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Annonce de la séropositivité | Canada | Cécile Kazatchkine | Criminalisation des séropositifs | Sexe et sexualité

Le réseau juridique canadien VIH/Sida lutte contre la criminalisation des séropositifs

1er mars 2012 (papamamanbebe.net)

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Sandra  : La suite de l’entretien avec Cécile Kazatchkine. Je lui ai posé la question, comment le réseau juridique canadien VIH/Sida défend ces personnes séropositives accusées d’être des criminels parce qu’elles n’ont pas annoncé leur séropositivité à leur partenaire et comment le grand public est informé sur le VIH/Sida au Canada ?

Début du son.

Cécile Kazatchkine : Nous, on ne défend pas directement les personnes qui vivent avec le VIH dans le sens où, on n’est pas des avocats qui représentent des individus. On est une organisation, on fait du plaidoyer. On fait de l’information. On va voir les personnes qui vivent avec le VIH. On leur explique le droit. On fait de l’éducation au sein des différentes organisation de lutte contre le sida etc. Mais c’est vrai que, dans certains procès qui peuvent avoir un véritable impact sur la façon dont le droit va être interprété, là, on intervient devant la Cour, en tant que, amis de la Cour, c’est une tiers partie, pour représenter en fait les intérêts des personnes qui vivent avec le VIH en général au Canada. Comme je le disais, étant donné que le droit au Canada, c’est, des personnes vivant avec le VIH ont une obligation de divulguer s’il y a un risque important de transmission, notre argumentaire devant les Cours, tournent autour de l’interprétation de cette notion. Notre argumentaire est généralement, les personnes qui portent un préservatif ou les personnes dont la charge virale est devenue indétectable, par exemple, grâce à l’effet des traitements, ne devrait pas être poursuivies parce qu’elles ne posent pas un risque important de transmission. Notre position a été effectivement retenue et on a gagné, entre guillemets, récemment devant la Cour d’appel de la province de Manitoba et ensuite devant la Cour d’appel du Québec. C’est ces deux affaires qui sont maintenant devant la Cour Suprême du Canada où on intervient également, sur ces deux questions de port de préservatif et de la charge virale indétectable, et de leur impact sur les risques de transmission et donc, sur l’obligation de dévoiler son statut.

L’audience en Cour Suprême a eu lieu début février et on a fait une petite manifestation avec des organisations de lutte contre le sida à Toronto, deux jours avant. En général, on ne fait pas de grandes manifestations publiques. On essaye d’influencer, de faire passer notre message à travers les médias. Ce n’est pas non plus un sujet facile à aborder au niveau du grand public. Je n’ai pas l’impression que le message passe très clairement en fait, et il y a aussi beaucoup de timidité à travers, je pense, d’utiliser le traitement comme prévention et de le dire au grand public, à partir du moment où les gens sont sous traitement, il n’y a plus de risque. Je me demande si ce n’est pas quelque chose qui fait un peu peur. Je dirai que, de manière générale, il y a un manque d’information claire. Je pense que les gens savent qu’ils peuvent se protéger avec un préservatif mais maintenant, notamment à cause de la criminalisation du VIH, ils pensent que, si leur partenaire est séropositif, il leur dira. Donc, les gens n’ont pas le réflexe de se protéger si leur partenaire ne leur dit rien ou si le partenaire dit je suis clean.

Il y a quand même 25% des personnes qui vivent avec le VIH au Canada qui ne le savent pas. Donc, évidemment, l’idée, ce serait plutôt d’encourager, les personnes à se protéger quoiqu’il arrive et surtout, d’encourager les personnes à aller se faire dépister. Mais on n’a peur que, un renforcement de la criminalisation contre les personnes vivant avec le VIH, contre celles qui ont fait des démarches de se faire dépister, de connaître leur statut, découragent certaines personnes d’aller se faire dépister.

En droit civil, s’il y avait une question de responsabilité civile, on pourrait éventuellement prendre en compte la responsabilité de la victime, entre guillemets, mais en droit criminel, on se concentre sur le comportement de l’accusé et en fait, le comportement du plaignant ne peut pas relativiser sa culpabilité. Ce n’est pas pris en compte. Quelque part, ça nie cette idée de responsabilité partagée et ça place l’ensemble des responsabilités sur la personne qui vit avec le VIH.

Fin du son.

Sandra : Avant d’entendre vos réactions, on va poursuivre dans l’écoute de cet entretien. On écoute la troisième partie. Je lui ai demandé qui sont ceux qui accusent ces personnes séropositives ? Pour quelles raisons ? Alors, elle m’a dit qu’elle ne connaît pas, Cécile Kazatchkine, ne connaît pas en fait les personnes qui accusent les séropositifs , elle n’est pas en lien avec eux. Mais, elle a quand même pu me donner quelques éléments de réponses.

Début du son.

Cécile Kazatchkine : Je ne sais pas où est-ce qu’elles ont l’information sur la possibilité de porter plainte. Je pense que c’est notamment à travers les médias, que les affaires contres les personnes qui vivent avec le VIH sont très médiatisées et puis souvent d’une manière très sensationnaliste. Il y a différents motifs je pense pour porter plainte. Je ne peux pas vraiment m’avancer. Mais, il me semble que ça peut être simplement une colère, après une trahison, parce qu’il ne s’agit pas du non dévoilement dans un rapport sexuel juste d’un soir. Il peut s’agir du non dévoilement dans une relation de longue durée. Et puis il peut avoir aussi la volonté d’arrêter quelque part des personnes qui ne dévoileraient pas son statut puis donc, les personnes qui portent plainte parfois, se voit une sorte de responsabilité de dénoncer cette personne pour éviter que d’autres personnes soit infectées. Il y a clairement des motifs de vengeance également. Un des arrêts suprême devant la Cour du Canada, il s’agit d’une femme qui a été, c’est une femme qui est accusée. Elle était dans cette relation en fait depuis 4 ans, elle n’avait pas divulgué la première fois qu’ils ont une relation sexuelle, mais ensuite elle avait divulgué. Ils sont restés 4 ans ensemble. A la fin, elle a décidé de le quitter à cause de violences psychologiques etc. Il l’a finalement battue. Elle a porté plainte à la police contre lui. Il a été reconnu coupable de violence conjugales. Ça l’a motivé en fait pour aller lui-même devant la police et dire, 4 ans auparavant, elle ne m’avait pas dévoilé son statut la première fois qu’on a eu une relation sexuelle. Elle a été poursuivie. Elle a même été condamnée en première instance.

Sandra : Quelles sont les peines pour les personnes séropositives qui sont condamnées ?

Cécile Kazatchkine : Des peines de prison. En fait, les infractions qui sont, encore une fois, il n’y a pas de lois spécifiques sur le VIH, ce sont des infractions générales d’agression sexuelle, d’agression sexuelle grave qui sont portées contre les personnes qui n’ont pas dévoilé leur statut. C’est des infractions parmi les plus graves du code criminel. Par exemple, l’infraction d’agression sexuelle grave, la peine encourue est l’emprisonnement à vie. Alors les gens ne sont pas emprisonnés à vie mais ont des peines de prison de 1, 2, parfois même 18 ans. Ça dépend en fait du nombre de plaignant, du nombre d’incident, de rapport sexuel qu’il y a eu, etc, du type de la relation. Ça dépend de beaucoup de différents facteurs. Mais oui, les personnes qui, en tout cas, je sais que, plus de 80% des personnes qui, on le sait, ont été condamnées, ont été envoyées en prison.

Fin du son.

Sandra : Dernier volet de cet entretien avec Cécile Kazatchkine. Je lui ai demandé quel est l’impact de la criminalisation des séropositifs pour les personnes vivant avec le VIH ?

Début du son.

Cécile Kazatchkine : Au sein de la communauté des personnes qui vivent avec le VIH, en général, même sans être poursuivies, la criminalisation a un impact direct sur les personnes séropositives parce que ça crée une véritable atmosphère de peur en fait au sein de la communauté. Les personnes ont peur que leur partenaire finalement, un jour, décide de se retourner contre elles, et portent plainte. Elles ont peur de ne pas pouvoir prouver qu’elles ont dévoilé leur statut ou qu’elles ont utilisé un préservatif. Elles ont même peur d’être poursuivies, même si elles portent un préservatif puisqu’en fait, cette notion de risque important est interprétée de manière inconsistante à travers le Canada. Donc, on ne sait même pas très bien exactement ce qu’il faut faire pour éviter d’être poursuivi. A partir du moment où on est poursuivi, ça a un immense impact sur votre vie, quoiqu’il arrive, même si vous finissez par être acquitté. Par exemple, la police va diffuser à travers les médias des espèces de, ils appellent ça media alert, avec le nom de la personne accusée, sa photo et son statut séropositif pour dire toute personne qui a eu des relations sexuelles avec cette personne devrait contacter la police et puis aller voir un médecin. Évidemment, étant donné la gravité en fait des infractions qui sont retenues contre elles, ça a des véritables répercussions, des peines d’emprisonnement et puis, comme ce sont des criminels sexuels, les personnes sont aussi ensuite enregistrées délinquants sexuels.

Fin du son.

Ali : C’est horrible. Que les gens soient comme ça, désignés hors la loi quasiment à vie. Surtout, ce qui m’interpelle, c’est que les gens peuvent être poursuivis. Qu’ils cachent à leur partenaire leur séropositivité, tant qu’ils portent des préservatifs, je ne vois pas en quoi on pourrait les poursuivre. Je trouve ça complètement aberrant. Après, tout le reste, si de cette base-là, d’une simple relation protégée, on peut être poursuivi. Même avec préservatif, l’acte sexuel est nommé en tant que agression sexuelle aggravée. Quand on sait ce que c’est une agression sexuelle aggravée, c’est prendre quelqu’un de force, ce qui n’a rien avoir à faire l’amour avec un préservatif. Vraiment, on marche sur la tête.

Tina : Vraiment c’est horrible de divulguer ensuite le nom à la télévision, avec la photo, en fait, la personne elle est foutue. C’est horrible quoi.

Sandra : En revanche, celle qui accuse la personne est protégée.

Tina : Donc voilà, ça ne donne vraiment pas envie de vivre là-bas quand on est séropositif parce que, moralement, être accusé d’être un criminel sexuel, l’image qui est divulguée partout. Enfin la vie est foutue.

Ousmane : Je voulais juste rajouter, quand on t’étiquette criminel sexuel, ils oublient que ce n’est pas forcément par le sexe qu’on peut être séropositif. Donc, ce n’est pas vraiment évident. Je me dis, le grand Canada, autant dire le grand Canard. Ça ne sert à rien de se dire qu’on fait des efforts pour la lutte contre le VIH, et en même temps, avoir des contradictions pareilles. Puisque, moi, je me dis que la première façon de limiter les contaminations c’est d’inciter et d’arriver à trouver, un modèle où les gens vont être motivés à se faire dépister afin de se faire traiter, justement, pour limiter les contaminations. Dans cette direction-là, je pense que, quand même, ça deviendra comme en Afrique pratiquement plus de 100 000 ou 200 ou voir 1 million de personnes séropositives sans le savoir, parce que, personne n’ira se faire dépister.

Sandra : Si vous souhaitez aider le service juridique canadien VIH/Sida, vous pouvez le faire sur ce site

Transcription : Sandra JEAN-PIERRE