivent les moutons de Panurge, au bout d’un moment, non, ils ne vont plus suivre comme des moutons de Panurge. Donc ça justifie peut-être qu’il n’y ait pas vraiment d’engouement pour l’essai Ipergay, qu’ils n’arrivent pas à recruter.
Bernard Escudier : Est-ce que la consultation dite communautaire, déjà le mot me fait sourire, est-ce qu’elle a été étendue a beaucoup de villes ? À Marseille par exemple, à Lyon ou simplement quelques villes, quelques lieux de France ont été choisis ?
Stéphane Minouflet : Non. Il y a eu une dizaine de villes et Lyon et Marseille ont fait parti des villes où il y a eu les consultations communautaires. Mais le TRT5 s’est très bien débrouillé parce que l’information n’est pas passée partout, ce qui fait que personne ne se rendait aux consultations.
Bernard Escudier : C’est ce que j’ai cru entendre de la part d’un grand hiérarque, d’une grande association de lutte contre le sida, qui m’a dit qu’il avait fait le nécessaire mais que personne n’était venu ou du moins pas grand monde. Je le regrettais. C’était la responsabilité des gays, des malades, des gens qui étaient investis dans la lutte.
Stéphane Minouflet : Oui mais c’est tellement facile. Un truc tout bête qui déjà pourrait être ne serait-ce qu’un début de solution pour la prévention classique avec le préservatif. Quand on veut atteindre des gens, on va les voir là où ils se trouvent. On ne demande pas aux gens de venir dans une salle froide, même une jolie salle avec des bouquets de fleurs On ne leur demande pas de venir dans une salle de la ville.
Bernard Escudier : Tout à fait d’accord.
Stéphane Minouflet : Les gens ça ne les intéresse pas. Ils ne se déplacent pas pour ça. En revanche, si on va à leur rencontre. Donc là pour la consultation, s’ils étaient allés dans les établissements gays, là où on peut rencontrer la population gay, ils auraient eu une réponse communautaire. J’ai eu beau dire ça depuis 2010, bah non, faut croire que les provinciaux doivent être des imbéciles. Non, non, ça doit être à nous de se déplacer dans les salles des municipalités. Mais ça a été le même problème partout, dans toutes les villes.
Transcription : Sandra JEAN-PIERRE
Notre dossier : Pourquoi il faut arrêter l’essai clinique Ipergay
Pourquoi il faut arrêter Ipergay (1/3) : Homos et hétéros ensemble contre un essai communautariste
Pourquoi il faut arrêter Ipergay (3/3) : À quels culs s’adresse cet essai ?